Un florilège de films japonais aussi rares qu'insolites de la fin des années 1940 à nos jours pour voir ou revoir les perles de l'immense production nippone et clore l'événement « Japonismes 2018 ».
Perles rares du Japon
L'événement Japonismes 2018, non content de marquer d'une pierre blanche plus de 100 ans de cinéma japonais, à sa manière mettra aussi à l'honneur un siècle de cinéphilie française ; depuis les années 1910, quand Louis Delluc ne cachait pas son émotion devant la modernité du jeu de Sessue Hayakawa dans le Forfaiture de Cecil B. DeMille, la production du Soleil levant est devenue le fantasme intarissable d'un certain public qui, déjà au XIXe siècle, s'extasiait devant le nouveau vocabulaire plastique que proposaient les estampes orientales.
Petite histoire d'une perception française
Il a fallu attendre les années 1920 pour que cette production commence à s'exporter épisodiquement. Si l'on excepte quelques pantomimes filmées anonymement, c'est pour la première fois en mars 1926 qu'est présenté au public un film japonais dans le mythique Studio des Ursulines, vieux théâtre de quartier reconverti depuis peu en salle d'art et d'essai. Musume (Ai no Himitsu) de Frank Tokunaga fut donc projeté entre un court métrage de René Clair et un autre de Louis Feuillade lors d'une de ces matinées réservées aux membres. Cette première expérience fut perçue comme un événement majeur et certains critiques s'attardèrent longuement sur la représentation d'un personnage masculin constamment absent du cadre malgré son importance. En louant la puissance du hors champ dans ce nouveau monde cinématographique qui s'ouvre à eux, l'assistance n'avait pas reconnu la griffe facétieuse du comédien Armand Tallier, propriétaire des lieux, qui, n'appréciant tout simplement pas la prestation de cet acteur, substitua chacune de ses apparitions par des intertitres.
Ces deux événements, impliquant d'importantes figures de l'avant-garde parisienne, signent les prémices d'un intérêt sans cesse renouvelé envers cette cinématographie. Une affection qui s'est concrétisée dans les années 1960 à la Cinémathèque française (lors des programmes coordonnés par mesdames Kawakita et Govaers), puis dans les années 1990 au Centre Pompidou (lors d'une précédente année du Japon) et s'est prolongée au cours de la deuxième partie de cette grande manifestation. « Une histoire Insolite du cinéma Japonais » présentera ainsi une trentaine de titres inattendus, voire totalement inconnus, du public français actuel et passé.
Morceaux choisis
Entièrement autoproduit, Les Enfants de la ruche est une œuvre magnifiquement désarmante, tournée avec de véritables orphelins de guerre prenant la route en compagnie d'un ancien soldat dans un pays dévasté. Cette route, comme toujours chez Hiroshi Shimizu (1903-1966), donne lieu à toutes les possibilités de rencontres et donne au film sa forme, celle d'un mouvement intuitif se soustrayant à toute tentation de construction linéaire. Se voulant plus démonstratif, Kiku et Osamu de Tadashi Imai tient également compte d'une réalité d'après-guerre, jusque-là peu traitée, avec les discriminations dont sont victimes les métisses issus de pères afro-américains. Appartenant à la génération suivante, Tai Kato (1916-1985) incarne également ce basculement du studio system à l'autonomie à travers deux films importants correspondant chacun à des modes de production et d'expression bien distincts. Pour commencer, l'incontournable Ma mère dans les paupières, bijou du matatabi-mono (sous-genre entrechoquant yakuza eiga et road movie) dans lequel un hors-la-loi est rejeté une seconde fois par une mère perdue de vue lorsqu'il n'avait que cinq ans. Tournant en quinze jours seulement, Kato, au lieu de découper ses plans, met à profit sa science du plan-séquence et la richesse de sa profondeur de champ pour un résultat remarquable qui arrive à conférer des « émotions aussi intenses avec de simples cris »(Shinji Aoyama).
Le second est l'ultime travail du maître : un documentaire, introuvable depuis trente ans, suivant une fameuse troupe de joueurs de taïko dont le nom donne son titre au métrage : Za ondekoza. Sortant bien souvent de son cadre pour proposer des séquences surréalistes, ce film posthume traverse les frontières du vrai et du faux et l'on trouvera une intéressante résonnance avec une autre dernière œuvre : celle du documentariste Shinsuke Ogawa. L'Histoire du village de Magino : le cadran solaire à unité de mille ans mélange lui aussi entretiens et mise en scène (grande première dans son travail), la célébration des valeurs telluriques assurant la connexion entre deux dispositifs dont l'embranchement pourrait