Alejandro Jodorowsky

Du 30 septembre au 9 octobre 2019

Alejandro Jodorowsky, cinéma sans fin

À travers ses films mais aussi ses scénarios de bande dessinée (en particulier pour Mœbius) ou sa pratique du tarot, Jodorowsky est considéré comme un mystique, voir un mage. Il est vrai que la majorité de ses films retracent des parcours initiatiques : celui de Fando et Lis vers la cité mythique de Tar à travers un paysage d'apocalypse, celui des neuf élus gravissant la montagne sacrée, celui d'El Topo, le pistolero devenu un idiot visionnaire, ou celui de Jaime dans La Danse de la réalité qui traverse les cercles du communisme, du fascisme et du christianisme. L'initiation ne vise cependant qu'à un retour au monde matériel : il faut toujours quitter la grotte, redescendre de la montagne, brûler ses idoles et combattre ses propres rêves de puissance. Pour le cinéaste qui vagabonda entre le Chili, la France et le Mexique, il importe de saisir la vie dans toute sa chair, surtout si elle est crue et sanglante, et c'est dans des espaces à ciel ouvert qu'il fait naître ses visions. La Montagne sacrée (à la production duquel participa John Lennon) s'ouvre par une suite de tableaux hallucinés parmi lesquels la procession de la police fasciste de Mexico portant des chiens écorchés et crucifiés. Dans El Topo, le mercenaire et son fils traversent sur leur cheval noir le village transformé en charnier où coule une rivière de sang. Dans le génial Santa Sangre, des prêtresses mexicaines en tuniques écarlates vouent un culte à une adolescente violée et mutilée. Leur église sera assiégée par une horde de policiers casqués, aux gueules en terre cuite, brandissant leurs matraques. Jodorowsky appartient à cet art sud-américain, populaire et carnavalesque, des peintures murales éclaboussées de la colère du peuple, des ex-voto avec leurs terreurs aztèques et des Santa Muerte de Diego Rivera. Si l'état de « panique », du nom du groupe qu'il forma à Paris dans les années 60 avec Arrabal et Topor, implique la violence et l'effroi, Jodorowsky n'est pas un nihiliste et désigne ce qui doit être sauvé : les déshérités, les infirmes, les idiots et les freaks. En face des hommes puissants et de leurs armes, résistent jusqu'à la mort les manchots qui ne peuvent répondre aux coups, les culs-de-jatte qui ne peuvent fuir, et les petites naines avec leurs amours démesurées. L'état de dénuement vers lequel cheminent les récits de Jodorowsky est toujours l'enfance. Dans ses deux derniers films, La Danse de la réalité et Poésie sans fin, qui sont parmi ses plus beaux, celle-ci se confond avec le Chili de sa jeunesse où la terreur fut autant familiale que politique, entre un père despotique et des colonels sanguinaires. C'est dans ce chaos qu'il rencontra la poésie qui allait changer sa vie, et que furent figées à jamais les images éclatantes, cruelles comme celles de la répression ou ensorcelantes comme celles du cirque, qui allaient le hanter. C'est là aussi que ce père redouté, haï mais aussi aimé, lui enseigna une leçon essentielle : au cœur des drames et des catastrophes, lorsque le monde s'écroule, il faut toujours rire à gorge déployée pour faire fuir la mort.

Stéphane du Mesnildot

Partenaires et remerciements

Alejandro Jodorowsky et Pascale Montandon-Jodorowsky, Nour Films, Robin Klein, Abkco, Le Pacte, Pathé Distribution, Pretty Pictures.