Friedrich W. Murnau

Du 26 octobre au 31 décembre 2006

Le « génie allemand » : Friedrich Wilhelm Murnau

Les rétrospectives retraçant l’œuvre de Friedrich Wilhelm Murnau, malgré toute exigence de perfection, restent forcément incomplètes. Actuellement, neuf films parmi les vingt-et-un que le metteur en scène réalisa entre 1919 et 1930 sont portés disparus : Les Quatre diables, un film d’artiste produit en 1928 aux États-Unis ; L’Expulsion (1923) et Un bel animal (1921), deux drames d’amour champêtres, ainsi que toutes les premières œuvres, six films datant des années 1919 et 1920.

Peu de critiques contemporaines, matériels de publicité, scénarios, affiches ou photographies conservées peuvent nous renseigner sur ces films de Murnau tournés durant les premières années d’après-guerre. Murnau débute comme comédien chez Max Reinhardt. En décembre 1917, envoyé au front Ouest, Murnau atterrit en Suisse lors d’un vol d’éclaireur et fut interné. En collaboration avec d’autres prisonniers allemands, il mit en scène deux pièces de théâtre et écrivit un projet de scénario. Après son retour en février 1919, il se lança immédiatement dans le travail cinématographique avec quelques amis du Théâtre allemand. Ainsi furent créés rapidement L’Émeraude fatale, Satanas, La Tragédie d’un danseur, Le Bossu et la danseuse, Le Crime du Dr Warren.

Déjà, le projet de film en Suisse de La Fille du diable raconte une histoire telle que l’homosexuel Murnau les réalisera plus tard avec des variantes toujours nouvelles : un rêve de pacte avec le diable, une femme séduisante et séduite, ainsi que la ruine des hommes – probablement parce qu’elles reflètent les ambivalences liées à son histoire : à mi-chemin situé entre son pays (la Westphalie) et la grande ville de Berlin, entre provincialisme et mondanités, entre modestie et insatiabilité. Les types de femmes qui caractérisent ses films sont également déjà esquissés dans La Fille du diable : la femme coquette et insouciante et la femme au foyer, bien sage et fidèle.

Promenade dans la nuit / La Marche dans la nuit (1920) pour lequel Carl Mayer, l’un des deux auteurs du Cabinet du docteur Caligari (1919), écrivit le scénario, est le premier film de Murnau conservé encore aujourd’hui. Il parle du bonheur tardif d’un médecin vieillissant qui s’installe avec une danseuse près de la mer et qui dorénavant ne vit que pour l’amour. Mais la jeune femme est fascinée par un peintre aveugle qui s’enflammera d’une passion ardente pour elle. Au moment d’une tempête orageuse sur une mer houleuse, le destin les pousse tous trois au désespoir et à la mort.

Des averses d’automne violentes installent l’atmosphère du Château de Vogelöd (1921), qui est à la fois un film policier et un drame autour d’un mariage malheureux : un baron, amoureux et marié depuis peu, rentre d’un voyage bigot et introverti, ce que sa femme supporte très mal. Un thème étrange qui réussit bien à Murnau – souvent, la froideur entre les sexes règne dans ses films et nul autre metteur en scène ne l’a mis en image de façon aussi effrayante et avec autant d’insistance. Des années plus tard, Murnau racontera presque la même histoire dans Tartuffe (1925).

Dans Nosferatu le vampire (1922), les paysages de mer et de montagne et le climat jouent les mêmes rôles que les interprètes. L’aspect funèbre du comte Orlock est renforcé par les cimes d’arbres qui se courbent tout autour de son château ou bien par la mer démontée sur laquelle son bateau glisse toutes voiles dehors : Murnau prit le temps d’observer le spectacle de la nature ; même le gros plan d’un loup fut intégré dans le film – une allusion au loup-garou qui infeste la nuit les alentours du château hanté. Très tôt, Murnau intégra dans ses films des scènes d’extérieur, leur attribuant également une fonction dramatique.

La Terre qui flambe (1922) fut la première collaboration de Murnau avec Thea von Harbou, qui fut plus tard scénariste et épousa Fritz Lang. Il s’agit à nouveau d’une histoire de cupidité et de nostalgie des pays lointains, de femmes calculatrices et fidèles, d’un héritage frappé par une malédiction. L’étroitesse pesante des salles rustiques que le héros ne supporte plus, Murnau la contrecarre avec les salons très hauts du manoir auquel le jeune homme plein d’ambition aspire. Et, là encore, il y a des prises en extérieur : des vastes étendues hivernales et désolées, des silhouettes d’arbres, d’hommes, de calèches sur de gigantesques plaines enneigées.

Dans le film Fantôme, tourné en 1922 d’après Gerhart Hauptmann, on remarque surtout les trucages qui visualisent les fantasmes, les visions et rêveries du héros Lorenz Lubota : obsédé par son amour pour une apparition, il ne perçoit le monde que de façon déformée ; le monde tourne et se déplace ; des murs de maisons semblent descendre sur lui, des ombres cherchent à le saisir. Fantôme fut le premier film de Murnau réalisé avec des efforts techniques considérables ; dans Le Dernier des hommes (1924) et dans Faust (1926), il devait atteindre les limites de la technique alors sophistiquée de la caméra et des trucages et motiver son équipe à accomplir des performances extrêmes.