paraître, à première vue, contre-nature. Le mélodrame aura une place de choix dans cette programmation : déjà honorés d'une rétrospective à la Cinémathèque française, Yasuzo Masumura et Kenji Misumi font leur retour avec deux inédits (La Vie d'une femme et 7). Faisant également découvrir de nouveaux noms, La Femme de là-bas est signé d'un réalisateur méconnu mais néanmoins passionnant : Hideo Suzuki (1916-2012). Portrait d'une femme forte dénué du moindre pathos, ce chef-d'œuvre des années 1960 trouverait peut-être son prolongement logique dans le genre roman porno dix ans plus tard. Angel Guts: Red Classroom, représentant véritablement le summum de l'expression du regretté Chusei Sone (1937-2014), propose également le portrait d'un personnage féminin en complète rupture affective, se conformant machinalement aux désirs des hommes.
Si Ishiro Honda, le papa de Godzilla, peut se vanter d'avoir été le cinéaste japonais ayant cumulé le plus de succès publics en France, le démentiel Matango n'a pourtant pas eu l'honneur d'une sortie sur notre territoire à l'époque. Ce sera donc l'occasion d'apprécier ce trip psychédelo-mycologique où d'infortunés naufragés découvrent, dans la moiteur d'une île perdue, la présence d'hommes-champignons aux motivations incertaines.
On peut citer encore l'extravagant Pistol Opera de Seijun Suzuki, mais cette brève énumération de titres ne témoignera jamais que d'une infime partie des découvertes à faire au cours de cette programmation. À l'heure où le public français aurait la fâcheuse tendance à juger principalement le cinéma japonais contemporain sur des critères plus sociologiques qu'esthétiques, il serait peut-être temps de revenir à ce qu'a longtemps été celui-ci pour l'observateur lointain : un cinéma de la pulsion, tour à tour érotique, cruel, et même expérimental, où chaque découverte réoriente notre imaginaire plutôt que de le conforter.
Clément Rauger
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 23 janvier au 18 mars 2019
Les films
- Angel Guts: Red Classroom Chusei Sone / Japon / 1979 Ve 22 fév 20h00
- Ballade de Tsugaru (La) Koichi Saito / Japon / 1973 Me 30 jan 19h30 Lu 18 mar 17h00
- Cache-cache pastoral Shuji Terayama / Japon / 1974 Me 30 jan 21h45 Lu 18 mar 19h15
- Conte des trois provinces de Jirocho (Le) Masahiro Makino / Japon / 1963 Sa 26 jan 21h30 Lu 18 fév 16h45
- En attendant la fête Kazuo Kuroki / Japon / 1975 Je 31 jan 19h00 Sa 9 mar 15h00
- Enfant favori de la bonne (L') Tomotaka Tasaka / Japon / 1955 Ve 25 jan 20h00 Me 13 fév 16h00
- Enfants de la ruche (Les) Hiroshi Shimizu / Japon / 1948 Je 24 jan 19h00 Lu 25 fév 14h30
- Femme de là-bas (La) Hideo Suzuki / Japon / 1962 Sa 26 jan 19h45 Me 6 mar 21h30
- Gardien de l'enfer (Le) Kiyoshi Kurosawa / Japon / 1992 Ve 1 fév 22h00
- Goût du tofu (Le) Jun Ichikawa / Japon / 1994 Je 7 fév 22h00 Di 10 mar 21h30
- Grand enlèvement (Le) Kihachi Okamoto / Japon / 1991 Je 7 fév 19h00 Lu 4 mar 21h30
- Histoire du village Magino : Le cadran solaire à unité 1000 ans Shinsuke Ogawa / Japon / 1987 Sa 2 fév 18h30
- Homme qui dort (L') Kohei Oguri / Japon / 1996 Di 10 fév 20h00 Me 6 mar 19h15
- Kiku et Isamu Tadashi Imai / Japon / 1959 Di 27 jan 18h30 Je 14 fév 16h15
- Liens de sang Tai Kato / Japon / 1962 Sa 9 fév 15h00 Me 27 fév 17h00
- Matango Ishiro Honda / Japon / 1964 Ve 1 fév 20h00
- Mer et le poison (La) Kei Kumai / Japon / 1986 Me 6 fév 20h30 Me 6 fév 20h30 Lu 4 mar 15h00
- Moonlight Whispers Akihiko Shiota / Japon / 1999 Me 13 fév 19h00 Je 14 fév 14h30
- Ondekoza (The) Tai Kato / Japon / 1981 Di 3 fév 18h45 Sa 9 mar 19h00
- Orin la proscrite Masahiro Shinoda / Japon / 1977 Je 31 jan 21h30 Je 7 mar 16h30
- Pièce aux murs épais (La) Masaki Kobayashi / Japon / 1953 Je 24 jan 21h00 Me 6 mar 17h00
- Pistol Opera Seijun Suzuki / Japon / 2001 Me 13 fév 21h15 Je 28 fév 21h45
- Sable mouillé d'août (Le) Toshiya Fujita / Japon / 1971 Di 27 jan 21h00 Je 28 fév 17h00
- Shall We Dance? Masayuki Suo / Japon / 1996 Sa 9 fév 20h00 Me 27 fév 21h30
- Something Like It Yoshimitsu Morita / Japon / 1981 Di 3 fév 21h00 Je 21 fév 16h15
- Sous les drapeaux, l'enfer Kinji Fukasaku / Japon / 1973 Sa 23 fév 14h00
- Tampopo Juzo Itami / Japon / 1986 Sa 26 jan 15h00 Lu 4 mar 19h00
- Tonnerre lointain Kichitaro Negishi / Japon / 1981 Me 6 fév 14h30 Lu 18 mar 14h30
- Tristesse du bâton (La) Tatsumi Kumashiro / Japon / 1994 Sa 26 jan 17h30 Di 10 mar 19h00
- Un toast pour mademoiselle Keisuke Kinoshita / Japon / 1949 Je 24 jan 15h00 Me 27 fév 19h30
- Vie d'une femme (La) Yasuzo Masumura / Japon / 1962 Me 23 jan 20h30 Sa 9 mar 21h15
- Vision de la vierge (La) Kenji Misumi / Japon / 1966 Ve 22 fév 22h00
Rencontres et conférences

