Caroline Champetier

Du 5 au 23 février 2014

Aux aguets

Comment approcher et saisir l'intimité extrême de personnages cinématographiques ? La directrice de la photographie Caroline Champetier, en 33 ans et environ 70 films, a su répondre à cette question en nouant des liens fidèles avec les cinéastes Xavier Beauvois, Jacques Doillon, Claude Lanzmann, Benoit Jacquot, établissant également des ponts entre Jean-Luc Godard, Arnaud Desplechin, Philippe Garrel et Leos Carax, sans oublier Nobuhiro Suwa ou Amos Gitai. Elle continue d'accompagner de jeunes cinéastes, comme le palestinien Tawfik Abu Wael ou récemment Hélène Zimmer.

En matière de photographie cinématographique, on évoque souvent la technique ou la théorie, mais rarement le sensible, la sensualité, le toucher du regard, l'émotion profonde que nous inspire l'alchimie d'un cadre où évolue un acteur, la vibration d'une lumière crue ou chaude, ou encore d'une obscurité dévorant une image. De tout cela on peut parler en évoquant le travail de la lumière de Caroline Champetier.

Une première image naît, des sensations aussi. Une femme qui avance vers l'inconnu. C'est Valérie (Virginie Ledoyen) dans La Fille seule (1995) ou Ann (Isabelle Huppert) dans Villa Amalia de Benoit Jacquot (2008). Chaque fois on la suit, on est avec elle, on oublie la caméra, qu'elle soit portée ou sur pied. C'est un élan. Un rapprochement intime nous lie au personnage via le prisme de la caméra, même s'il ne s'agit pas d'une identification. Cette sensation indicible et plutôt rare d'être sans cesse avec le personnage principal et donc de le connaître intimement, alors qu'il continue paradoxalement de nous échapper, Caroline Champetier en est consciente : « La prise est un moment où l'on est dans une intimité extrême avec celle ou celui que l'on filme. En vingt-cinq ans, on devient un animal de plateau. Les sens s'aiguisent jour après jour. On perçoit beaucoup plus d'éléments qu'avant. On est aux aguets, comme l'Indien dans la forêt. C'est une position très étrange d'être responsable de l'image de l'autre, on sait tous l'effet produit par une photo où l'on se reconnaît et s'accepte. On n'est pas seul dans l'affaire : il y a le personnage, le costume, le décor, les directions de mise en scène, et la lumière doit produire cette alchimie, le tout doit être cohérent et l'émotion d'un geste, d'une posture, d'un regard doit être saisie immédiatement. »

La force de l'imperceptible

La caméra est un révélateur. Dès le tout premier plan d'Un couple parfait de Nobuhiro Suwa (2005), un couple à l'arrière d'une voiture, derrière la vitre sur laquelle se reflètent nuages et rues de Paris. Parfois les visages de cet homme et de cette femme quittent le cadre avant d'y revenir. Ils sont tantôt dans l'ombre, tantôt dans la lumière, et révèlent leurs inquiétudes : on devine très vite qu'ils sont en instance de séparation. Tout le film tient dans ce plan séquence d'ouverture, également métonymique de cette force de l'imperceptible qui marque la photographie de Caroline Champetier. « J'ai parfois l'impression de ne faire que ça : travailler l'imperceptible. Ce que le spectateur ne verra pas forcément, mais ressentira. Chaque film a un paramètre photographique spécifique. Ce peut être la matière de l'image – comment agir sur le support, le grain ou le bruit plus ou moins gros – ou son imperceptibilité. »

Ce travail de l'imperceptible est à l'œuvre dans les quelque soixante-dix films dont Caroline Champetier a réalisé la photographie. Elle seule peut-être pouvait trouver la bonne distance (avec Jacques Doillon, le réalisateur) pour filmer Ponette (Victoire Thivisol), une fillette de 4 ans qui vit le deuil de sa mère. « C'était un film impossible à faire mais j'ai toujours cru qu'il était possible de le faire », raconte aujourd'hui la chef-opératrice pour évoquer cette expérience unique au service d'enfants comédiens. Dans Ponette, « l'enfant voit la caméra, mais il ne s'en occupe pas parce qu'il est occupé ailleurs. Avec une petite caméra j'aurais eu à me rapprocher de l'enfant, à devenir une sorte de partenaire, à interpréter, et il m'aurait sans doute senti. Ici, il fallait au contraire reculer et accepter la frontière. Pour Ponette au contraire, il fallut d'abord inclure les enfants dans le jeu, dans la mise en scène et, ensuite nous et eux ne faisions plus qu'un. Ces questions participent donc du choix de l'outil et de sa mise en scène. »

À l'origine

Comment Caroline Champetier est-elle devenue directrice de la photographie à une époque où ce métier de l'image ne se conjuguait qu'au masculin ? : « En entrant à l'Idhec, je me suis dit que si je voulais faire du cinéma, il fallait d'abord que j'en comprenne le fonctionnement, et que je sache précisément de quel outil j'avais besoin pour cela. Il se trouve qu'à cette époque, cet outil pour moi ne pouvait être que la caméra. En effet, il n'y avait alors pas de place à la technique pour les femmes. Tout était à conquérir et le mouvement des femmes était dans cette conquête. Aujourd'hui je ne penserais plus la même chose. L'outil du cinéma peut tout aussi bien être l'argent, les acteurs, le scénario. C'est ce qui fait aussi d'ailleurs que chaque metteur en scène a son terrain d'excellence, chacun s'identifie à un outil différent. »

