John Landis
Du 28 janvier au 28 février 2009
L’euphorie menaçante du divertissement
À la fin de l’un de ses billets percutants, ici annonçant la diffusion télévisée de Trading Places/Un fauteuil pour deux, Louis Skorecki écrivait ceci : « [John Landis] aime la ringardise pour ce qu’elle est. C’est le fils de Madame Carambar et de la poupée Barbie, l’oncle de King Kong, le sosie de Ben Turpin. Il nage avec les sirènes, insensible à l’appel du large. Flipper le dauphin l’attend, au loin. Il le sait. » Rien de plus juste sur ce qui fait la singularité de l’œuvre de John Landis que cette énumération enfantine, ce retour affirmé à l’immaturité, ce rappel d’objets et de souvenirs dérisoires et un peu stupides. John Landis est effectivement le plus jeune de cette génération de movie brats qui allait apporter, dans les années soixante-dix et quatre-vingts, ce sang neuf dont Hollywood avait besoin. C’est le benjamin espiègle, celui qui, en prenant tout à la dérision, a mis à nu pourtant quelques ressorts cachés du système.
Il est né à Chicago en 1950 (quatre ans après Spielberg) mais grandit à Los Angeles. Il débute dans le cinéma alors qu’il est embauché, à peine sorti du lycée, au service du courrier de la Twentieth Century Fox. Il part ensuite en Europe et y devient garçon de course puis cascadeur dans des films d’action européens comme Blindman le justicier aveugle de Ferdinando Baldi ou des productions américaines comme Kelly’s Heroes/De l’or pour les braves de Brian G. Hutton. Ses débuts de réalisateur se placent immédiatement sous l’angle du rire parodique. Pour son premier film, l’hilarant Schlock tourné avec un budget dérisoire en 1973, il endosse lui-même la combinaison en fourrure du Schlocktropus, une sorte de singe considéré comme le chaînon manquant et enfin découvert dans une caverne en Californie. L’animal déchaîne la terreur aux cours de ses pérégrinations. On le voit devenir l’ami d’une jeune aveugle qui le prend pour un grand chien, surgir dans un cinéma pour se mêler aux spectateurs, et effectuer bien d’autres facéties. Kentucky Fried Chicken/Hamburger film sandwich en 1977 est un film à sketches réalisé avec les frères Zucker. En 1978, Animal House/American college dynamite le film de collège en révélant par ailleurs le comédien John Belushi qui partagera la vedette, deux ans plus tard, avec Dan Aykroyd, de The Blues Brothers, hommage à la musique noire présente en filigrane dans presque tous ses films.
À une époque où la terreur cinématographique est renouvelée par des auteurs comme Tobe Hooper ou Joe Dante, John Landis réalise en 1981 An American Werewolf in London/Le Loup-garou de Londres, où le rire ne désamorce pas l’épouvante mais la nourrit d’une dimension satirique inédite. Innocent Blood, douze ans plus tard, soumettra d’ailleurs les conventions du film de vampire à la même expérience. Il réalise aussi deux succès avec Eddie Murphy, comédies sur l’identité de classe et de culture : Trading Places (1983) et Coming to America/Un prince à New York (1988). Les parodies s’enchaînent : Spies Like Us/Drôles d’espions en 1985, Three Amigos/Trois amigos en 1986 et Into the Night/Série noire pour une nuit blanche en 1985, film noir humoristique et attachante course-poursuite somnambulique.
La cinéphilie aura été un carburant essentiel de l’inspiration de nombreux cinéastes de sa génération. Non seulement la mémoire des grands classiques du cinéma mais aussi, et c’est particulièrement vrai pour Landis, le cinéma comme souvenir d’enfance, celle d’une génération nourrie par la télévision, la science-fiction, le dessin animé, les aventures merveilleuses dopées par les trucages poétiques de Ray Harryhausen. Mais avec lui, le lien à cette référence est un lien complexe où la nostalgie se mêle à la critique. Le rire procède en effet souvent chez lui d’une vision lucide. Ses deux films relevant directement du fantastique, An American Werewolf in London et Innocent Blood, s’attaquent à deux mythes de l’épouvante, le loup-garou et le vampire, soit le principe de la contamination comme danger ultime. Or chez Landis, le divertissement, l’entertainment, le spectacle, possèdent des propriétés similaires, envahissent la vie de tous les jours, corrompent la réalité, structurent et déterminent le monde réel, labourent le cerveau des individus. Il y a une métaphore drolatique de cela dans le cinéma de Landis, un sketch de Kentucky Fried Movie où les spectateurs d’un film en « sensorama » sont secoués par les employés du cinéma parce qu’ils sont censés ressentir les émotions des personnages du film. Il y a aussi ce sketch du même film où le présentateur du journal télévisé semble troublé, puis excité, par un jeune couple qui fait l’amour dans son salon, devant sa télévision. Le cinéma de Landis casse la barrière de l’écran, détruit la rampe qui sépare la scène du spectateur. Les trois minables acteurs de westerns muets qui sont les héros de Three Amigos sont pris pour de véritables justiciers par des villageois mexicains qui leur enjoignent de combattre les brigands qui les persécutent. Il n’y a plus de différence entre fiction et réalité.
John Landis connaît bien, de l’intérieur, le monde de l’industrie culturelle. Celui qui a réalisé des clips musicaux pour Michael Jackson, qui a mis en scène des épisodes de Disneyland pour la télévision, qui a produit la série Dream On, dont le personnage principal voit ses pensées, ses sentiments, ses fantasmes mentalement illustrés par des extraits de films hollywoodiens, décrit la contamination puis la substitution de la vie réelle par son double spectaculaire et totalitaire. Landis réalise en 1992 un film qui a tout d’une commande et qui contiendra toute la vérité critique de son cinéma. Beverly Hills Cop III/Le Flic de Beverly Hills 3 imagine les aventures du célèbre policier noir de Seattle s’attaquant à des malfrats dirigeant un parc d’attractions californien et fabriquant de la fausse monnaie dans ses caves. Ce que le film montre, c’est à la fois comment la dureté économique de la société a envahi un lieu a priori détaché des contingences sociales du monde, mais aussi comment l’univers infantilisant du parc d’attractions s’est désormais imposé partout dans la société, injectant son ordre totalitaire dans les esprits, dès l’enfance.
Le spectacle est ainsi ambivalent dans le cinéma de Landis. Il enchante la réalité (c’est le rôle souvent dévolu à la musique) ou l’enferme dans une illusion répressive. Et la mise en abîme devient chez Landis une manière de décrypter l’idéologie hollywoodienne et ses multiples fonctions. Ses documentaires témoignent du même souci : Slasher, en 2004, portrait d’un volubile vendeur de voitures, est un brillant essai sur le mensonge et sa justification économique. Et un célèbre humoriste des casinos de Las Vegas, est le sujet de Mr Warmth : The Don Rickles Project (2007). En mettant la culture populaire américaine, infantile et triviale, poétique et vulgaire, au centre de son œuvre, John Landis en dévoile l’ambivalence. Le rire et la nostalgie n’y sont jamais dénués d’une vague inquiétude.
Jean-François Rauger