En trente ans, Claire Denis a réalisé une œuvre ouverte sur le monde, où les liens (filiaux, amoureux) entre les êtres humains ne sont jamais acquis, où les corps imposent leur présence avec sensualité, dans des territoires lointains ou proches. Rétrospective à l'occasion de la sortie de son nouveau film, Un beau soleil intérieur.
La fragilité des liens
La jeune femme conduit une voiture, clope au bec. Lituanienne, elle s'appelle Daïga et a les traits de l'actrice Katerina Golubeva. Elle vient voir sa tante à Paris, théâtre de faits divers violents, où de vieilles femmes sont assassinées chez elles. La conductrice est filmée de profil, elle écoute un vieux poste radio d'où s'échappe une musique aux rythmes afro-cubains. Dans d'autres films, ce plan presque anodin de J'ai pas sommeil, troisième long métrage de fiction de Claire Denis, serait peut-être passé inaperçu. Mais ici, cette image signée par sa fidèle directrice de la photographie, Agnès Godard, devient magique, mystérieuse, mélancolique.
J'ai pas sommeil, au fond, n'est pas ce qu'il devrait être au premier abord, à savoir un thriller où l'on a la chair de poule, un film de genre où l'on reconstitue un fait divers qui a réellement eu lieu. Il reste des éléments de ce film annoncé, mais subsiste surtout, comme souvent dans d'autres films de la cinéaste, une œuvre somnambulique où les personnages errent, se croisent et tentent souvent de (re)créer entre eux un lien qui finit par se défaire, comme le rappelle d'ailleurs dans le film la chanson de Jean-Louis Murat.
On se croit d'amour
on se croit féroce enraciné
mais revient toujours
le temps du lien défait.
En trente ans, Claire Denis a tissé la fragilité des affections : le lien entre une mère et son fils qui lui échappe et qu'elle ne comprend plus (J'ai pas sommeil), le lien entre une enfant et Protée, le boy noir d'une famille de colons au Cameroun (Chocolat), le lien entre un père et son fils (L'Intrus), ou entre un père et sa fille (35 rhums), entre un frère et une sœur (Nénette et Boni), les liens voraces, vampiriques entre les personnages de Trouble Every Day ou encore ce lien amoureux si difficile à reconstruire comme le vit Isabelle (Juliette Binoche), la cousine fictionnelle de Laure (le personnage de Vendredi soir, écrit par Emmanuelle Bernheim), dans le nouveau film de Claire Denis, Un beau soleil intérieur, dont l'auteur est aussi une écrivaine, Christine Angot. La plupart de ses films reprend souvent la figure narrative de l'entrelacement (ou du désentrelacement) pour évoquer la difficulté du rapport filial et l'oscillation des désirs amoureux. Pour les incarner le plus justement possible, Claire Denis a placé au centre de sa mise en scène les corps de ses comédiens, qu'elle scrute, enlace, dévore du regard. Qu'il s'agisse de leurs déplacements, lourds, fatigués, juvéniles, ou gracieux, des démarches flottantes ou assurées, et des visages, dont les regards écrivent davantage les films que les dialogues, jamais trop présents (excepté dans Un beau soleil intérieur). Le corps des hommes est mis à l'épreuve du réel pour atteindre une forme de mythologie, comme dans son film emblématique, Beau travail (1999). On se souvient notamment du duel entre Galoup (Denis Lavant) et Sentain (Grégoire Colin) sur les falaises de Djibouti comme s'il s'agissait de deux fauves prêts à s'affronter.
Le territoire et la musique
Ancienne assistante réalisatrice de Wim Wenders et Jim Jarmusch, entre autres, après avoir été diplômée de l'IDHEC en 1972, Claire Denis a toujours eu une fascination pour les figures de réalisateurs. C'est bien sûr Jacques Rivette, à qui elle consacre, aux côtés de Serge Daney, un portrait de Cinéma, de notre temps (Jacques Rivette, le veilleur, 1990) mais c'est aussi de manière plus contrebandière, une volonté de confier l'incarnation de certains de ses personnages à des cinéastes (Patrick Grandperret, Mati Diop, Xavier Beauvois, Bruno Podalydès...). C'est une autre manière de dire que la relation de Claire Denis au cinéma est totale, elle se densifie de visions très fortes, d'une ambition formelle récurrente. Ce qui provoque chez le spectateur, à l'évocation des films de la cinéaste, la réminiscence de souvenirs intimes ou de visions oniriques : une fillette qui regarde défiler les paysages désertiques du Cameroun (Chocolat), un vampire féminin ensanglanté se passant une allumette sous un regard hébété (Béatrice Dalle dans Trouble Every Day), des combats de coq impressionnants (S'en fout la mort), des voies ferrées serpentines (35 rhums).
Ces images sont d'ailleurs souvent associées à deux composantes essentielles : le territoire et la musique. Depuis son premier long métrage (Chocolat), Claire Denis n'a cessé d'ouvrir son territoire à l'Autre, ancrant ses récits dans des contrées lointaines (l'Afrique bien sûr, présente aussi dans White Material et bien sûr Beau travail), la Polynésie (L'Intrus) ou plus proches et familiers, mais toujours avec singularité (Paris ou Marseille, ou certains de leurs quartiers, filmés avec la même sensualité que les corps humains, dans J'ai pas sommeil, S'en fout la mort, Trouble Every Day, Vendredi soir, Nénette et Boni). Des territoires traversés, ou reliés les uns aux autres par les personnages, incarnant le souvenir de l'enfance ou l'exil, associés à la quête ou au travail, esquissant un cinéma du vagabondage intérieur/extérieur.
La musique enfin, irrigue totalement le cinéma de Claire Denis. Le compagnonnage avec Stuart Staples et ses Tindersticks nourrit les songes d'une nuit d'été de Nénette et Boni, les frôlements horrifiques de Trouble Every Day ou les fragments du discours amoureux d'Un beau soleil intérieur. Objet de films (Man of Run sur la tournée de musiciens camerounais) et de clips (Sonic Youth, Alain Souchon), la musique éclate aussi çà et là, au fil des films : irruptions de hits populaires (The Rythm of The Night dans Beau Travail, ou Nightshift pour illustrer le changement des sentiments des personnages dans 35 rhums) et de chansons mélancoliques (Le Lien défait de Murat dans J'ai pas sommeil). Elle aussi est vagabonde.
On se croit d'amour
on se sent épris d'éternité
mais revient toujours
le temps du lien défait.
Bernard Payen
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Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 25 septembre au 20 octobre 2017
Les films
- 35 rhums Claire Denis / France-Allemagne / 2007 Me 4 oct 22h00 Me 11 oct 17h30
- Aller au diable Claire Denis / France / 2010 Di 15 oct 21h45 Me 18 oct 21h45
- Beau travail Claire Denis / France / 1999 Di 1 oct 19h00 Di 15 oct 19h45
- Breidjing Camp (The) Claire Denis / France / 2015 Di 15 oct 21h45
- Chocolat Claire Denis / France-Allemagne / 1988 Sa 7 oct 19h45 Je 12 oct 20h00
- Intrus (L') Claire Denis / France / 2003 Di 1 oct 21h00 Me 4 oct 19h30
- J'ai pas sommeil Claire Denis / France / 1993 Me 27 sep 19h30 Me 18 oct 19h30
- Jacques Rivette, le veilleur Claire Denis et Serge Daney / France / 1990 Sa 14 oct 15h30
- Man No Run Claire Denis / France / 1989 Lu 9 oct 19h00
- Nénette et Boni Claire Denis / France / 1995 Ve 20 oct 16h45
- S'en fout la mort Claire Denis / France / 1990 Di 8 oct 19h45 Sa 14 oct 21h30
- Salauds (Les) Claire Denis / France / 2012 Sa 7 oct 22h00
- Trouble Every Day Claire Denis / France / 2000 Sa 30 sep 17h15 Sa 14 oct 19h30
- U.S. Go Home Claire Denis / France / 1994 Me 18 oct 21h45
- Un beau soleil intérieur Claire Denis / France-Belgique / 2017 Lu 25 sep 20h30
- Vendredi soir Claire Denis / France / 2001 Di 8 oct 21h45
- Vers Mathilde Claire Denis, Mathilde Monnier / France / 2004 Di 15 oct 14h00
- White Material Claire Denis / France / 2007 Sa 7 oct 15h00
Courts Métrages
- 15 Mai (Le) Claire Denis / France / 1969 CM Di 15 oct 17h00
- À propos de Nice, la suite : Nice, Very Nice Claire Denis / France / 1994 CM Lu 9 oct 21h00
- Contre l'oubli : Ushari Ahmed Mahmoud (Soudan) Claire Denis / France / 1991 Di 15 oct 17h00
- Robe à cerceau (La) Claire Denis / France / 1993 CM Di 15 oct 17h00
- Ten Minutes Older: The Cello : Vers Nancy Claire Denis / Allemagne-Grande-Bretagne / 2001 CM Lu 9 oct 21h00
- Venice 70 : Future Reloaded Claire Denis / Italie / 2013 CM Lu 9 oct 21h00
- Voilà l'enchaînement Claire Denis / France / 2014 CM Lu 9 oct 21h00
Autour de Claire Denis
- Claire Denis, la vagabonde Sébastien Lifshitz / France / 1996 Je 19 oct 20h00
Rencontres et conférences

