L'obsession de l'Histoire
Andrzej Wajda incarne le renouveau du cinéma polonais entamé dans les années cinquante avec des films jetant un regard critique sur la Pologne. L'histoire parfois tragique de ce pays et ses soubresauts politiques alimentent, ouvertement ou métaphoriquement, une œuvre dont on pourra mesurer l'ampleur en revoyant l'intégralité de ses films.
La première chose à faire à propos d'Andrzej Wajda consiste à rappeler qu'il est Polonais. Cette remarque n'est pas une lapalissade. Rares sont les cinéastes en effet qui se vouent si fidèlement à l'histoire et à la culture de leur pays. Il le fit, lui, avec une détermination jamais démentie. Avec vocation, pourrait-on dire, au risque que cela le desserve sur le plan international. Plus polonais que Bergman était suédois, Fellini italien, Buñuel espagnol ou Welles américain, Wajda a parfois pâti du caractère national de ses films. Il le dit fièrement : « Mes films sont polonais, faits par un Polonais, pour un public polonais ». Faut-il, pour apprécier Wajda et le comprendre, posséder les clés de l'histoire événementielle et fantasmatique de la Pologne ? Seuls le disent ceux qui n'aiment pas le cinéma. Wajda tient toutefois à son étiquette. Figure de proue de la cinématographie polonaise, ambassadeur autant qu'homme d'images, Wajda est le représentant officiel d'une nation qui a été tant de fois réduite au néant diplomatique, qu'elle scande autant que faire se peut des preuves de son identité. La passé politique de ce pays si souvent envahi, morcelé, réprimé, déchiqueté, proie des colons allemands, des hordes mongoles, des mercenaires suédois et russes, des Hongrois et des Turcs, otage des chevaliers teutoniques, a forgé ses citoyens à exalter une vocation héroïque, une orgueilleuse passion de la patrie.
Destin de martyre dont Wajda s'est voulu le chantre. Culte de la résistance opiniâtre, dont Wajda a montré à la fois la beauté, l'élégance du geste, et l'inutilité parfois. Pour Wajda, le romancier, le musicien, le peintre ou le cinéaste polonais est plus qu'un auteur : un mage, un guide, un gardien de la « polonité ». C'est la mémoire et le porte-parole d'une nation. Son exhibition artistique est compensatoire d'une vie politique bâillonnée. Tel est le sens du Chef d'orchestre (1979), où le vieux musicien comblé par une gloire internationale qui décide, pour un concert d'adieu, de revenir dans la patrie dont il s'était exilé cinquante plus tôt, est un clin d'œil à Arthur Rubinstein. Ou au prix Nobel de littérature Czesław Miłosz, dont Wajda disait qu'en dépit de son exil, « il était des nôtres », non parce qu'il écrivait ou parlait polonais mais parce qu'il pensait polonais.
Relier l'homme à l'Histoire
Wajda donc s'est fixé une mission : élaborer l'épopée de la survie d'un peuple, adapter les romans qui reflètent l'âme du pays. Il y a quelque chose de messianique dans sa conception du cinéaste, et sans cesse, il s'est appliqué à relier l'homme à l'Histoire, à analyser des rapports de l'individu avec la Cité, la collectivité, l'État. Il a aussi le romantisme chevillé au cœur. La rébellion innée. La certitude qu'il n'y a pas de liberté nationale sans liberté individuelle. Chez Wajda, l'obsession de l'Histoire est donc passée par Cendres (1965), exaltation du courage des combattants du prince Poniatowski engagé aux côtés des troupes napoléoniennes contre les canons autrichiens et espagnols. Par Lotna (1959), hommage à ces ancêtres d'un détachement de cavalerie qui, en 1939, chargèrent sabre au clair et en gants blancs, debout sur leurs étriers, contre des blindés allemands. Et, bien sûr, par les films qui le révèlent, juste après la Seconde Guerre mondiale : Génération (1955), sur l'engagement de jeunes gens contre l'occupant allemand ; Kanal (1957), sur les actes de résistance d'un groupe de partisans encerclés par les nazis lors de l'insurrection de Varsovie ; et Cendres et diamant (1958), portrait complexe d'une génération prise entre les idéaux de l'armée nationale et l'idéologie communiste.
