Images des Outre-mer
Du 14 au 31 décembre 2011
Et pourtant ils tournent…
Minorés depuis leur naissance à la fin des années soixante, les cinémas des Outre-mer français se sont développés depuis une quarantaine d’années envers et contre tout. Mais existe-t-il un cinéma des Outre-Mer ? Si un cinéma existe à travers un catalogue de courts, moyens, longs métrages et documentaires, les cinémas des Outre-Mer français sont sans doute plus vivants que nombre de cinématographies aujourd’hui. De Dérive ou la femme jardin réalisé par Jean-Paul Césaire au sein des ateliers du Sermac en Martinique en 1977 à Tout est encore possible, le récent film de Christian Lara, plus de quarante longs métrages ont été produits dans l’espace ultramarin.
En 1978, les Antillo-Guyanais se précipitèrent en masse dans les salles de cinéma pour découvrir Coco la fleur, candidat de Christian Lara, un des pères fondateurs avec Jacques Ferly de ce cinéma et dont le premier film, le court métrage Lorsque l’herbe, réalisé en 1968 fut primé aux Journées cinématographiques de Carthage. Entendre parler créole, voir les images et les gens de chez soi de l’intérieur alors que jusque-là ils étaient sujet ou décor de films documentaires et publicitaires fut une vraie révolution dans la communauté antillo-guyanaise. Le film occupa pendant des semaines les salles de cinéma de l’Hexagone. La consécration arriva l’année suivante avec la sélection au festival de Cannes de Ô Madiana de Constant Gros-Dubois.
Un regard sur la réalité des Outre-mer
Si l’existence de ce cinéma ne peut plus être contestée, son contenu nous interroge sur la réalité socio-culturelle de ces populations. En égrenant la filmographie des Outre-mer, on remarque une communauté artistique présente depuis toujours, mais mise en lumière à l’occasion du Concours de scénario de court-métrage de l’Outre-mer qui permit de prendre conscience de la similitude dans les regards, de l’écriture très particulière qui passe aux yeux de certains pour analphabétisée et qui n’est autre que la preuve du bouillonnement inventif dont cette population fait preuve. Dans le bassin caribéen et dans l’océan indien, une nouvelle langue mélange dans une même phrase créole et français, saupoudrée de temps en temps d’anglais et que j’ai nommée le francréole. Une langue parlée que les réalisateurs et scénaristes ont transcrite afin que leurs films collent au plus près à leur réalité, ce qui est attendu de tout artiste, en général. Cette manière également de se balancer dans les gestes et dans les mots, l’écriture biguinée, l’imaginaire qui entremêle vivants et morts, Dieu et Diable à la manière du « nô » japonais et qui a la douce appellation de « réalisme merveilleux ».
Tous ces ingrédients se retrouvent mêlés comme l’est le sang des habitants de ces territoires, même quand il s’agit de décrire une situation sociale, Koman I lé la source de Madeleine Beauséjour, Les Enfants de cyclone, Ernest Léardée ou le roman de la biguine de Christiane Succab Goldman, Rue Case-Nègres d’Euzhan Palcy, Aliker de Guy Deslauriers, Chronique du cœur de Jacques Ferly, Têt gréné de Christian Grandman ou encore Nèg Maron de Jean-Claude Flamand Barny, Bourg la folie de Benjamin Jules-Rosette ou La Vieille Quimboiseuse et le majordome de Julius Amédé Laou, face-à-face extraordinaire entre Jenny Alpha et Robert Liensol, Ma grena et moi, Zétwal de Gilles Elie-Dit-Cosaque, ces figures de style que n’aurait pas refusées Raymond Queneau, cimentent les dialogues. Du côté des comédiens, cette manière de parler avec son corps pour renforcer les mots comme chez Firmine Richard découverte dans Romuald et Juliette de Coline Serreau et récompensée pour son rôle dans Huit femmes de François Ozon, la gestuelle si caractéristique d’Alex Descas, acteur fétiche de Claire Denis ou Robert Liensol arpentant les trottoirs de Paris dans Neige de Juliet Berto et Jean-Henri Roger ou grand-père charismatique dans Kirikou de Michel Ocelot sont autant d’éléments qui donnent à ces œuvres un style particulier. Les comédiens ultramarins sont loin d’être unbankables dans les films d’ailleurs, alors qu’ils le deviennent dès lors qu’il s’agit de films ultramarins pour les financiers du cinéma français.
Un renouveau artistique
Après la première vague qui connut son apogée avec Rue Cases-Nègres d’Euzhan Palcy (prix à Venise), une nouvelle génération formée aux États-Unis et en Europe déferle en provenance de tout l’espace ultramarin. Stéphane Baillet avec 24 heures dans la vie d’un mort signe un des premiers films de la nouvelle génération calédonienne, Fabrice Pierre avec Tremens et Le Gardien alimente avec humour et talent le cinéma guadeloupéen, La Femme qui passe de la Martiniquaise Véronique Kanor inaugure une manière particulière de mélanger roman-photos et images, pour une lecture à plusieurs niveaux. On retrouve chez Karine Gama, la benjamine de cette famille en pleine expansion, une écriture directement influencée par ce réalisme merveilleux dans Umborella et Soupe a pié. Quand Gabriel Glissant, un des premiers Antillais à intégrer l’IDHEC, devenu depuis Fémis, théorisait sur le cinéma de l’Outre-mer, il préconisait le tournage intégral des films en langue francréole afin de former la population à une lecture du film sans décryptage linguistique. Il y a donc une sensibilité propre aux Outre-mer, des narrations poétiques spécifiques, des rythmes qui donnent à ces cinémas une dimension peu commune. Ce cachet particulier qui fait le succès de leurs littératures, de leur musiques et de leurs cinémas.
Osange Silou-Kieffer