Mario Bava
Aux origines de l'œuvre de Mario Bava. C'est pour saluer leur sortie en Blu-ray, chez Seven Sept, que nous remontrons, dans le cadre d'une séance de cinéma bis, les deux titres de ce soir, soit deux œuvres faisant partie de la première partie de la carrière de Mario Bava comme réalisateur à part entière. Il apparaît de plus en plus clairement avec les années que Le Masque du démon (1960) et La Fille qui en savait trop (1963) ont bouleversé en profondeur l'histoire même du cinéma italien. On sait que le succès du premier a ouvert la voie à une veine fantastique, un art gothique fortement ancré tout à la fois dans la peinture de la Renaissance et dans la littérature du XIXe siècle. Le scénario de cette lointaine adaptation d'une nouvelle de Gogol est signé Mario Serandrei. Ainsi, celui qui fut, entre autres, le monteur de Luchino Visconti et qui inventa, sur le tournage d'Ossessione, le terme « néoréalisme », écrivit ce qui s'affirma comme un des chefs-d'œuvre du fantastique cinématographique transalpin. Paradoxe révélateur de l'identité profonde du cinéma italien. Tout l'art d'un Bava est déjà là dans cette œuvre séminale, dans ce récit vampirique irréductible à ce qui se produisait alors ailleurs : la dégénérescence familiale, le goût pour les métamorphoses, une irrésistible transmutation de l'image figurative vers l'abstraction la plus pure.
La Fille qui en savait trop suit de quelques mois le premier titre. Le film constitue la matrice d'une nouvelle manière de réaliser des thrillers en Italie. Les aventures de cette jeune touriste américaine incarné par Letícia Román, plongée, lors de son séjour à Rome, au cœur d'une conspiration criminelle, relèvent tout autant du suspense policier que d'un théâtre névrotique. Le film inaugure ce que l'on appellera plus tard le giallo, soit une manière particulière de filmer la peur et le désir, de plonger au cœur d'une psyché féminine tourmentée. Portrait d'une jeune fille seule, menacée par un danger indicible, cernée par sa propre angoisse, La Fille qui en savait trop ouvre la voie d'un cinéma populaire qui s'affranchira de plus en plus des barrières et des conventions.
Jean-François Rauger