Jeanne Moreau, actrice et inspiratrice
Rieuse et tendre. C’est ainsi que François Truffaut décrit celle qu’il dirigea deux fois : dans Jules et Jim puis dans La Mariée était en noir. Mais leur complicité se manifesta auparavant sous forme d’un clin d’œil, dès Les Quatre cents coups. Jeanne Moreau y faisait une apparition très poétique aux côtés de Jean-Claude Brialy. Souvenez-vous : Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) erre dans les rues de Pigalle. Il a fugué et cherche un endroit pour dormir. Il croise une femme emmitouflée dans un manteau, qui court après son chien. Oh ! vous pouvez m’aider à l’attraper ? Surgit Brialy dans le rôle du dragueur : Eh ! Petit, c’est ta sœur ? Jeanne Moreau fut donc en quelque sorte la marraine de Truffaut en cinéma. Rôle hautement symbolique, qui dit l’importance de leur relation ou de leur lien. Auparavant, il y eut Louis Malle. Rencontre décisive, pour l’un comme pour l’autre. Ascenseur pour l’échafaud, puis Les Amants, et plus tard encore Viva Maria. Quand il évoque cette période, Malle est d’une totale franchise : « Quand j’ai tourné Ascenseur pour l’échafaud, j’avais une peur bleue des acteurs, tout simplement parce que je n’avais pas l’habitude d’avoir affaire à eux. Et s’il n’y avait pas eu Jeanne Moreau, qui m’a incroyablement aidé dans les deux premiers films que j’ai tournés avec elle… j’étais tellement novice, tellement ignorant ; dans ce genre de situation, quand on est paniqué… et jeune… on a tendance à vouloir jouer au chef. Pour ne pas se laisser dominer, sans doute. Et quand je revois mes anciens films, je me rends compte que j’ai fait des erreurs monumentales, non seulement dans la direction d’acteurs, mais parfois dans le casting. Mais c’est comme ça qu’on apprend. […] Il m’a fallu plusieurs films pour apprendre à connaître les acteurs ».
Ce que Jeanne Moreau apporta à cette génération de cinéastes, c’est d’abord l’audace, le courage d’innover, de prendre des risques, de se libérer du poids de la technique cinématographique. D’oser filmer vrai. Louis Malle dit aussi ceci, qui est essentiel : « On s’est soudain rendu compte qu’elle pouvait être une star de cinéma. Jusque-là, on disait que tout en étant une grande actrice, et très sexy, elle n’était pas photogénique. J’avais avec moi Henri Decae, ce grand opérateur que je connaissais des premiers films de Melville, comme Bob le flambeur. Ainsi que tous ceux de la Nouvelle Vague, je l’admirais énormément. Il m’a lancé, il a lancé Chabrol, puis Truffaut, et plusieurs autres. Mais j’étais le premier de ma génération à travailler avec lui. Quand on a commencé à tourner [Ascenseur pour l’échafaud], les premières scènes qu’on a faites avec Jeanne Moreau se passaient dans la rue, sur les Champs-Élysées. La caméra était dans une voiture d’enfant et Jeanne Moreau n’était pas éclairée… c’était un film en noir et blanc, bien entendu ; on avait pris ce nouveau film rapide, la Tri-X qui, de l’avis des cinéastes sérieux, donnaient un grain trop gros. Nous avons fait plusieurs longs travellings de Jeanne Moreau et, bien sûr, quand le film a été terminé, on a mis la magnifique musique de Miles Davis, plus sa voix à elle, sa voix intérieure. Elle n’était éclairée que par les vitrines des Champs-Élysées. Ça ne s’était encore jamais fait. Les opérateurs voulaient toujours qu’elle soit maquillée et ils l’éclairaient beaucoup, sous prétexte qu’elle n’avait pas un visage photogénique. La première semaine, il y a eu une émeute parmi les techniciens du labo, quand ils ont vu les rushes. Ils sont allés trouver le producteur et lui ont dit : « Il faut empêcher Malle et Decae de détruire Jeanne Moreau. ».
Détruire Jeanne Moreau. On se demande qui aurait pu détruire cette actrice, qui avait débuté une dizaine d’années avant que Malle ne lui confie le rôle inoubliable d’une femme errant la nuit dans les rues de Paris à la recherche de son amant. Tout commence au théâtre, où elle passe par le Conservatoire, puis par la Comédie-Française, puis encore par le TNP de Jean Vilar, où elle joue aux côtés de Gérard Philipe dans Le Cid. Au cinéma, elle tourne de nombreux films, alternant rôles secondaires et principaux, réalisés par Gilles Grangier (Gasoil, Trois jours à vivre, Échec au porteur), Jacques Becker (Touchez pas au grisbi), Henri Decoin (Dortoir des grandes, Les Intrigantes), Marc Allégret (Julietta), Jean Dreville (La reine Margot) ou d’autres encore, avant de croiser la génération de la Nouvelle Vague. Avec Malle, Truffaut, Roger Vadim (Les Liaisons