Giuseppe Rotunno

Du 22 mars au 2 avril 2006

Giuseppe Rotunno, le songe de la lumière

En près de quarante ans de carrière, Giuseppe « Peppino » Rotunno a photographié plusieurs chefs-d’œuvre, parmi lesquels les plus beaux films de l’histoire du cinéma italien. Il a porté, avec quelques autres (ils sont rares), l’art de la lumière, de la couleur et de la photographie à son point le plus exact, le plus sublime : usant d’artifices pour atteindre le naturel, d’effets spéciaux pour trouver la vérité, loin de l’esthétisme encombrant ou de la virtuosité gratuite. La vie et le travail de Giuseppe Rotunno sont indissociables de deux grands maîtres italiens dont le nom et l’œuvre sont invariablement associés aux notions de baroquisme, « décadentisme », flamboyance visuelle : Luchino Visconti et Federico Fellini. Deux cinéastes que pourtant tout oppose, dans les méthodes de travail comme dans l’idéologie ou les visions cinématographiques, mais que Rotunno a su servir fidèlement, en les comprenant et en les aidant à édifier leurs plus ambitieux projets.

Artisan au sens le plus noble du terme, donc artiste, Giuseppe Rotunno parle toujours du travail du directeur de la photographie comme un élément, certes essentiel de la réussite d’un film, mais ni supérieur ni isolé du travail du cinéaste et des autres techniciens et artistes œuvrant avant, pendant et après un tournage. Lorsque Rotunno évoque son métier, c’est davantage pour parler de rythme, de prise de son directe, de mouvements de caméra plutôt que de références convenues aux grands maîtres de la peinture. Tout simplement parce qu’il sait empiriquement que le cinéma est du temps avant d’être de l’image, et que le paradoxe passionnant de son métier est d’offrir aux spectateurs, grâce aux images créées par lui et par le cinéaste, des émotions, des sensations, des réflexions qui ne sont pas uniquement de l’ordre du ravissement pictural. Rocco et ses frères, Le Guépard, Journal intime, Roma ou le Casanova de Fellini… autant de chefs-d’œuvre, pour ne citer que les plus immenses dont la photographie, d’une diversité exceptionnelle y compris chez le même réalisateur (comparer la lumière douce et velouée de Journal intime de Valerio Zurlini aux ambiances funèbres et oniriques de Fellini, le noir et blanc contrasté et glacial de Rocco aux couleurs chaudes du Guépard), concourt à une expérience cinématographique qui, quelle que soit sa source (littérature, rêves, chronique sociale) ou son aboutissement (reconstitution du passé, du présent, ou création d’un monde imaginaire) parvient à faire oublier la technique et le savoir-faire pour nous faire voyager dans l’espace et le temps.

Giuseppe Rotunno est né à Rome en 1923. Issu d’un milieu modeste d’artisans, très jeune il devient très soutien de famille à la mort de son père et c’est par hasard qu’il franchit les portes de Cinecittà, à la recherche d’un emploi. Il travaille d’abord dans les laboratoires de développement, devient photographe de plateau dès 1940, puis occupe des petits postes d’assistant notamment auprès de Rossellini (L*’Uomo dalla croce*). Enrôlé dans l’armée italienne en 1942, il est envoyé en Grèce comme reporter de guerre, où il est fait prisonnier par les Allemands en 1943. Libéré par les troupes américaines en 1945, il rentre en Italie, profondément marqué par sa captivité. Opérateur de Marco Scarpelli et de G. R. Aldo (pour Umberto D de De Sica), Giuseppe Rotunno remplace ce dernier lors de sa mort accidentelle sur le tournage de Senso de Luchino Visconti, et dirige la photo de plusieurs scènes du film, tourné en Technicolor. Cette expérience inaugure une collaboration de sept films avec Visconti, et une maîtrise précoce de la couleur. Rotunno avait en effet participé aux premiers films (mineurs) tournés en couleurs en Italie, ce qui lui vaut d’être embauché sur quelques films aux effets photographiques spectaculaires comme Pain, amour, ainsi soit-il de Dino Risi (en Cinemascope et Eastmancolor) ou La Maja nue d’Henry Koster, co-production internationale sur la vie de Goya où il photographie Ava Gardner (il retrouvera la star un an plus tard dans Le Dernier rivage de Stanley Kramer, premier film de sa carrière hollywoodienne, puis dans La Bible de John Huston).

