Le cinéma d'avant 1945 : naissance d'une industrie, éclosion d'une modernité
Dans le cadre de Japonismes 2018.
Pour ouvrir le grand cycle Japonismes : âmes en résonances qui durera toute une saison, cette première partie se concentrera sur l'une des périodes les plus méconnues et décisives, entre la fin des années 1920 et le début des années 1940. De Kenji Mizoguchi à Hiroshi Shimizu, de Daisuke Ito à Sadao Yamanaka ou encore de Yasujiro Ozu à Tomu Uchida, les spectateurs français découvriront les premiers bâtisseurs de la modernité du cinéma japonais.
Secousse et sursauts
Si nul n'oserait remettre en cause l'incroyable productivité du cinéma japonais à ses débuts, la séquence 1923-1939 constitue la période la plus déterminante pour son évolution. Le début du siècle comptait déjà une production théorique particulièrement foisonnante via différentes publications prônant la nécessité d'un « cinéma pur », libéré de ses envahissantes influences théâtrales. Il s'agissait de faire concorder avancée technologique et progrès artistique au service d'une pensée qui n'avait malheureusement pas encore trouvé les outils appropriés. Cette coordination inespérée, élaborant des théories sans cesse en progrès afin d'étendre son domaine et de consolider ses bases, s'effectua pourtant dans des circonstances tragiques.
Le 1er septembre 1923, un violent séisme d'une magnitude de 7,9 sur l'échelle de Richter secoue Tokyo et ses environs (de Yokohama à Shizuoka) durant cinq jours entiers. Bilan : 350 000 maisons détruites, 200 000 morts. Toute une ville était à reconstruire, aussi bien matériellement que culturellement, et les studios ne furent pas épargnés. Les capacités prédictives des chantres d'un cinéma pur, opposant le film contemporain occidentalisé au mauvais théâtre filmé et costumé, n'avaient pas su prophétiser le rôle majeur du jidaigeki (film historique) qui ouvrira la première voie d'accès vers cette modernité tant désirée.
La faucille et le sabre
Après ce tremblement de terre d'une ampleur inédite, beaucoup de très jeunes metteurs en scène partent pour Kyoto (l'ancienne capitale) afin de tourner en nombre des films de sabre. Car ce type d'œuvres, parfois tourné vers l'étrange et le merveilleux dans ses prémisses, a su très vite évoluer vers une prise de conscience collective lorsque des réalisateurs et des scénaristes très « à gauche » découvrent qu'il est non seulement possible d'améliorer leurs techniques de prises de vue mais également d'y associer des problématiques contemporaines. Cette période opère surtout une reconfiguration totale des formes et des récits, optant pour une approche plus sombre et tortueuse de la figure du samouraï sans seigneur.
Orochi (1925), pièce maîtresse de ce mouvement, fait irrémédiablement basculer le jidaigeki dans l'âge adulte : le genre peut parler aux masses sans éveiller la méfiance de la censure. En surélevant celui-ci par leur volonté d'expérimenter à tout prix, des auteurs tels que Masahiro Makino ou Daisuke Ito font changer le regard des cinéphiles de l'époque qui trouvaient jusque-là le cinéma de l'archipel inférieur aux productions hollywoodiennes ou européennes. Le nombre de bandes tournées finira d'ailleurs par dépasser celles réalisées dans les principaux pays européens.
Articulation d'une parole moderne
Deuxième genre incontournable de cette époque, le shomingeki (drame populaire) a pensé différemment l'espace urbain pour en confirmer sa rapide industrialisation. Au cours des années 1920, la Shochiku reste la seule compagnie à garder ses studios à Tokyo et le style Kamata, élaboré par son président Shiro Kido, marque l'avènement d'un humanisme joyeux fondé sur la vie de tous les jours. Tourné dans la banlieue de Tokyo, le genre façonne une approche réaliste plus proche du Japonais moyen qui voit son quotidien dépeint avec un soupçon d'ironie et de tristesse. Doté d'une subjectivité nouvelle, le genre a ainsi créé un sujet moderne coïncidant avec l'apparition d'une couche sociale récemment apparue : celle des classes moyennes.
Cependant, l'apothéose du shomingeki reste concomitante de l'avènement du parlant : découvrant le système Photophone de la RCA lors d'un voyage à New York en 1928, Shiro Kido s'entoure de techniciens capables d'élaborer une technologie sonore 100% japonaise et produit Madame et épouse, qui deviendra le premier film nippon entièrement parlant. Si aux États-Unis et en Europe, la transition vers le son fut rapide et complète dès 1930, le processus sera plus graduel au Japon : des premières expérimentations sonores ont lieu dans les années 1920 mais le passage au parlant fut surtout retardé par le puissant groupe de pression constitué par les benshi. Portant costume et nœud papillon, ces derniers avaient pour fonction de décrire le film au spectateur. Parfois plus populaires que les interprètes eux-mêmes, ils furent bien vite dévalorisés pour leur irrévérencieuse propension à l'excès, sortant souvent du texte au nom des besoins de leur narration.