dangereuses), Michelangelo Antonioni (La Notte), Joseph Losey (Eva, et plus tard : Monsieur Klein, puis La Truite, adaptation du roman de Roger Vailland), Orson Welles (Le Procès, Falstaff, Une histoire immortelle, The Deep/Dead Reckoning), Jacques Demy (La Baie des anges), Luis Buñuel (Le Journal d’une femme de chambre) et tant d’autres, Jeanne Moreau est une actrice qui inspire ses metteurs en scène. Louis Malle, encore lui, rappelle que c’est par son intermédiaire qu’il rencontra Louise de Vilmorin, qu’il sollicitait en vue d’adapter une nouvelle de Vivant-Denon, Point de lendemain, qui devait donner Les Amants. Lorsqu’il entra en relation épistolaire avec Henri-Pierre Roché, sollicitant son approbation pour adapter Jules et Jim, Truffaut envoya une photo de Jeanne Moreau (vraisemblablement dans Les Amants) à l’écrivain, en lui disant à peu près ceci : Voilà, c’est elle qui sera Kate (ou Catherine) dans mon film. « Grand merci pour les photos de Jeanne Moreau. Elle me plaît. Je n’ai bien sûr pas pu sortir pour voir Les Amants. Je suis content qu’elle aime Kathe. J’espère la connaître un jour. » C’est cela, une actrice qui inspire les cinéastes : celle qui, en plus de jouer, fait aussi trait d’union. C’est-à-dire rend possible leur désir ou leur rêve. Jeanne Moreau incarne, avant même que le film ne se tourne, le personnage et l’univers romanesque du film. Donc sa matérialité même.
Comment l’imaginer, sinon au centre ou au croisement de plusieurs mondes où se côtoient la littérature, la musique, la chanson bien sûr (impossible d’oublier Le Petit théâtre de Jean Renoir : une prise, une seule, sur Jeanne Moreau chantant Q*uand l’amour meurt*), disons tous les arts, et le cinéma. L’aventure (sentimentale) du cinéma. Elle autorise ces croisements, elle les permet, pour ne pas dire qu’elle les met elle-même en scène. Il y a cette double dimension chez Jeanne Moreau, d’actrice et d’inspiratrice. Les cinéastes qui la choisissent l’ont fait en connaissance de cause. Pour sa voix, sa grâce, sa force de caractère et sa fragilité, son audace – car elle peut tout dire, user du langage avec mélodie, musicalité, tout en étant aussi parfois très prosaïque. Elle a fini par incarner le cinéma. Je n’aime pas beaucoup l’expression facile, souvent utilisée en parlant d’elle, d’ « ambassadrice du cinéma ». Cela la met sur un piédestal, alors qu’elle est infiniment plus simple et plus abordable, prête à toutes les aventures cinématographiques. Ce que prouve sa belle filmographie. C’est ce caractère qui me paraît la définir de la manière la plus vraie. Du côté des cinéastes, prête à prendre des risques avec eux, en protégeant leurs films. Donc leurs rêves. Protéger un film, qu’est-ce que cela veut dire ? De quoi faut-il protéger un film en train de se faire ? Bien sûr, des intempéries. Mais, surtout, de la perte de confiance, du train-train professionnel, du manque d’entrain et de gaieté. De l’ardeur de faire un film ensemble, acteurs et techniciens réunis. Truffaut encore : « À l’intérieur de mes vingt ans de cinéma, le tournage de Jules et Jim, grâce à Jeanne Moreau, reste un souvenir lumineux, le plus lumineux. »
Un mot, un seul, résume ce caractère ou ce sentiment : Liberté. J’ai retrouvé la lettre que Jeanne Moreau écrivit, à l’occasion d’un hommage rendu à Orson Welles en 1975, par l’American Film Institute :
« Orson Welles, où êtes-vous ? Chasseur chassé dans votre recherche sans fin, où êtes-vous ? Partout. Combien d’avions ? Combien de vols ? Combien d’aéroports ? Combien de villes et de pays ? Combien de suites d’hôtels ? Combien de tampons sur vos passeports ? Combien de coups de téléphone ? On vous croit ici, mais vous êtes déjà là. « Autrefois, quand faire des vœux était encore de quelques secours », vous auriez possédé le monde. Maintenant il n’y a ni pays heureux, ni paix, ni beauté à posséder, mais personne ne peut être dépouillé de sa fantaisie. […]
Orson Welles est devenu un fabricant de rêves, un magicien des sons, un poète, un cinéaste.
Quand l’écran lui appartient, nous lui appartenons.
Séquences fluides, gros plans, mots, mouvements de caméra ;
L’œil de la caméra d’Orson Welles,
Regardant, scrutant, contemplant, glissant, crée le charme qui rompt le mauvais sort.
Nous regardons.
Nous savons que nous ne serons pas trompés. […]
Un poète nous aide à vivre. Un homme libre est partout »
Lorsque l’on retrace le parcours de Jeanne Moreau, actrice et inspiratrice, elle-même cinéaste (Lumière et L’Adolescente), on croise à maintes reprises la liberté. C’est à cela que la Cinémathèque rend hommage.
