Delphine Seyrig
« Qui pensez-vous que je sois ? », interroge l’envoûtante comtesse Elizabeth Bathory, femme vampire jouée par Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges, de Harry Kümel (1971). « Je ne suis qu’un personnage démodé, anachronique, rien de plus. Vous savez, la belle étrangère un peu lasse, un peu mystérieuse qui traîne son spleen d’une ville à une autre… » Voix irréaliste de violoncelle à la diction si particulière, comme suspendue à sa respiration, démarche souple et souveraine, présence exceptionnelle alliée à un jeu d’une grande précision, immense actrice, Delphine Seyrig a merveilleusement incarné la complexité et la contradiction. Être de rêve et de mystère, certes, mais aussi femme engagée dans les luttes féministes de son temps, n’hésitant pas à « casser son image », elle est la fois ironique et distinguée, proche et distante, séductrice et sans concession, élégante et intelligente.
Née au Liban en 1932 d’un père français archéologue et d’une mère genevoise, navigatrice passionnée de Rousseau, Delphine Seyrig s’installe en France à l’âge de 20 ans. Après avoir suivi les cours de Roger Blin, Pierre Bertin et Tania Balachova, elle débute au Centre dramatique national de l’Est et à la Comédie de Saint-Étienne, puis repart pour New York où elle reçoit les enseignements de Lee Strasberg et découvre la méthode de l’Actors Studio. C’est pour elle une révélation : les comédiens ne sont pas au service d’un texte, il leur faut au contraire se projeter et se connaître sous les facettes les plus personnelles et les plus secrètes, de manière à s’en servir comme on joue d’un clavier. Aux États-Unis, elle tourne dans son premier film, l’étonnant Pull My Daisy (1959) de Robert Frank et Alfred Leslie, sur le mouvement beat, qui sortira en complément de programme de Shadows (1957) de John Cassavetes. Repérée par Alain Resnais alors qu’elle interprète sur scène Un ennemi du peuple d’Ibsen, elle devient le sphinx énigmatique de L’Année dernière à Marienbad (1961). Ce film au succès international marque un tournant dans sa carrière : le mythe de la divine « DS » est né, Delphine Seyrig s’inscrit désormais dans la lignée d’actrices comme Garbo.
Cette image de femme éthérée, intemporelle, hiératique, lui est restée longtemps attachée. Pourtant, Delphine Seyrig n’a cessé de « varier », pour reprendre la formule de Marguerite Duras, de se métamorphoser : « Tout ce que l’on veut de moi, je peux le devenir et le croire ». Icône d’une modernité cinématographique, proche de l’avant-garde, elle est tour à tour Hélène Aughain, vieillie de quinze ans, dans Muriel ou le temps d’un retour (1963) d’Alain Resnais, – rôle qui lui vaudra le prix d’interprétation au festival de Venise -, une ancienne amante bouleversante de beauté dans Accident (1966) de Joseph Losey, qui lui offre un autre rôle dans A Doll’s House (1973), la fascinante Fabienne Tabard de Baisers volés de François Truffaut (1968), la fée non conformiste de Peau d’âne de Jacques Demy (1970), l’exubérante et désopilante Marie-Madeleine, allégorie de Mr Freedom de William Klein (1969), ou encore une prostituée dans La Voie lactée (1969) de Luis Buñuel et une grande bourgeoise dans Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), du même. Ses apparitions marquent les esprits par leur fulgurance. Toujours surprenante, elle n’est jamais ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Comme un rêve familier.
Au cours des années soixante-dix, l’actrice rejoint le mouvement féministe avec passion et enthousiasme et travaille principalement avec des réalisatrices dont elle salue les formes, les visions et les thèmes nouveaux. Après La Musica (1966), elle retrouve Marguerite Duras dans India Song (1975), Son nom de Venise dans Calcutta désert (1976) et Baxter, Vera Baxter (1977). Delphine Seyrig devient la somptueuse Anne-Marie Stretter, renouant avec une image de femme idéalisée par les hommes, certes, mais qui, précise-t-elle, n’est pas satisfaite de sa condition et se tue non par amour, mais par désespoir. L’actrice contribue, par ses interprétations magistrales, à la reconnaissance de jeunes cinéastes comme Chantal Akerman (Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles, 1975 ; Golden Eighties, 1985 ; Letters from Home, 1986), Liliane de Kermadec (Aloïse, 1975), Patricia Moraz (Le Chemin perdu, 1979) ou Pomme Meffre (Le Grain de sable, 1982). Elle soutient aussi des œuvres expérimentales comme celle de la cinéaste allemande Ulrike Ottinger.
