Esther Mysius et Camille Rouaud

Le 5 septembre 2022

L’expérience est d’abord sensorielle. C’est de plein fouet qu’on se prend les films de ce duo d’architectes – cinéastes, Esther Mysius et Camille Rouaud. De pures sensations physiques. C’est l’œil d’un cheval qui hennit très fort, des visages blancs sur une terre noire, une terre habitée en Mongolie qui se déploie massivement en un plan aérien, des pendus qui se découpent à l’horizon, au passage d’une charrette transportant une famille vers un village où sévit une épidémie au 16eme siècle. Des voix, des musiques, des sons ou des langages qu’on n’a jamais entendus. Gueule d’Isère, Blanc Ninja, Les Ardents, trois films réunis par le lien indéfectible de personnages avec la terre. Dans Gueule d’Isère, un père explique à sa fille que dans certaines peuplades des steppes, les sabots des chevaux sont enveloppés dans des tissus pour ne pas user le sol. C’est sacré. Le lien est fait immédiatement avec Blanc Ninja, situé en Mongolie où il est interdit « d’ouvrir la terre ». Cela n’empêchera pas la fillette d’uriner sur les fourmis partant en tout sens sur la terre noire et charbonneuse. Les limites n’existent pas, les interdictions ne sont pas faites pour être respectées. Le loup ne peut s’empêcher de croquer la brebis, la centrale voltaïque engendre des expropriations de maisons où de vielles dames ont vécu toutes leurs vies, les mineurs clandestins jouent avec leur vie et les villageois du 16eme siècle sont contaminés par l’ergot de seigle (dont est dérivé le LSD) : Mysius et Rouaud pratiquent un cinéma des extrêmes où l’homme peut s’effacer, être littéralement avalé. On peut y disparaitre du jour au lendemain si on est allé trop loin, si on a défié les dieux et les déesses. Telle Ätügän, la déesse mongole de la Terre dont il est question dans Blanc Ninja, qui engloutira Abel, le cartographe personnage principal du film, à moins qu’il ne soit victime des nomades fantômes, mineurs illégaux qu’il accompagne. Dans les trois films, on ressent un danger impalpable, qui trouve son apothéose dans Les Ardents et sa fin complètement folle qui nous fait dire aussi que chaque film d’Esther Mysius et Camille Rouaud est un combat contre les ombres, un conte mythologique où la parole est aussi importante que l’image. Avec Paul Guilhaume, chef opérateur des trois films, ils nous rappellent aussi que le cinéma permet l’hybridation des formes, poétiques, stylisées, photographiques, ou documentaires, et la création de mondes imaginaires basés sur la réalité.