Serge Toubiana
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Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 6 février au 3 mars 2008
Les films
- Absence (L') Peter Handke / Allemagne, France, Espagne / 1992 Lu 18 fév 20h30
- Adolescente (L') Jeanne Moreau / France, République fédérale d'Allemagne / 1978 Di 2 mar 19h30
- Amants (Les) Louis Malle / France / 1958 Ve 8 fév 17h15
- Ascenseur pour l'échafaud Louis Malle / France / 1957 Je 7 fév 21h30
- Baie des Anges (La) Jacques Demy / France / 1962 Je 14 fév 21h30
- Cet amour-là Josée Dayan / France / 2000 Ve 15 fév 14h30
- Corps de Diane (Le) Jean-Louis Richard / France, Tchécoslovaquie / 1968 Me 27 fév 19h30
- Dernier nabab (Le) Elia Kazan / Etats-Unis / 1976 Sa 1 mar 21h30
- Dialogue des Carmélites (Le) Philippe Agostini, Raymond-Léopold Bruckberger / France, Italie / 1959 Je 14 fév 17h00
- Dos au mur (Le) Edouard Molinaro / France / 1957 Me 13 fév 19h30
- Echec au porteur Gilles Grangier / France / 1957 Di 10 fév 19h30
- Eva Joseph Losey / France-Italie / 1961 Di 17 fév 21h15
- Falstaff Orson Welles / Espagne-Suisse / 1964 Me 20 fév 21h00
- Feu follet (Le) Louis Malle / France-Italie / 1963 Me 20 fév 17h00
- Grande Catherine (La) Gordon Flemyng / Grande-Bretagne / 1967 Lu 25 fév 20h30
- Homme de ma vie (L') Guy Lefranc / France, Italie / 1951 Je 7 fév 14h30
- Hommes en blanc (Les) Ralph Habib / France / 1955 Me 13 fév 17h00
- Humeur vagabonde (L') Edouard Luntz / France / 1971 Je 28 fév 17h00
- Intrigantes (Les) Henri Decoin / France / 1954 Ve 22 fév 20h30
- Jardin qui bascule (Le) Guy Gilles / France / 1974 Me 27 fév 17h00
- Jeanne la Française Carlos Diegues / Brésil / 1973 Ve 29 fév 21h45
- Jeanne M. : côté cour, côté coeur Annie Chevalley, Pierre-André Boutang, Josée Dayan / France / 2007 Sa 1 mar 12h30
- Jeux de femmes Maurice Cloche / France / 1945 Sa 1 mar 19h30
- Journal d'une femme de chambre (Le) Luis Buñuel / France-Italie / 1964 Me 6 fév 20h00 Di 17 fév 19h15
- Jules et Jim François Truffaut / France / 1961 Sa 9 fév 20h30
- Julietta Marc Allégret / France / 1953 Lu 11 fév 20h30
- Jusqu'au bout du monde Wim Wenders / France, Allemagne, Australie / 1990 Ve 29 fév 14h30
- Liaisons dangereuses 1960 (Les) Roger Vadim / France / 1959 Me 13 fév 21h30
- Louves (Les) Luis Saslavsky / France / 1956 Ve 22 fév 14h30
- M'sieur la Caille André Pergament / France / 1955 Lu 11 fév 17h00
- Mademoiselle Tony Richardson / Grande-Bretagne, France / 1965 Lu 25 fév 17h00
- Mariée était en noir (La) François Truffaut / France-Italie / 1967 Sa 23 fév 21h00
- Marin de Gibraltar (Le) Tony Richardson / Grande-Bretagne / 1965 Sa 23 fév 17h30
- Mata Hari, agent H 21 Jean-Louis Richard / France-Italie / 1964 Me 20 fév 19h00
- Miraculé (Le) Jean-Pierre Mocky / France / 1986 Di 24 fév 21h30
- Moderato cantabile Peter Brook / France-Italie / 1960 Je 14 fév 19h30
- Nathalie Granger Marguerite Duras / France / 1972 Ve 29 fév 19h00
- Nuit (La) Michelangelo Antonioni / Italie-France / 1960 Sa 16 fév 21h00
- Pas suspendu de la cigogne (Le) Theo Angelopoulos / France, Grèce, Suisse, Italie / 1991 Di 2 mar 21h30
- Peau de banane Marcel Ophuls / France, Italie / 1963 Ve 15 fév 17h00
- Petit théâtre de Jean Renoir (Le) Jean Renoir / France, Italie, République fédérale d'Allemagne / 1969 Me 27 fév 21h30
- Plein sud Luc Béraud / France, Espagne / 1980 Di 2 mar 17h30
- Procès (Le) Orson Welles / France-Italie-RFA / 1962 Lu 18 fév 17h00
- Propriétaire (La) Ismail Merchant, Andrew Litvak / Grande-Bretagne, France, Turquie, États-Unis / 1995 Ve 15 fév 21h00
- Querelle Rainer Werner Fassbinder / République fédérale d'Allemagne-France / 1982 Lu 3 mar 17h00
- Reine Margot (La) Jean Dréville / France, Italie / 1954 Ve 8 fév 14h45
- Salaire du péché (Le) Denys de La Patellière / France / 1956 Di 10 fév 21h30
- Souvenirs d'en France André Téchiné / France / 1974 Sa 1 mar 17h30
- Temps qui reste (Le) François Ozon / France / 2004 Je 28 fév 21h30
- Touchez pas au grisbi Jacques Becker / France, Italie / 1953 Je 7 fév 19h30
- Trois jours à vivre Gilles Grangier / France / 1957 Je 28 fév 19h30
- Truite (La) Joseph Losey / France / 1982 Lu 3 mar 20h30
- Une histoire immortelle Orson Welles / France / 1966 Di 24 fév 19h00
- Valseuses (Les) Bertrand Blier / France / 1973 Je 21 fév 17h00
- Vieille qui marchait dans la mer (La) Laurent Heynemann / France / 1991 Ve 22 fév 17h00
- Viva Maria ! Louis Malle / France, Italie / 1965 Je 21 fév 21h00
Rencontres et conférences

