British noirs
L'influence du film noir hollywoodien fut considérable dans les années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale. Expression de la forte domination du cinéma américain ou phénomène global engendré par ces années durant lesquelles l'espoir d'un nouveau monde se mêlait à un désenchantement sans limite ? Les deux sans doute. Mais si les figures et l'esthétique du film noir se déclinèrent dans différents endroits du monde, elles le firent avec leurs particularités nationales. Ainsi du cinéma britannique qui, lui aussi, se distingua par un regard pessimiste sur la société et ses classes sociales ainsi que le développement d'un nouveau type de criminalité.
Loin de la flamboyance névrotique du cinéma hollywoodien, le film noir britannique apparait plus gris, plus terne parfois, plus glauque souvent mais aussi plus ancré dans la réalité sociale. Un ancrage engendré par un regard souvent influencé par une tradition cinématographique, si typique au-delà de la Manche, celle d'un authentique regard documentaire. Une généalogie littéraire contemporaine de cette effervescence pourrait aussi expliquer la naissance du genre. Graham Greene pour la culture haute et les angoisses de l'existentialisme chrétien (et même catholique) et James Hadley Chase pour la culture basse et pour expliquer ce rapport assez spécial, entre pastiche et parodie, qui sépare et le film noir d'origine et sa déclinaison anglaise.
Puissance documentaire
Le Gang des tueurs, en 1948, est d'ailleurs l'adaptation par John Boulting du Rocher de Brighton, une œuvre maîtresse de Greene. Richard Attenborough (qui reçut une lettre enthousiaste de l'écrivain) y incarne le personnage monstrueux de Pinky, un petit gangster sans morale confronté à l'amour inconditionnel d'une adolescente. La ville de Brighton s'effraya de cette image la montrant comme le théâtre d'une guerre des gangs que reproduisait le film, tourné en décors réels. La censure elle-même tenta d'édulcorer la noirceur du récit. Elle s'était d'aillleurs également inquiétée de la violence d'une transposition au cinéma du roman de James Hadley Chase, Pas d'orchidées pour Miss Blandish, en 1948, par St. John Legh Clowes, qui dépassait par sa brutalité les modèles cinématographiques américains. En 1952, un autre ouvrage de Chase, The Last Page, fut adapté par Terence Fisher cette fois, reproduisant la déchéance typique d'un homme ordinaire plongé dans un engrenage fatal.
La volonté documentaire est encore très présente dans Il pleut toujours le dimanche de Robert Hamer, en 1947, avec sa description très précise du monde sans illusions et de la vie sans avenir d'une ménagère de l'East End de Londres. Ce sont également des existences ternes et désespérantes que met en scène l'enquête policière constituant le récit du Mystère de la villa blanche de Val Guest en 1962. Un crime particulièrement sanglant survenu à Brighton, une ville dont le chef opérateur Arthur Grant saisit avec génie la lumière brumeuse et aveuglante, devient le révélateur d'un microcosme qui se morfond entre frustration et ennui. Et c'est le racisme sous-jacent de la société anglaise que met à jour l'enquête policière du film de Basil Dearden, Opération Scotland Yard, en 1959.
Hold-up et psychopathes
Le hold-up, avec son mélange de précision comportementaliste et de fatalité, est une péripétie exemplaire et centrale du film noir britannique. En 1959, Basil Dearden signe Hold-up à Londres, agréable fantaisie sur l'organisation militaire d'un coup fumant par quelques vétérans de l'armée. Alors que, l'année suivante, le braquage d'un fourgon blindé, dans Les Gangsters de Sidney Hayers, déclenche un engrenage de vengeance et de trahisons qui transforme le récit en une noire tragédie. Peter Yates, de son côté, dans son troisième long métrage, Trois milliards d'un coup (1967), recrée avec une soin quasi clinique le fameux braquage du train Glasgow-Londres.
Deux cinéastes hollywoodiens exilés en Grande-Bretagne par la chasse aux sorcières vont acclimater les règles du genre à un nouvel espace et une nouvelle réalité sociale. Cy Endfield réussit avec Train d'enfer, en 1957, à décrire le milieu des chauffeurs routiers et les conflits implacables qui le traversent. Joseph Losey, bien sûr, signe avec L'Enquête de l'inspecteur Morgan (1959) et Eva (1962) deux variations sur les motifs du film noir, où la beauté formelle se met au service de la description des rapports de classes (pour le premier) et dépeint un modèle singulier de femme fatale (pour le second).