Au crépuscule de son expression
Jusqu'en 1936, s'observe donc donc une intéressante période de transition, à la fois muette et sonore : la PCL (Photo Chemical Laboratory, que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de Toho) se crée pour produire uniquement des films parlants comme Pauvres humains et ballons de papier de Sadao Yamanaka qui, dans un souffle poétique et désespéré, fait preuve d'une étonnante économie de mouvement, aussi bien pour ses cadrages que pour ses acteurs exploitant au maximum des nuances d'expression et de geste dans des décors restreints mais riches en clair-obscur. Plutôt qu'employer le ton affecté et cérémoniel du jidaigeki, le langage des personnages est contemporain afin d'exprimer les affres du petit peuple face à l'escalade militariste et la précarisation du Japon de 1937.
Les cinéastes ont répondu de manière créative aux défis et opportunités du son en expérimentant toutes les possibilités offertes par cette nouvelle technologie. À l'aube de la Seconde Guerre mondiale, leur liberté et marge de manœuvre se restreignent et leur exaltation des valeurs individuelles suscite désormais la suspicion. Pour soutenir l'effort de guerre, il convient d'apposer une identité nationale collective qui recouvre toute velléité artistique. Semblable au pre-code hollywoodien, cette période d'avant-guerre, cruciale dans l'histoire de l'émancipation du cinéma japonais, a cependant su cristalliser pendant un temps un certain sentiment populaire teinté d'espoirs et d'amertume.
Clément Rauger
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Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 26 septembre au 22 octobre 2018
Les films
- Signature du Dictionnaires des Acteurs et Actrices Japonais par Tomuya Endo et Pascal-Alex Vincent Di 21 oct 18h30
- Armée (L') Keisuke Kinoshita / Japon / 1944 Sa 29 sep 21h30 Me 10 oct 21h45
- Bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie (La) Kajiro Yamamoto / Japon / 1942 Me 3 oct 19h00 Me 10 oct 17h00
- Carnets de route de Chuji (Les) Daisuke Ito / Japon / 1927 Di 30 sep 21h30 Me 17 oct 20h30
- Chants de tourtereaux Masahiro Makino / Japon / 1939 Je 27 sep 17h15 Ve 5 oct 16h45
- Chocolat et soldats Takeshi Sato / Japon / 1938 Ve 5 oct 15h00
- Cinq éclaireurs (Les) Tomotaka Tasaka / Japon / 1938 Sa 29 sep 19h30 Di 21 oct 21h30
- Cœur capricieux Yasujiro Ozu / Japon / 1933 Lu 1 oct 19h00 Je 18 oct 19h30
- Col du grand Bouddha (Le) Hiroshi Inagaki / Japon / 1935 Sa 6 oct 19h00 Ve 19 oct 21h15
- Courant chaud (Le) Kozaburo Yoshimura / Japon / 1939 Je 27 sep 14h30 Di 7 oct 20h45
- Espion Kakita Akanishi (L') Mansaku Itami / Japon / 1936 Lu 1 oct 17h00 Sa 20 oct 20h15
- Fil blanc de la cascade (Le) Kenji Mizoguchi / Japon / 1933 Di 30 sep 17h15 Je 18 oct 22h00
- Fille de l'usine de briques (La) Yasuki Chiba / Japon / 1940 Je 4 oct 22h00 Me 17 oct 16h30
- Jeune homme capricieux (Le) Mansaku Itami / Japon / 1935 Me 3 oct 21h30 Sa 13 oct 21h30
- Ma femme, sois comme une rose ! Mikio Naruse / Japon / 1935 Lu 1 oct 21h30 Ve 12 oct 21h45
- Ma mère dans les paupières Hiroshi Inagaki / Japon / 1931 Di 30 sep 19h30 Je 11 oct 20h30
- Mon épouse et la voisine Heinosuke Gosho / Japon / 1931 Ve 28 sep 22h00 Di 14 oct 16h30
- Monsieur Merci Hiroshi Shimizu / Japon / 1937 Je 27 sep 22h00 Di 21 oct 20h45
- Nuits de Chine Osamu Fushimizu / Japon / 1940 Je 4 oct 19h30 Sa 6 oct 16h00
- Okoto et Sasuke Yasujiro Shimazu / Japon / 1935 Di 7 oct 18h30 Sa 13 oct 19h00
- Pauvres humains et ballons de papier Sadao Yamanaka / Japon / 1937 Di 14 oct 19h00 Di 21 oct 19h30
- Policier (Le) Tomu Uchida / Japon / 1933 Ve 28 sep 19h30 Di 14 oct 20h45
- Quarante-sept ronins (Les) Masahiro Makino / Japon / 1938 Je 4 oct 16h45
- Raiden Shozo Makino, Sadatsugu Matsuda / Japon / 1928 CM Ve 28 sep 22h00 Di 14 oct 16h30
- Sabre pourfendeur d'hommes et de chevaux (Le) Daisuke Ito / Japon / 1929 CM Ve 28 sep 22h00 Di 14 oct 16h30
- Triomphe des ailes (Le) Satsuo Yamamoto / Japon / 1942 Me 10 oct 19h30 Ve 19 oct 19h00
- Une page folle Teinosuke Kinugasa / Japon / 1926 Sa 6 oct 21h00
Soirée d'ouverture : spectacle de benshi
Un spectacle exceptionnel par le benshi Raiko Sakamoto, avec les musiciens Joichi Yasa (guitare et shamisen), Makiko Suzuki (flûte), Akiko Sugimoto (piano).
- Orochi Buntaro Futagawa / Japon / 1925 Me 26 sep 20h00
Rencontres et conférences
- Le Courant chaud Kozaburo Yoshimura
- Chants de tourtereaux Masahiro Makino

