Brasil !
Du 18 mars au 18 mai 2015
Visions du cinéma brésilien
On connaît mal la cinématographie du Brésil depuis plus d’un siècle, même si ce très vaste pays est l’un des plus grands producteurs de films en Amérique. La rétrospective proposée par la Cinémathèque française offre la possibilité de voir ou revoir les grands classiques, les films devenus culte, quelques perles rares, sans oublier quelques longs métrages récents importants.
L’industrie cinématographique brésilienne se développe avant tout dans ses grands centres urbains. Dès 1925, Humberto Mauro, le premier auteur de cinéma au Brésil, tourne des films sur des sujets autochtones, avec une forte exigence formelle. Ganga bruta, son œuvre la plus célèbre, est hybride, entre muet et parlant. Un film de facture classique comme Fragmentos da vida (1929) de José Médina s’oppose à São Paulo, a sinfonia da metrópole (1929) de Rodolfo Lustig et Adalberto Kemeny, transposition directe du cinéma d’avant-garde européen, qui fait l’apologie du développement industriel du pays. Limite (1929) de Mário Peixoto demeure le film le plus connu de la période muette brésilienne : romantisme noir et expérimentations formelles en assurent le statut d’œuvre culte.
Dans les années 1930, le régime de Gétulio Vargas met en place une censure d’État et encourage la production d’actualités filmées. En 1949, Alberto Cavalcanti crée la Vera Cruz, un studio destiné à produire des films de grande qualité, à savoir quatorze films, dont O Cangaceiro (1952) de Victor Lima Barreto, qui gagne une reconnaissance internationale. Le cinéma devient très rentable grâce à la comédie musicale et le succès du mélodrame et de la comédie légère « chanchada » (à l’instar d’Absolutamente certo, 1957, d’Anselmo Duarte). Les années 1950 sont marquées par des succès commerciaux comme le parodique Carnaval Atlântida (1952) de José Carlos Burle (où apparaît la figure de Grande Otelo). Marqués par les nouvelles vagues, des jeunes cinéastes vont défendre un cinéma de qualité comme le polar social O Assalto ao trem pagador (L’Assaut du train postal, 1962) de Roberto Farias et le très controversé Os Cafajestes (La Plage du désir, 1962) de Ruy Guerra (d’abord interdit, il provoquera la rédaction d’un manifeste pour défendre la libre expression du cinéma).
Les débuts du Cinema Novo
Nelson Pereira dos Santos signe avec Vidas secas (Sécheresse, 1963) le début du Cinema Novo, qui donne une vision politisée de la réalité brésilienne au sein d’un vaste mouvement de transformation artistique qui inclut le théâtre, la musique populaire et la littérature. Sous l’influence du néo-réalisme italien, le mouvement prolonge la redécouverte de la diversité du pays, au moment de la construction de Brasília. Glauber Rocha devient l’icône cinémanoviste avec des films sur la mythologie du Nordeste comme Antonio das Mortes (1968) ou, plus tôt, Deus e o Diabo na terra do sol (Le Dieu noir et le diable blond, 1963). Quelques-uns des films emblématiques de cette époque sont O Pagador de promessas (La Parole donnée, 1961) d’Anselmo Duarte, Palme d’or au festival de Cannes ; Os Fuzis (Les Fusils, 1964) de Ruy Guerra, et l’extraordinaire Ganga Zumba (1964), premier long métrage de Carlos Diegues.
1964 est l’année du coup d’État militaire qui instaure un régime autoritaire long de vingt ans. En 1968, l’appareil répressif du régime se radicalise. Obligés de s’engager sur le terrain politique, les artistes prennent à partie le spectateur. C’est l’année de O Bandido da luz vermelha (Le Bandit à la lumière rouge, 1968) de Rogério Sganzerla, œuvre principale du Cinema Marginal, qui regroupe des films underground prônant le vulgaire et l’absurde, ainsi que l’influence de la culture populaire (Elyseu Visconti, José Agrippino de Paulo). La marginalité n’y a pas été un programme esthétique, mais plutôt un symptôme économique et politique : cela permet d’inventer de nouveaux modes de production et de diffusion (Ozualdo Candeias, Julio Bressane, Andrea Tonacci).
Rocha s’exile en Europe au début des années 1970, tout comme Sganzerla, Bressane et une grande partie de l’intelligentsia brésilienne. L’année suivante, le Cinema Novo signe pourtant l’un de ses films les plus célèbres : Como era gostoso o meu francês (Qu’il était bon mon petit Français, 1971) de Nelson Pereira dos Santos. C’est la fin de la période tropicaliste, alors que le Brésil vit le « miracle économique » de sa monnaie. Les films populaires des années 1970 connaissent un succès considérable et permettent l’émergence d’une génération de créateurs sous contrôle de la censure, notamment Bruno Barreto avec Dona Flor e seus dois maridos (Dona Flor et ses deux maris, 1976), Hector Babenco, auteur de Pixote: a lei do mais Fraco (Pixote, la loi du plus faible, 1980), vite parti ensuite à Hollywood.