À la fin des années soixante-dix, Andrzej Wajda confiait volontiers que deux sujets lui tenaient particulièrement à cœur et qu'il avait l'ambition de leur consacrer un film avant de mourir. Le docteur Korczak était l'un d'eux. Ce célèbre pédiatre, qui accompagna deux cents enfants juifs arrachés à leur orphelinat pour être parqués dans le ghetto de Varsovie, les protégea de la souffrance et de la solitude avant de les accompagner à Treblinka pour mourir avec eux, se vit en effet consacrer un film, Korczak (1990). Il tint parole aussi pour le second sujet : Katyn (2007). Cette évocation du massacre d'officiers polonais en 1940, dont on crut les Allemands responsables avant de découvrir que les coupables étaient les Soviétiques, constitue pour lui une affaire d'autant plus douloureuse qu'elle est en partie personnelle : son propre père faisait partie des officiers exécutés.
L'histoire la plus brûlante devait lui offrir matière à ses deux films les plus célèbres, tournés dans la fièvre de l'événement : L'Homme de marbre (1977) mêle l'ancien et le nouveau, les champions du stalinisme, la grandeur et la décadence d'un héros du socialisme. Hier l'édification d'un ouvrier maçon stakhanoviste, aujourd'hui la frénésie d'une jeune cinéaste à faire toute la lumière sur les impostures et les zones d'ombre d'un régime totalitaire, la censure. Palme d'or au festival de Cannes, L'Homme de fer (1981) plonge en plein cœur des luttes politiques, la grève des chantiers navals de Gdańsk, la naissance de Solidarność et l'apparition de Lech Wałęsa.
Adapter les grands auteurs
Quand Wajda adapte un grand roman polonais, c'est pour une raison analogue. Les grands auteurs sont à ses yeux des prophètes, une conscience, une force spirituelle. Qu'ils parlent d'Histoire ou de sentiments, ils incarnent une idée de la Pologne, une civilisation, fureur et ferveur. C'est le cas de Jarosław Iwaszkiewicz, auteur du Bois de bouleaux (1970), où deux frères, un veuf et un moribond, incarnent deux manières de défier Éros et Thanatos, en communion charnelle avec le paysage. Le cas aussi de Tadeusz Konwicki, le scénariste de Kanal, qui replonge dans la Pologne de 1939 pour retrouver un peu de cette paix et de cette insouciance dans laquelle un jeune homme tombe amoureux d'une belle lycéenne de Lituanie, avant que le territoire national ne subisse l'assaut des armées allemandes et ne soit partagé avec la Russie (Chronique des événements amoureux, 1986).
L'Histoire est là, ô combien, dans Les Noces (1972), d'après Stanisław Wyspiański, une pièce du patrimoine national qui fait surgir les fantômes du passé, au début du XXe siècle, alors que l'on célèbre en grande pompe le mariage d'un jeune poète avec une paysanne. Dans l'allégresse de cette nuit burlesque et shakespearienne surgissent des visions oniriques : celles du grand roi Sigismond, de Zawisza le héros médiéval, du massacre des nobles préparant une insurrection nationale avec l'aide secrète de l'Autriche en 1846, du devin ukrainien Wernyhora. Et s'immisce la prémonition d'une imminente catastrophe, tandis que la Pologne danse encore sous la monarchie austro-hongroise.
Wajda s'enflamme pour tout sujet qui lui permet de parler à demi-mots de ce dont son pays saigne encore et toujours. On peut décrypter derrière Danton (1983) et son bras de fer contre Robespierre le portrait d'un juste assassiné, une réflexion contemporaine sur le pouvoir et la révolution, l'affrontement entre Wałęsa et Jaruzelski. Transposé d'un roman de Rolf Hochhuth, description d'une liaison interdite entre une Allemande et un Polonais, Un amour en Allemagne (1983) décrit le nazisme au quotidien, via la démarche pédagogique d'un fils interrogeant les témoins et cherchant à comprendre comment des hommes ont pu laisser faire de telles horreurs, comment peut s'entretenir l'amnésie.
