Jess Franco Forever !

Le 30 juin 2023

Deux films, parmi les meilleurs, du prolifique et génial espagnol, un des rares cinéastes à avoir su faire disparaître la frontière entre le cinéma bis et l'avant-garde, entre exploitation et expérimentation. Une vierge chez les morts vivants est un des titres d'une œuvre qui en a eu plusieurs : Cristina Princesse de l'érotisme, Cristina chez les morts vivants, La Nuit des étoiles filantes. Cette abondance d'intitulés est le reflet du destin d'un film qui connut plusieurs versions, tripatouillées et remontées à plusieurs reprises par des distributeurs qui ne le trouvaient, soit pas assez érotique, soit pas assez horrifique. Seul le titre d'origine, La Nuit des étoiles filantes, avait l'aval du réalisateur, qui déclara s'être inspiré du poète espagnol Gustavo Adolfo Bécquer (1836-1870). Une jeune femme débarque dans une auberge, appelée par sa famille, qui lui envoie un chauffeur muet afin qu'elle assiste à lecture du testament de son père et à l'agonie d'une vielle tante. Dans une Amérique latine fantasmée (le film a été tourné à Sintra au Portugal, dont les premières images restituent la beauté tout à la fois triviale et onirique), Une vierge chez les morts vivants débute ainsi comme un film fantastique gothique (l'arrivée à l'auberge du village) qui se transmue peu à peu en poème morbide. Comme d'habitude, le peu de moyens financiers stimule le réalisateur, qui invente divers stratagèmes devenant immédiatement de de fabuleuses intuitions. L'usage de la voix off, un humour constant (Britt Nichols se vernissant les ongles des pieds durant une cérémonie mortuaire), un lyrisme d'autant plus prenant qu'il paraît sans ironie, caractérisent cette œuvre sans équivalent dans le cinéma de son temps. Une vierge chez les morts vivants réinvente le récit vampirique en décrivant l'absorption fatale de son personnage principal (incarné par Christina von Blanc qui avait déjà tourné pour Franco dans Les Vierges et l'Amour) par sa famille, une famille devenue en soi une machine de mort. Produit à l'origine par une société du Liechtenstein, Prodif, le film a sans doute été récupéré par la compagnie française Eurociné qui en a certaintement achevé le financement. Certaines sources datent par ailleurs la production de 1973 et non de 1971, comme ce fut souvent annoncé. Un des nombreux mystères d'une filmographie impossible.

Le Cabaret des filles perverses ou Blue Rita (Das Frauenhaus en VO) a été réalisé en 1976 pour le producteur suisse Erwin C. Dietrich, à l'origine du financement de nombreux titres de Jess Franco à cette époque. Comme souvent, le cinéaste et scénariste, qui signe ici Clifford Brown pour la réalisation, traite avec une désinvolture critique les conventions essorées du film d'espionnage pour s'attaquer à ce qui l'obsède vraiment. Un cabaret parisien sert à attirer dans un piège des hommes à qui une puissance étrangère tente de soutirer des secrets d'État. Les malheureux sont littéralement encagés et soumis à la torture de dominatrices sans pitié. C'est par la frustration sexuelle que les aveux sont extorqués. Un tel postulat permet à Franco de mettre en place des dispositifs sado-masochistes inouïs et de s'absorber, avec une inventivité perverse sans égale, dans l'exaltation des corps de ses actrices filmées. Les sexes féminins sont saisis en contre-plongées menaçantes, vues subjectives de personnages masculins réduits en esclavage. Les intérieurs, d'une sobriété stylisée transformée par l'usage du grand-angle, ont été filmés à Zurich. Les rues de Paris, quant à elles, sont captées avec cette intensité documentaire que procure souvent un tournage à petit budget. Cette vérité est parfois intensifiée, paradoxalement, par des trouvailles poétiques insensées, tels ces plans montrant une jeune femme, nue sous une cape rouge, courant au petit matin sur les quais de la Seine pour échapper à une voiture meurtrière. Le film est sorti en France en novembre 1977. Le critique de la Saison cinématographique, qui le jugeait hâtivement « fasciste » (pourquoi ?), qualifiait Franco de « Robbe-Grillet du Midi-Minuit ». Et non. C'était bien mieux que ça.

Jean-François Rauger

Cinéma bis

Le vendredi soir, c'est bis ! Des doubles programmes consacrés à des genres supposément mineurs : péplum, horreur, western italien, film d'arts martiaux, giallo, SF bon marché, délires érotiques, et mille autres formes cinématographiques subversives et insolentes, naïves et sophistiquées à la fois. Ou une poésie des extrêmes.

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