Francis Lacassin
Du 22 décembre 2008 au 5 janvier 2009
Pour une contre histoire permanente du cinéma
Francis Lacassin, disparu dans la nuit du 12 août 2008 à l’âge de 76 ans, était un monstre d’érudition, à l’image de ces bibliographes compulsifs du XIXe siècle, sachant tout, ayant tout vu, tout lu. Il possédait une immense collection de livres, rassemblés depuis ses années d’études universitaires à Montpellier. Chercheur intrépide, exhumant les trésors inconnus ou oubliés des décombres de la civilisation Gutenberg, Lacassin exerça ses talents dans bon nombre de domaines : scénariste, historien du cinéma, certes, mais aussi et surtout éditeur de littérature populaire, roman policier, roman noir, roman d’aventures, fantastique, bande dessinée, roman d’espionnage, éditeur des œuvres de Jack London, Lewis Carroll, Boileau-Narcejac, Simenon, Jules Verne, Souvestre et Allain, Robert-Louis Stevenson, Casanova (L’Histoire de ma vie) et Léo Malet, ses deux entreprises préférées.
En guerre contre tous les conformismes, Lacassin imposa la bande dessinée comme « un neuvième art », réhabilitant les Pieds Nickelés et Tarzan, en profitant du même coup pour dénoncer et ridiculiser la censure pudibonde qui sévissait encore. Désargenté et bibliophile, il courait les puces et les brocantes, à la recherche du 12e fascicule des aventures de Nick Carter absent à la Bibliothèque nationale, ou des premiers Simenon. À la tête de sa vaste collection personnelle de l’infra-littérature, il se livrait à des orgies de lectures et à d’étonnantes découvertes, révélant les « emprunts » de Blaise Cendrars à Gustave Le Rouge, des inédits de Jules Verne. Grâce aux relations privilégiées qu’il entretenait avec certains grands éditeurs (Christian Bourgois, Jean-Jacques Pauvert, Eric Losfeld, Guy Schoeller), il parvint à publier des éditions savantes de tous ses auteurs préférés.
De ses quelques années d’initiation à la Cinémathèque française avenue de Messine, de ses amitiés anciennes avec Bernard Chardère, Claude Beylie et l’équipe de Positif, Lacassin avait construit peu à peu, patiemment, un savoir encyclopédique sur le cinéma, qui s’ajoutait à sa science bibliophilique et littéraire. Ses recherches en cinéma, comme en lettres, allaient vite s’orienter vers des sujets alors très peu explorés et même méprisés : le cinéma muet français essentiellement, dont il devint l’un des meilleurs spécialistes. La somme de ses recherches personnelles donna jour à des livres-phares, toujours inégalés : Pour une contre-histoire du cinéma (1972) ; Louis Feuillade, maître des lions et des vampires (1995) ; Alfred Machin, de la jungle à l’écran (2002) ; À la recherche de Jean Durand (2004), etc. La cinéphilie de Francis Lacassin serait à elle seule un sujet d’étude, tant elle était originale. Elle était dirigée, comme pour la littérature, vers la contre-culture, les genres populaires et dédaignés, le cinéma impur. Les domaines du rêve, du fantastique, de l’imagination débridée, du surréalisme poétique, de l’absurde, étaient ceux que Lacassin aimait explorer et habiter, devenant de plus en plus « retranché de ce monde : je ne suis plus de ce monde, je suis entre les livres ».
Laurent Mannoni