Une sarabande d'images baroques
L'Histoire, la patrie, le patrimoine culturel : n'omettons pas l'essentiel. Habile dialecticien, insolent tout en se gardant d'être dissident, Wajda, adepte du grand angle, est l'un des très grands cinéastes de sa génération, un peintre hors pair. Son œuvre est une sarabande d'images baroques, romantiques, expressionnistes, l'illustration endiablée de la sauvagerie des passions. Comment mieux évoquer Wajda que par l'intensité visuelle de ses fresques ? Verres d'alcool enflammés, sanglante poursuite entre des draps qui sèchent, duo d'amour dans une église en ruines, sous un Christ suspendu la tête en bas. Un air de Chopin saccagé par des musiciens barbares, une jument blanche galopant dans une plaine bordée d'arbres roux, le claquement sec des étendards et le galop des chevaux kamikazes. Un tuberculeux moribond joue des claquettes et de la sonate frivole avant de poursuivre de ses assauts fougueux une blonde pulpeuse, née de la paille et de l'eau de source. Tourbillon de robes bariolées et de chapeaux emplumés, filmé par une caméra qui chavire, s'enivre au son des violons. Portrait d'une campagne peuplée de demoiselles en vaporeuses robes mousseline qui consomment leurs siestes dans les langueurs tandis que leur monde glisse gracieusement vers sa fin, déjà figé dans un coma suranné. Ville en transe où les usines déploient leurs tentacules, jungle humaine où les pauvres sont soumis au rythme intraitable des cadences. Enquête sur un citoyen traqué par la politique du soupçon. La révolte et la mort entremêlés dans un paroxysme flamboyant.
Jean-Luc Douin
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Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 9 février au 21 mars 2010
Les films
- Amour à vingt ans : Antoine et Colette (L') François Truffaut / France-Italie-Japon-Pologne / 1961 CM Lu 15 fév 14h30
- Anneau de crin (L') Andrzej Wajda / Pologne, France, Grande-Bretagne, Allemagne / 1992 Je 18 fév 19h30
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1886 Andrzej Wajda / Pologne / 1980 Je 4 mar 21h30
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1974 Andrzej Wajda / Pologne / 1980 Je 4 mar 21h30
- Bois de bouleaux (Le) Andrzej Wajda / Pologne / 1970 Je 11 fév 19h00 Je 11 mar 17h00
- Cendres (Les) Andrzej Wajda / Pologne / 1965 Ve 12 fév 19h00
- Cendres et diamants Andrzej Wajda / Pologne / 1958 Me 10 fév 19h15 Je 4 mar 19h30
- Chronique des événements amoureux Andrzej Wajda / Pologne / 1986 Sa 20 fév 21h30 Je 18 mar 21h30
- Danton Andrzej Wajda / France, Pologne / 1982 Ve 19 fév 14h30
- Demoiselles de Wilko (Les) Andrzej Wajda / Pologne, France / 1978 Je 11 fév 21h00 Ve 12 mar 17h00
- Dernière charge (La) Andrzej Wajda / Pologne / 1959 Sa 13 fév 19h30
- Franz et le chef d'orchestre Uzi Geffenblad, Lotta Geffenblad / Suède / 2005 Sa 20 fév 19h30 Sa 13 mar 19h30
- Homme de fer (L') Andrzej Wajda / Pologne / 1980 Di 14 fév 19h00 Di 14 mar 20h00
- Homme de marbre (L') Andrzej Wajda / Pologne / 1976 Sa 13 fév 14h15 Ve 5 mar 20h00
- Ils aimaient la vie Andrzej Wajda / Pologne / 1956 Sa 13 fév 21h30
- Innocents charmeurs (Les) Andrzej Wajda / Pologne / 1960 Me 24 fév 19h30 Sa 6 mar 19h00
- Katyn Andrzej Wajda / Pologne / 2006 Di 21 fév 21h30 Di 14 mar 17h30