La filmographie impressionnante de Rotunno témoigne de la richesse de sa palette, de sa capacité d’adaptation et du large éventail de son inspiration et de son imagination. Dans les années soixante, il enchaîne les grands films et les défis techniques, des fresques historiques en noir et blanc de Monicelli (La Grande guerre, Les Camarades) aux comédies à sketches à la mode à l’époque, en passant par la superproduction La Bible de John Huston, tournée en 70 mm et qui nécessite la création de styles visuels particuliers pour chaque épisode, et de nombreux effets spéciaux. Les années cinquante et soixante sont dominées par sa collaboration avec Visconti : Nuits blanches, Rocco et ses frères, Le Travail, Le Guépard, La Sorcière brûlée vive, L’Étranger, autant d’expériences souvent géniales marquées par le perfectionnisme de Visconti, son obsession du détail et du réalisme, à la fois psychologique et esthétique. La relation avec Visconti s’achève lorsque Rotunno accepte l’invitation de Fellini, la deuxième plus grande rencontre de sa vie : une relation artistique, fusionnelle, amicale, amoureuse presque, s’installe entre les deux hommes, au fil des films élaborés ensemble, dans l’euphorie enfantine de la création d’univers fantasmatiques au sein du magique studio 5 à Cinecittà. De Toby Dammit (sketch des Histoires extraordinaires, 1967) à Et vogue le navire (1982), Rotunno est le complice des rêves, des souvenirs et des cauchemars mis en scène par Fellini, dans un mélange unique de carton-pâte et de réalisme absolu, de confusion et de précision, de figurants non-professionnels s’exprimant en dialecte et de vedettes américaines égarées à Rome. Impossible de dissocier Fellini, dans les années soixante-dix, de ses principaux collaborateurs : les scénaristes Bernardino Zapponi et Tonino Guerra, le compositeur Nino Rota, le décorateur Danilo Donati, et Giuseppe Rotunno bien sûr qui, au cœur de cette troupe d’intellectuels et d’artisans, sera capable de rendre réelles les visions oniriques du « Maestro » et d’apporter à la matière documentaire de son cinéma une dimension fantastique. Des films qu’ils ont fait ensemble, Rotunno considère Satyricon, adaptation de Pétrone qui doit davantage à la science-fiction, la bande dessinée et le psychédélisme qu’à la reconstitution historique, comme son travail le plus complet.

Dans la seconde partie de sa carrière, Rotunno multiplie les incursions à Hollywood (Une femme d’affaires d’Alan J. Pakula, Cinq jours ce printemps-là, le beau et ultime film de Fred Zinnemann), avec une fidélité particulière à Mike Nichols (Ce plaisir qu’on dit charnel, A propos d’Henry, Wolf), tout en travaillant en Italie pour des productions plus commerciales, comme les comédies de Lina Wertmüller, Salvatore Samperi ou Sergio Corbucci. Plusieurs cinéastes font appel à ses services par admiration pour son travail avec Visconti ou Fellini. C’est le cas de Giuseppe Patroni Griffi, ancien scénariste de Visconti, qui signe avec Divine Créature un drame historique marqué par le décadentisme littéraire sous l’influence de l’auteur de Senso, de Bob Fosse, dont All that jazz est un hommage à Huit et demi et dont les va-et-vient constants entre le rêve et la réalité, la vie et le spectacle renvoient à l’univers fellinien, de Terry Gilliam qui réunit pour son Baron Munchausen les meilleurs artisans et techniciens du cinéma italien et anglais, pour une superproduction aussi dispendieuse que délirante, qui vira au fiasco.

Giuseppe Rotunno participera également à l’une des aventures les plus singulières du cinéma américain des années quatre-vingts, le Popeye de Robert Altman, étrange rencontre entre les méthodes de travail anticonformistes du cinéaste et les studios Disney, qui se soldera par un échec commercial mais un film à la poésie indéniable, quasi-expérimental par sa mise en scène et ses partis pris visuels. Giuseppe Rotunno est encore très actif, tant aux Etats-Unis qu’en Italie jusqu’au milieu des années quatre-vingt dix, avant d’abandonner progressivement les plateaux pour se consacrer avec ferveur à l’enseignement de la photographie, à la Scuola Nazionale di Cinema de Rome, poste qu’il occupait depuis 1988.

Homme de passion, entièrement dévoué au cinéma, Giuseppe Rotunno demeure très occupé par la transmission de son art comme par la sauvegarde du patrimoine cinématographique. On lui doit en effet les restaurations superbes des films qu’il a photographiés : Le Guépard en 1983 enrichi de plusieurs scènes supplémentaires, Roma en 2002, Journal intime en 2005, ainsi que d’autres classiques du cinéma italien (par exemple en 2003, Une journée particulière de Scola, photographié par Pasqualino De Santis).

Olivier Père

Les films

Divine créature
Giuseppe Patroni Griffi , 1975
Ve 24 mar 17h00   GF
Popeye
Robert Altman , 1980
Sa 1 avr 14h30   HL
Les Sorcières
Luchino Visconti, Mauro Bolognini, Pier Paolo Pasolini, Vittorio De Sica, Franco Rossi , 1966
Je 23 mar 17h00   GF
Wolf
Mike Nichols , 1993
Di 2 avr 14h30   HL

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