Le seul film gai de Murnau est une comédie portant sur la dépression, Les Finances du grand-duc (1923), à l’époque tout à fait d’actualité. À l’heure de la pire des inflations en Allemagne, la banqueroute d’États miniatures et fictifs amusa le peuple, et on admira la nonchalance de la noblesse appauvrie.

En mai 1924, Murnau commença le tournage du Dernier des hommes sur un script de Carl Mayer, son collaborateur de confiance. Le rôle principal du film ainsi que des deux films suivants – les derniers en allemand – fut interprété par Emil Jannings. Il incarne un portier d’hôtel dans un bel uniforme de fantaisie, relégué par le jeune et alerte directeur d’hôtel au rang de préposé aux toilettes. Le Dernier des hommes, qui compte parmi les classiques de l’histoire du cinéma allemand, fit sensation pour deux raisons : il n’a qu’un seul intertitre, ce qui était inhabituel en 1924 ; de plus, le caméraman Karl Freund avait « libéré la caméra du trépied et du chariot et inventé ainsi une version précurseuse de la Steadicam » : des panoramiques sauvages, des courses rapides, des montées en chandelle et des descentes à pic furent rendus possibles. Le triumvirat vedette Murnau-Mayer-Jannings se regroupa ensuite sur Tartuffe, film théâtral qui reste loin derrière Le Dernier des hommes.

Dans Faust (1926), Murnau mit en images à la perfection et de façon exemplaire le pacte avec le diable. Exceptées les séquences de trucages spectaculaires comme le vol en manteau, ce dernier film de Murnau dévoile également la dualité du metteur en scène. Faust est un film très moral : rudesse, avidité et fausseté sont réunies dans le personnage de Méphisto, séducteur vulgaire, incarné de façon idéale par Emil Jannings. En face se trouvent Faust, sillonné de rides et souffrant, Gretchen, vertueuse et rigide, les personnages de mères brisées et tolérantes qui tous se cantonnent dans une morosité muette mais agréable à Dieu.

En juillet 1926, Murnau partit en voyage pour New York où William Fox, le producteur, l’attendait. La presse le célébra comme le « génie allemand ». Le tournage de L’Aurore commença en septembre, c’était à nouveau une adaptation d’un livre de Carl Mayer. L’Aurore, avec son héros candide tiraillé entre une séductrice mondaine de la ville et son épouse honnête, s’insère harmonieusement dans l’ensemble des films Murnau-Mayer. Cependant dans L’Aurore se manifeste également le choc culturel auquel le metteur en scène s’est senti exposé : village allemand / grande ville américaine, brave paysanne / jouvencelle émancipée, morale de travail prussienne / société des loisirs moderne. L’Aurore pourrait être la tentative de sauver l’Ancien Monde face au Nouveau Monde.

L’Aurore (1927) fut réalisé dans une période de mutations entre le film muet et le film parlant, tout comme les deux suivants. Cette période fut marquée par des solutions de compromis comme, par exemple, les « part-talkies » : on tournait d’abord les films muets, que l’on complétait par des scènes dialoguées tournées plus tard. Ils sortirent ainsi dans les salles en tant que films parlants.

Ceci concerna le dernier projet en commun de Murnau et Mayer, Les Quatre diables, ainsi que le film Our Daily Bread, tourné en 1929, qui ne sortit dans les salles qu’en 1930 sous le titre de City Girl. La version muette du film, toujours conservée aujourd’hui, fut tournée pour l’export. Elle montre une dernière fois le Murnau champion de la mise en scène. Il s’agit à nouveau d’une histoire opposant ville et village : le fils d’un fermier débarque à Chicago pour une vente de blé, se marie sur-le-champ avec une serveuse et l’amène à la maison. Le père n’estime pas les femmes de la ville et s’emploie à les séparer. Il régnait de toute façon déjà entre eux la distance typique des films de Murnau.

En mai 1929, Murnau rallia sur son voilier Los Angeles à Tahiti. Il en avait assez d’Hollywood et rêvait de tourner des films dans des lieux réels. À Tahiti, il fit le projet de réaliser un documentaire avec Robert Flaherty. Murnau investit sa propre fortune dans ce projet qu’il mit lui-même en scène. La participation de Flaherty porta sur le scénario et l’image. Le film fut joué exclusivement par des comédiens amateurs, en décors réels : c’est ainsi qu’est né le film le plus connu peut-être de Murnau, Tabou. Murnau s’occupa du montage avant de retourner à Los Angeles en octobre 1930 avec le négatif terminé.

Tabou est l’un des derniers films muets célèbres. Après son retour à Hollywood, il ne restait à Murnau que quelques mois à vivre. On ignore s’il aurait pu s’adapter au parlant. Il trouva la mort le 11 mars 1931 dans un accident de voiture.

Daniela Sannwald

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