- Korczak Andrzej Wajda / Pologne, République fédérale d'Allemagne, France / 1989 Di 28 fév 21h30
- Lady Macbeth sibérienne Andrzej Wajda / Yougoslavie-Pologne / 1961 Di 28 fév 19h30
- Ligne d'ombre (La) Andrzej Wajda / Pologne, Grande-Bretagne / 1976 Di 21 fév 19h30
- Mademoiselle Personne Andrzej Wajda / Pologne / 1996 Sa 27 fév 19h30
- Nastazja Andrzej Wajda / Pologne, Japon / 1994 Sa 27 fév 21h30
- Noces (Les) Andrzej Wajda / Pologne / 1972 Lu 1 mar 17h00
- Pan Tadeusz Andrzej Wajda / France, Pologne / 1999 Je 25 fév 21h30
- Paysage après la bataille Andrzej Wajda / Pologne / 1970 Je 11 fév 14h30 Lu 15 mar 17h00
- Possédés (Les) Andrzej Wajda / France / 1987 Lu 22 fév 14h30
- Samson Maurice Tourneur / France / 1935 Lu 1 mar 14h30
- Sans anesthésie Andrzej Wajda / Pologne / 1978 Je 25 fév 19h15
- Semaine sainte (La) Andrzej Wajda / Pologne, France, Allemagne / 1995 Ve 26 fév 17h00
- Tatarak Andrzej Wajda / Pologne / 2008 Ma 9 fév 20h00 Ma 9 fév 20h00
- Terre de la grande promesse (La) Andrzej Wajda / Pologne / 1974 Me 17 fév 19h30 Di 21 mar 15h00
- Tout est à vendre Andrzej Wajda / Pologne / 1968 Ve 12 fév 17h00
- Un amour en Allemagne Andrzej Wajda / République fédérale d'Allemagne, France / 1983 Je 18 fév 14h30
- Une fille a parlé Andrzej Wajda / Pologne / 1954 Me 10 fév 21h15
- Vengeance Andrzej Wajda / Pologne / 2002 Me 24 fév 21h15
Rencontres et conférences
- Paysage après la bataille Andrzej Wajda
- Le Bois de bouleaux Andrzej Wajda
- Les Demoiselles de Wilko Andrzej Wajda

- L'Homme de marbre Andrzej Wajda
- Wajda par Wajda Une leçon de cinéma
- La Dernière charge Andrzej Wajda
- Ils aimaient la vie Andrzej Wajda
- L'Homme de fer Andrzej Wajda
- L'Amour à vingt ans : Antoine et Colette François Truffaut CM
- Crime et châtiment Andrzej Wajda
- La Terre de la grande promesse Andrzej Wajda
- Un amour en Allemagne Andrzej Wajda
- L'Anneau de crin Andrzej Wajda
- La Chasse aux mouches Andrzej Wajda

- Danton Andrzej Wajda
- Les Possédés Andrzej Wajda
- I walk in the sun Andrzej Wajda CM
- La Céramique d'Ilza Andrzej Wajda CM
- Quand tu dors Andrzej Wajda CM
- Leçon de cinéma polonais Andrzej Wajda
- Le Mauvais garçon Andrzej Wajda CM
- Les Innocents charmeurs Andrzej Wajda
- Vengeance Andrzej Wajda
- La Semaine sainte Andrzej Wajda
- Méli-mélo Andrzej Wajda CM
- Dead class Andrzej Wajda
- La Croisade maudite Andrzej Wajda

- Cendres et diamants Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1974 Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1886 Andrzej Wajda
- Les Innocents charmeurs Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1898 Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1901 Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours :Krakow 1902 Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1905 Andrzej Wajda
- Pilatus und andere Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1907 Andrzej Wajda
- Au fil des ans, au fil des jours : Krakow 1914 Andrzej Wajda
- Le Bois de bouleaux Andrzej Wajda
- Les Demoiselles de Wilko Andrzej Wajda
- Paysage après la bataille Andrzej Wajda
- Nuit de juin Andrzej Wajda
Partenaires et remerciements
Cinémathèque Québécoise, Filmoteca Narodowa, Polish TV, Kinovista, Wajda Scool, Les Films du Losange, Les Films sans Frontières, Gaumont, Jeck film, Institut Culturel Polonais.
En partenariat avec