- Le Journal d'une femme de chambre Luis Buñuel
- L'Homme de ma vie Guy Lefranc

- Touchez pas au grisbi Jacques Becker
- Ascenseur pour l'échafaud Louis Malle
- Les Hommes en blanc Ralph Habib
- Le Dos au mur Edouard Molinaro

- Les Liaisons dangereuses 1960 Roger Vadim
- Le Dialogue des Carmélites Philippe Agostini, Raymond-Léopold Bruckberger
- Moderato cantabile Peter Brook

- La Baie des Anges Jacques Demy
- Cet amour-là Josée Dayan
- Peau de banane Marcel Ophuls

- La Propriétaire Ismail Merchant, Andrew Litvak

- La Nuit Michelangelo Antonioni

- Le Feu follet Louis Malle
- Mata Hari, agent H 21 Jean-Louis Richard
- Falstaff Orson Welles
- Les Louves Luis Saslavsky
- La Vieille qui marchait dans la mer Laurent Heynemann
- Les Intrigantes Henri Decoin
- Le Jardin qui bascule Guy Gilles
- Le Corps de Diane Jean-Louis Richard

- Le Petit théâtre de Jean Renoir Jean Renoir
- L'Humeur vagabonde Edouard Luntz
- Trois jours à vivre Gilles Grangier
- Le Temps qui reste François Ozon
- Jusqu'au bout du monde Wim Wenders

- Nathalie Granger Marguerite Duras
- Jeanne la Française Carlos Diegues
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