Celle qui a la réputation d’être une actrice « intellectuelle » et exigeante, s’impose également en femme d’action : « La seule entrave à sa liberté, c’est l’injustice dont les autres sont victimes », dira d’elle Marguerite Duras. Dans le prolongement de ses engagements, Delphine Seyrig s’empare de la vidéo, dès 1974, et réalise un essai documentaire, Sois belle et tais-toi (1975-1976), dans lequel elle interroge des actrices françaises et nord-américaines sur leur métier, et celles-ci révèlent l’absence de scènes d’amitié entre femmes. De sa collaboration avec ses complices féministes, naissent deux pamphlets irrévérencieux et caustiques, S.C.U.M. Manifesto (1976) et Maso et Miso vont en bateau (1976), à la conclusion en forme d’invitation : « Aucune image de la télévision ne veut ni ne peut nous refléter. C’est avec la vidéo que nous nous raconterons ». En 1982, avec Carole Roussopoulos et Ioana Wieder, elle fonde le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, dont l’objectif est de conserver la mémoire des luttes de femmes, qu’elle soutiendra avec ferveur jusqu’à sa mort prématurée, en octobre 1990, il y a tout juste vingt ans. Delphine Seyrig a toujours refusé de se laisser enfermer dans une image et dans un genre unique, menant toujours de front son travail au théâtre (Tchekhov, Pinter ou Handke, dirigée notamment par Claude Régy), au cinéma et à la télévision. Il est temps de (re)découvrir la filmographie riche et foisonnante de celle que Marguerite Duras qualifiait de « plus grande comédienne de France. – Et peut-être du monde entier ».
Hélène Fleckinger
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Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 22 septembre au 11 octobre 2010
Les films
- Accident Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1966 Sa 2 oct 21h45
- Aloïse Liliane de Kermadec / France / 1974 Je 30 sep 14h30
- Année dernière à Marienbad (L') Alain Resnais / France, Italie / 1960 Di 26 sep 14h30
- Autour de « Jeanne Dielman » Sami Frey / France / 1975 Sa 9 oct 19h00
- Baisers volés François Truffaut / France / 1968 Di 26 sep 21h30
- Baxter, Vera Baxter Marguerite Duras / France / 1976 Di 10 oct 19h30
- Bête dans la jungle (La) Benoît Jacquot / France / 1990 Di 26 sep 19h30
- Charme discret de la bourgeoisie (Le) Luis Buñuel / France-Italie-Espagne / 1972 Ve 24 sep 17h00
- Chemin perdu (Le) Patricia Moraz / Suisse-France-Belgique / 1979 Lu 4 oct 14h30
- Chère inconnue Moshé Mizrahi / France / 1979 Ve 1 oct 14h45
- Comédie Marin Karmitz, Jean Ravel, Jean-Marie Serreau / France / 1965 CM Sa 9 oct 19h00
- Contre une poignée de diamants Don Siegel / États-Unis / 1973 Ve 1 oct 17h00
- Delphine Seyrig Philippe Collin / France / 1970 CM Sa 25 sep 17h30
- Delphine Seyrig, portrait d'une comète Jacqueline Veuve / Suisse, France / 1999 Je 23 sep 21h15
- Documenteur Agnès Varda / France / 1980 Lu 11 oct 17h00
- Golden Eighties Chantal Akerman / France-Belgique-Suisse / 1985 Sa 2 oct 19h30
- Hedda Gabler Raymond Rouleau / France / 1967 Di 3 oct 19h30
- India Song Marguerite Duras / France / 1974 Sa 2 oct 14h30
- Inez Delphine Seyrig / France / 1974 CM Je 7 oct 19h00
- Jardin qui bascule (Le) Guy Gilles / France / 1974 Sa 2 oct 17h30
- Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce 1080 Bruxelles Chantal Akerman / Belgique, France / 1975 Sa 9 oct 15h00
- Journal d'un suicidé (Le) Stanislav Stanojevic / France / 1971 Me 6 oct 17h00
- Letters Home Chantal Akerman / France / 1986 Di 10 oct 21h30
- Lèvres rouges (Les) Harry Kümel / Belgique, France, République fédérale d'Allemagne, Italie / 1971 Ve 24 sep 14h30
- Lys dans la vallée (Le) Marcel Cravenne / France / 1970 Sa 25 sep 15h00
- Maison de poupée Joseph Losey / Grande-Bretagne, France / 1972 Di 3 oct 21h30
- Maso et Miso vont en bateau Delphine Seyrig / France / 1976 Je 7 oct 19h00
- Mister Freedom William Klein / France / 1968 Di 3 oct 17h30
- Muriel ou le temps d'un retour Alain Resnais / France-Italie / 1962 Me 22 sep 20h00
- Peau d'Ane Jacques Demy / France / 1970 6 Di 10 oct 15h00
- Petit pommier (Le) Liliane de Kermadec / France / 1981 Di 26 sep 17h30
- Pour mémoire Delphine Seyrig / France / 1987 CM Je 7 oct 19h00
- Pull my Daisy Robert Frank, Alfred Leslie / Etats-Unis / 1958 CM Sa 25 sep 17h30
- Qui a donc rêvé ? Liliane de Kermadec / France / 1966 CM Sa 25 sep 17h30
- Qui êtes-vous Polly Maggoo ? William Klein / France / 1966 Sa 9 oct 21h00
- Repérages Michel Soutter / France, Suisse / 1977 Lu 27 sep 14h30
- Sarah et le cri de la langouste Marcel Bluwal / France / 1985 Di 3 oct 14h30
- Scum manifesto Delphine Seyrig / France / 1976 CM Je 7 oct 19h00
- Sois belle et tais-toi Delphine Seyrig / France / 1976 Lu 27 sep 21h00
- Son nom de Venise dans Calcutta désert Marguerite Duras / France / 1976 Je 23 sep 19h00
- Troisième concerto (Le) Marcel Cravenne / France / 1963 Je 23 sep 17h00
- Une saison de feuilles Serge Leroy / France / 1989 Me 6 oct 15h00
Rencontres et conférences