Après avoir été formée pendant huit ans par William Lubtchansky (à l'époque où précisément le terme de « chef-opérateur », réunissant les deux postes de la lumière et du cadre, apparaît), Caroline Champetier fait ses premières armes de directrice de la photographie dans le film de Chantal Akerman Toute une nuit. Ce film étrange, magnifique et chorégraphié, raconte en plans fixes les solitudes et les amours de plusieurs personnages et anticipe par la manière dont les corps évoluent entre ombre et lumière, une caractéristique du travail cinématographique de Caroline Champetier sur la finesse des contrastes, cette « impérieuse nécessité » évoquée par la chef-opératrice dans un très beau texte sur le tableau de Vermeer, La Femme à la balance, de « confondre l'ombre et la lumière, en faire un seul et unique matériau : allumer une source, c'est immédiatement glisser la main dans le faisceau pour toucher la limite d'une ombre. » L'ombre comme beauté de la lumière, une affirmation source d'émotion, mise en pratique dans de nombreux films éclairés par Caroline Champetier, qu'il s'agisse des contrastes entre la nuit parisienne et la luminosité italienne dans Villa Amalia, ou des intérieurs contrastés d'Un couple parfait ou de Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois (un autre « cinéaste préféré », avec qui elle a fait cinq films à ce jour, dont le premier d'entre eux, N'oublie pas que tu vas mourir, résonne encore aujourd'hui par sa force contemporaine).

Deux rencontres fondatrices

1977, 1986. Deux dates pour deux rencontres fondatrices. 1977, celle avec Claude Lanzmann. Caroline Champetier travaille comme assistante opératrice sur Shoah, puis retrouve le cinéaste en 2001 pour Sobibor, 1943, 16h et en 2012 pour Le Dernier des injustes : « Claude est un cinéaste/arpenteur, il s'empare de l'espace et de la météorologie des lieux. Avec lui, il faut savoir être archaïque et se poser les questions de hauteur, de focale, il reconnaît la justesse mais ne la dicte pas. Il met en scène et se met en scène. »

1986, celle avec Jean-Luc Godard. A l'époque le cinéaste l'engage pour un an et demi, alors qu'il est en train de monter sa société de production Peripheria et qu'il en constitue les éléments. Caroline Champetier sera donc « sa » chef-opératrice pour Soigne ta droite, Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma, Puissance de la parole, Nous nous sommes tous défilés : seule technicienne de l'image au sein d'équipes réduites. Plus tard, en 1992, Godard fera de nouveau appel à elle pour Hélas pour moi : « Sur un plateau, JLG est une des seules personnes que je connaisse qui veuille parfois manipuler le pied, la bulle, la caméra comme si le plan en dépendait. Il incline, place, déplace pour aboutir à un "cadre de Jean-Luc Godard" et qui n'est le cadre de personne d'autre. »

Naissance et renaissance

Caroline Champetier est aujourd'hui la directrice de la photographie qui fait le trait d'union entre les nouvelles vagues du cinéma français, entre Godard, Rivette (La Bande des quatre) et Garrel, Doillon, Jacquot ou Téchiné (cinéastes post-Nouvelle Vague apparus dans les années soixante-dix), mais aussi toute une nouvelle garde du cinéma français apparue à la fin des années quatre-vingts, début des années quatre-vingt-dix : Arnaud Desplechin (La Sentinelle, 1991), Laetitia Masson (En avoir ou pas, 1995) et bien sûr Xavier Beauvois (N'oublie pas que tu vas mourir, 1994 et les quatre autres films suivants). Avec ces derniers cités, comme avec Bojena Horackova (À l'Est de moi, 2006) ou encore très récemment Hélène Zimmer (98, tourné à l'été 2013), elle n'hésite pas à accompagner la naissance de jeunes cinéastes dont elle assure la photographie des premiers ou deuxièmes longs métrages. Mais aussi la renaissance de cinéastes confirmés, à l'instar de Leos Carax pour Holy Motors (2011).

Bernard Payen

Les films

Carmen
Jean-Pierre Limosin , 2005
Ve 21 fév 20h30   JE
Hannah Arendt
Margarethe von Trotta , 2011
Me 12 fév 21h30   GF
Les Mains
Christophe Loizillon , 1996
Les Visages
Christophe Loizillon , 2003
Lu 10 fév 20h30   JE
Marée haute
Caroline Champetier , 1998
À tout de suite
Benoît Jacquot , 2004
Sa 15 fév 21h45   GF
Merde
Leos Carax , 2007
H Story
Nobuhiro Suwa , 2000
Di 23 fév 17h00   GF
Le Sommeil d'Adrien
Caroline Champetier , 1992
La Fille seule
Benoît Jacquot , 1995
Sa 15 fév 19h15   GF
Programme 57
Hélas pour moi
Jean-Luc Godard , 1992
Sa 15 fév 14h30   HL

Partenaires et remerciements

Caroline Champetier, Why Not Productions, Thomas Rosso, Tamasa, Pierre Grise Productions, Les Films de l'Atalante, Bac films, David Teboul, Les Films du Losange, Le Pacte, Ad Vitam, La Cinémathèque royale de Belgique, Europa corp.

En partenariat avec

AFC - Association Française des Directeurs de la Photographie Cinématographique