Le creux de la vague
Le début des années 1980 s’illustre par un projet de docu-fiction commencé en 1964, interrompu au moment de l’avènement de la dictature militaire, Cabra marcado para morrer d’Eduardo Coutinho, qui devient le projet documentaire le plus ambitieux de l’histoire du cinéma brésilien, mémoire vivante de la transition démocratique. La rétrospective témoigne de ce dynamisme du documentaire brésilien, à travers d’autres films de Coutinho (Edifício Master, 2002 et Santiago, 2007) de João Moreira Salles ou encore As Hipermulheres (2012) de Leonardo Sette.
Du fait de la crise économique des années 1980, le cinéma brésilien connaît alors une importante chute de fréquentation et de production, alors que progresse à un rythme fou l’intérêt pour la télévision et ses telenovelas. Jusqu’au milieu des années 1990, peu de films arrivent à s’imposer (1992 et 1993 seront même des années noires pour le cinéma brésilien). C’est alors qu’une volonté politique importante permet de créer de nouveaux mécanismes de production. Des fonds sont engagés pour aider au développement de la cinématographie nationale. Certains réalisateurs « culte » se remettent en selle, tel Carlos Reichenbach (Alma corsaria, 1993). Mais surtout, deux films importants aux succès internationaux marquent alors cette retomada (renaissance). Tout d’abord, le fédérateur Central do Brasil (1998), troisième long métrage de Walter Salles (qui venait juste de signer avec Daniela Thomas, le très beau Terre lointaine), qui confronte dans ce road movie sud-américain la star Fernanda Montenegro à un petit gars cireur de chaussures, et ensuite La Cité de Dieu (2001) de Fernando Meirelles, portrait d’un chef de bande aspirant photographe dans les favelas cariocas des années 60-70. Ces deux films, revisitant une certaine imagerie topographique (celle du Nordeste pour le premier, une autre plus urbaine pour le second), reçoivent des récompenses prestigieuses (Ours d’or à Berlin pour le premier, nominations aux Oscars pour les deux films) et relancent l’attention pour le cinéma brésilien, qui ne retombera pas. On peut certes citer le polémique Tropa de elite (José Padilha, 2008) et sa vision ambiguë de la guerre que mène la police brésilienne contre les trafiquants de drogue (Ours d’or à Berlin).
L’émergence d’une nouvelle génération
Mais surtout, la qualité et la visibilité des films brésiliens contemporains n’ont cessé de progresser depuis quinze ans, profitant aux anciens (Carlos Diegues, Andrea Tonacci, Julio Bressane, continuent de réaliser des films) et révélant de nombreux cinéastes. Karim Aïnouz, par exemple, dont le Madame Satã (2002), portrait d’un personnage réel, exclu du quartier de Lapa à Rio au début du 20ème siècle, fit sensation lors de sa présentation à Un certain regard au Festival de Cannes, puis à sa sortie. Depuis ce premier long métrage, le cinéaste ne cesse de construire une œuvre cinématographique intime et romanesque.
La profusion de courts métrages, sérieuse tradition brésilienne entamée dès 1986 (ce qu’on a appelé alors, et jusqu’en 1994, « le printemps du court métrage ») se poursuit aujourd’hui, aidée par de nombreuses possibilités de financement, et permet l’émergence de cinéastes qui abordent enfin, parfois après de longues années, le long métrage, avec des envies et des thématiques très différentes. Le nouveau cinéma brésilien filme (entre autres) les incertitudes de l’adolescence (Play a Song for Me, 2009), les territoires cinématographiques traditionnels à la frontière du passé et du présent (Tourbillon, 2011 ou Vents d’août, 2014), la ville comme un personnage (Obra, 2014), investit le champ de l’intime (Celui que nous laisserons, 2012 ou Permanência, 2014), mêle fantastique et réalité (Trabalhar cansa, 2010), croise le récit initiatique et la réflexion sociale et politique (Casa grande, 2014), et conserve sa militance (les productions Alumbramento de Fortaleza).
Très vivant, présent dans les festivals internationaux, il peine toutefois, mystérieusement, comme celui de ses aïeux, à se faire connaître. Exception à la règle, Les Bruits de Recife (2013), qui lie le portrait en coupe d’une société contemporaine inquiète à l’assurance d’une mise en scène rigoureuse. Son succès national et international laisse présager un regain de passion pour une cinématographie surprenante dont la centaine de séances de cette rétrospective témoignera.