- Muriel ou le temps d'un retour Alain Resnais
- Le Troisième concerto Marcel Cravenne

- Son nom de Venise dans Calcutta désert Marguerite Duras
- Delphine Seyrig, portrait d'une comète Jacqueline Veuve

- Les Lèvres rouges Harry Kümel
- Le Charme discret de la bourgeoisie Luis Buñuel
- Repérages Michel Soutter
- Qui êtes-vous Delphine Seyrig ? Conférence d'Hélène Fleckinger

- Sois belle et tais-toi Delphine Seyrig
- Aloïse Liliane de Kermadec
- Chère inconnue Moshé Mizrahi

- Contre une poignée de diamants Don Siegel
- Le Chemin perdu Patricia Moraz
- Une saison de feuilles Serge Leroy
- Le Journal d'un suicidé Stanislav Stanojevic

- Documenteur Agnès Varda
Partenaires et remerciements
Association Carole Roussopoulos, Bibliothèque nationale de France, Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, Cinémathèque de Toulouse, Cinémathèque du Luxembourg, Cinématek Bruxelles, Forum des images, Images de la culture (CNC), l'INA, MoMA, Arte vidéo, Carlotta Films, Ciné Tamaris, Mission Films, MK2, Tamasa, Claire Delpech, Sami Frey, Liliane de Kermadec, Wiliam Klein, Jean Mascolo, Nadja Ringart, Carole Roussopoulos, Coralie Seyrig, Ioana Wieder, Duncan Youngerman.
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