À partir du début des années 1970, diverses productions donnent le sentiment, avec l'accroissement de la violence graphique que permet le recul de la censure, de s'attacher à des personnages de plus en plus durs, de plus en plus impitoyables, de plus en plus sociopathes, des rôles qui exigent souvent des acteurs exceptionnels. La peinture de l'univers du grand banditisme y est dénuée de tout romantisme. La pègre de Newcastle fait ainsi l'objet d'une description sans concession dans La Loi du milieu de Mike Hodges en 1971. Michael Caine y est un truand acharné à venger la mort de son frère. Oliver Reed incarne un prisonnier en fuite, monstrueux, bestial, ivre, lui aussi, d'une vengeance irrationnelle, dans La Cible hurlante de Douglas Hickox en 1972. Quant à Bob Hoskins, il personnifie dans Racket (John Mackenzie, 1979) un gangster plus vrai que nature, à la fois pittoresque et effrayant, décidé à signer un contrat avec la mafia américaine et rattrapé par une violence qui va lui en remontrer, celle des activistes de l'IRA. C'est sans doute avec l'ultime titre, dans la chronologie, de cette sélection, que va s'affirmer le caractère national de tous ces films relevant du genre noir. Les Frères Krays, réalisé par Peter Medak en 1989, dresse le portrait de criminels ayant véritablement existé dans les années 1960, des jumeaux diaboliques et amoraux sous la coupe d'un ordre matriarcal, celui de vieilles dames qui n'oublient jamais de prendre le thé à cinq heures.
Jean-François Rauger
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 15 juin au 11 juillet 2022
Les films
- All Night Long Basil Dearden / Grande-Bretagne / 1961 Sa 9 juil 17h30
- Assassin s'était trompé (L') Lewis Gilbert / Grande-Bretagne / 1955 Di 3 juil 19h30
- Cash on Demand Quentin Lawrence / Grande-Bretagne / 1961 Sa 18 juin 20h15
- Cible hurlante (La) Douglas Hickox / Grande-Bretagne / 1971 Me 15 juin 20h00
- Dancing With Crime John Paddy Carstairs / Grande-Bretagne / 1947 Je 30 juin 18h30
- Enquête de l'inspecteur Morgan (L') Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1959 Ve 24 juin 18h30
- Eva Joseph Losey / France-Italie / 1961 Di 26 juin 17h15
- Frenzy Alfred Hitchcock / Grande-Bretagne / 1971 Ve 17 juin 18h15
- Frères Krays (Les) Peter Medak / Grande-Bretagne / 1989 Sa 2 juil 17h30
- Gang des tueurs (Le) John Boulting / Grande-Bretagne / 1947 Lu 20 juin 20h45
- Gangsters (Les) Sidney Hayers / Grande-Bretagne / 1960 Di 3 juil 17h00
- Gumshoe Stephen Frears / Grande-Bretagne / 1970 Ve 17 juin 20h45
- Hold-up à Londres Basil Dearden / Grande-Bretagne / 1959 Lu 4 juil 19h00
- Il pleut toujours le dimanche Robert Hamer / Grande-Bretagne / 1947 Me 22 juin 18h00
- Indic (L') Ken Annakin / Grande-Bretagne / 1963 Di 26 juin 20h00
- Last Page (The) Terence Fisher / Grande-Bretagne / 1951 Lu 11 juil 18h00
- Loi du milieu (La) Mike Hodges / Grande-Bretagne / 1970 Je 16 juin 20h30
- Mystère de la villa blanche (Le) Val Guest / Grande-Bretagne / 1962 Lu 20 juin 18h30
- Noose Edmond T. Gréville / Grande-Bretagne / 1948 Je 7 juil 17h00
- Opération Scotland Yard Basil Dearden / Grande-Bretagne / 1959 Sa 2 juil 15h00
- Pas d'orchidées pour Miss Blandish St. John Legh Clowes / Grande-Bretagne / 1948 Lu 11 juil 20h00
- Quand gronde la colère John Guillermin / Grande-Bretagne / 1960 Ve 8 juil 17h00
- Racket John Mackenzie / Grande-Bretagne / 1979 Me 22 juin 20h00
- Recherché pour meurtre Lawrence Huntington / Grande-Bretagne / 1946 Je 23 juin 20h30
- Trafiquants du Dunbar (Les) Basil Dearden / Grande-Bretagne / 1950 Sa 2 juil 20h00
- Train d'enfer Cy Endfield / Grande-Bretagne / 1957 Ve 24 juin 20h30
- Trois milliards d'un coup Peter Yates / Grande-Bretagne / 1967 Sa 9 juil 20h00
- Un homme pour le bagne Val Guest / Grande-Bretagne / 1959 Lu 27 juin 18h00
- Un soir de rixe Sidney Gilliat / Grande-Bretagne / 1944 Je 23 juin 18h00

- Cash on Demand Quentin Lawrence

- Le Mystère de la villa blanche Val Guest
- Le Gang des tueurs John Boulting

- Il pleut toujours le dimanche Robert Hamer
- Racket John Mackenzie
- Un soir de rixe Sidney Gilliat

- Recherché pour meurtre Lawrence Huntington

- L'Enquête de l'inspecteur Morgan Joseph Losey
- Train d'enfer Cy Endfield

- Dancing With Crime John Paddy Carstairs

- Hold-up à Londres Basil Dearden

- Noose Edmond T. Gréville

- Quand gronde la colère John Guillermin
Partenaires et remerciements
Remerciements : British Film Institute National Archive (Hannah Prouse, Corinna Reicher), Cinémathèque de Grenoble (Gabriela Trujillo), Cinémathèque du Luxembourg (Marc Scheffen, Georges Bildgen), Les Acacias, Park Circus (Marthe Rolland), StudioCanal (Céline Defremery), Svenska Filminstitutet (Kajsa Hedström), Tamasa Distribution, Warner Bros. Pictures France (Clara Pineau).