- Le cinéma japonais d'avant 1945 : naissances d'une industrie et d'une modernité Conférence de Fabrice Arduini
- Monsieur Merci Hiroshi Shimizu
- Le Policier Tomu Uchida

- Raiden Shozo Makino, Sadatsugu Matsuda CM
- Le Sabre pourfendeur d'hommes et de chevaux Daisuke Ito CM
- Mon épouse et la voisine Heinosuke Gosho
- Le Fil blanc de la cascade Kenji Mizoguchi
- Ma mère dans les paupières Hiroshi Inagaki

- Les Carnets de route de Chuji Daisuke Ito
- L'Espion Kakita Akanishi Mansaku Itami

- Cœur capricieux Yasujiro Ozu
- Ma femme, sois comme une rose ! Mikio Naruse
- La Bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie Kajiro Yamamoto

- Le Jeune homme capricieux Mansaku Itami
- Les Quarante-sept ronins Masahiro Makino
- Nuits de Chine Osamu Fushimizu

- La Fille de l'usine de briques Yasuki Chiba
- Chocolat et soldats Takeshi Sato

- Chants de tourtereaux Masahiro Makino
- La Bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie Kajiro Yamamoto
- Le Triomphe des ailes Satsuo Yamamoto

- L'Armée Keisuke Kinoshita

- Ma mère dans les paupières Hiroshi Inagaki

- Ma femme, sois comme une rose ! Mikio Naruse

- La Fille de l'usine de briques Yasuki Chiba
- Les Carnets de route de Chuji Daisuke Ito

- Cœur capricieux Yasujiro Ozu
- Le Fil blanc de la cascade Kenji Mizoguchi
- Le Triomphe des ailes Satsuo Yamamoto

- Le Col du grand Bouddha Hiroshi Inagaki

- L'Espion Kakita Akanishi Mansaku Itami
Autour de l'événement

En librairie : 100 ans de cinéma japonais
Ouvrage collectif.
Éditions de la Martinière, en partenariat avec la Japan Foundation.
24×28,5 cm – 272 pages – Relié, avec jaquette – 32 € TTC
En librairie fin septembre 2018.
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Partenaires et remerciements
Dans le cadre de Japonismes 2018
Co-organisé avec la fondation du Japon et National Film Archive of Japan
avec le soutien généreux de Kinoshita Group et de l'Alliance Renault Nissan Mitsubishi, Amie de La Cinémathèque française
The National Film Archive of Japan, Matsuda Film Productions, The Japan Foundation, Nikkatsu, Toho, Shochiku, Teinosuke Kinugasa.
Mme Mayu Honda, Fabrice Arduini, Clément Rauger.
Japonismes 2018





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