- Un toast pour mademoiselle Keisuke Kinoshita
- Les Enfants de la ruche Hiroshi Shimizu
- La Pièce aux murs épais Masaki Kobayashi

- L'Enfant favori de la bonne Tomotaka Tasaka

- La Ballade de Tsugaru Koichi Saito
- Cache-cache pastoral Shuji Terayama
- En attendant la fête Kazuo Kuroki

- Orin la proscrite Masahiro Shinoda

- Tonnerre lointain Kichitaro Negishi
- La Mer et le poison Kei Kumai
- La Mer et le poison Kei Kumai
- Liens de sang Tai Kato
- Une histoire insolite du cinéma japonais Table ronde

- Shall We Dance? Masayuki Suo

- L'Homme qui dort Kohei Oguri

- L'Enfant favori de la bonne Tomotaka Tasaka
- Moonlight Whispers Akihiko Shiota
- Pistol Opera Seijun Suzuki

- Le Conte des trois provinces de Jirocho Masahiro Makino

- Something Like It Yoshimitsu Morita

- Angel Guts: Red Classroom Chusei Sone
- La Vision de la vierge Kenji Misumi

- Sous les drapeaux, l'enfer Kinji Fukasaku

- Les Enfants de la ruche Hiroshi Shimizu
- Liens de sang Tai Kato
- Un toast pour mademoiselle Keisuke Kinoshita

- Shall We Dance? Masayuki Suo
- La Mer et le poison Kei Kumai
- Tampopo Juzo Itami

- Le Grand enlèvement Kihachi Okamoto

- La Pièce aux murs épais Masaki Kobayashi
- L'Homme qui dort Kohei Oguri
- La Femme de là-bas Hideo Suzuki

- Orin la proscrite Masahiro Shinoda
Partenaires et remerciements
Dans le cadre de Japonismes 2018
Co-organisé avec la Fondation du Japon et National Film Archive of Japan avec le soutien généreux de Kinoshita Group et de l'Alliance Renault Nissan Mitsubishi, Amie de La Cinémathèque française





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