Autour des yeux sans visage

Par un curieux synchronisme où le hasard se distingue difficilement de la volonté, l’esprit du temps de l’opportunisme, un certain nombre de films ont raconté une histoire singulièrement proche de celle des Yeux sans visage dans une assez courte période de temps. Les deux titres présentés ce soir, outre qu’ils incarnent chacun un jalon essentiel dans l’histoire de leur genre de référence, abordent le même motif mythologique (le défi prométhéen) et psychologique (l’amour paternel inconditionnel au risque de l’abjection).

L’horrible Docteur Orlof, petite production franco-espagnole réalisé en 1962, entre pastiche de série B et œuvre radicalement singulière, révéla un artiste assez unique dans l’histoire du cinéma moderne. Jess Franco s’y livre, en effet, à une relecture toute personnelle du mythe du savant fou attaché à redonner visage humain à sa fille. L’érotisme malsain, l’usage de la musique, sorte de jazz improvisé à l’encontre de toutes les conventions adoptées jusque-là, désigne exemplairement Franco comme un cinéaste conscient voire sur-conscient, en ce début d’une nouvelle ère, de sa place dans l’histoire du cinéma. Mais, au-delà de toute ironie, l’obsession sadienne, un certain chaos pulsionnel, viennent remplacer la grande forme classique et L’Horrible Docteur Orlof sera une des premières traces de cette révolution.

S’il est possible de penser que le scénario de L’Horrible docteur Orlof a pu être influencé par celui des Yeux sans visage, on peut légitimement supposer que la ressemblance de celui du film de Franju avec le récit du Moulin des supplices, réalisé par Giorgio Ferroni en 1960, relève sans doute du hasard. Dans une Hollande de la fin du XIXe siècle un professeur éploré, aidé d’un chirurgien banni de la société, sacrifie des jeunes femmes afin que sa fille survive à une étrange maladie. En choisissant une atmosphère gothique, le film, contemporain du Masque du démon de Mario Bava, contribua à lancer le genre en Italie. Dans une ambiance de brumes et de canaux glacés, il renvoie pourtant à la tradition d’un fantastique venu d’Europe du Nord (les contes de Jean Ray par exemple) et impose des motifs typiquement hofmanniens (celui de la poupée de cire) en les mettant au service d’un romantisme intense servi par un usage spectaculaire de la couleur.

Cinéma bis

Le vendredi soir, c'est bis ! Des doubles programmes consacrés à des genres supposément mineurs : péplum, horreur, western italien, film d'arts martiaux, giallo, SF bon marché, délires érotiques, et mille autres formes cinématographiques subversives et insolentes, naïves et sophistiquées à la fois. Ou une poésie des extrêmes.

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