- Un beau soleil intérieur Claire Denis

- Claire Denis par Claire Denis : une leçon de cinéma
- J'ai pas sommeil Claire Denis
- L'Intrus Claire Denis

- 35 rhums Claire Denis
- Man No Run Claire Denis

- Venice 70 : Future Reloaded Claire Denis CM
- À propos de Nice, la suite : Nice, Very Nice Claire Denis CM
- Ten Minutes Older: The Cello : Vers Nancy Claire Denis CM
- Voilà l'enchaînement Claire Denis CM

- 35 rhums Claire Denis

- Chocolat Claire Denis
- Jacques Rivette, le veilleur Claire Denis et Serge Daney
- Trouble Every Day Claire Denis

- S'en fout la mort Claire Denis

- Vers Mathilde Claire Denis, Mathilde Monnier
- Le 15 Mai Claire Denis CM
- La Robe à cerceau Claire Denis CM
- Contre l'oubli : Ushari Ahmed Mahmoud (Soudan) Claire Denis
- Beau travail Claire Denis
- Aller au diable Claire Denis
- The Breidjing Camp Claire Denis

- J'ai pas sommeil Claire Denis
- Aller au diable Claire Denis
- U.S. Go Home Claire Denis

- Claire Denis, la vagabonde Sébastien Lifshitz

- Nénette et Boni Claire Denis
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