Après L’Histoire d’Adèle H. en 1975, récit d’amour-passion à un seul personnage, François Truffaut tourne en 1976 L’Homme qui aimait les femmes, récit de la passion d’un homme pour toutes les femmes. Le film sort sur les écrans français en avril 1977.
Un rôle écrit pour Charles Denner
C’est l’acteur Charles Denner (incarnant le personnage principal, Bertrand Morane), qui retient d’abord l’attention des critiques : « Avec sa silhouette timide et empruntée, avec ses bouffées de sincérité, Charles Denner est remarquable. Le film a été fait pour lui et il est fait pour le film », écrit François Gault dans Le Coopérateur de France. « Ce grand comédien apporte au film un relief et une tonalité indiscutables. Sa voix éraillée, l’étrangeté, parfois inquiétante, de son physique, comme son jeu, cernent et servent un rôle qui, comme aucun autre rôle ne l’avait fait, permet à sa forte personnalité de s’épanouir » (La Libre Belgique). Pour Les Nouvelles Littéraires, il est l’« admirable interprète de cette anxiété tragique, il donne au héros cette dimension, ce regard, cette folie sans lesquels il ne serait qu’un personnage de vaudeville ».
Un séducteur atypique
« Autour de Charles Denner, chasseur inquiet, des dizaines de femmes traversent le film. Chacune a eu avec le héros une aventure différente, que Truffaut évoque joliment, pudiquement, avec un humour tendre », écrit Annie Coppermann dans Les Échos. Car si toutes les femmes lui plaisent, Morane n’est pas pour autant un obsédé sexuel. « Les mots qui se présentent d’abord sont obsession, obsédé. Mais ce sont là des termes bien lourds, qui charrient des images minables, inadéquats pour qualifier les chassés-croisés de cet amoureux de l’amour », note Henry Rabine dans La Croix. Jean-Louis Bory précise dans Le Nouvel Observateur : « Denner n’a rien du play-boy pour défilé de haute couture masculine ni de l’insupportable rouleur de mécaniques. Rien du séducteur ordinaire qui doit tout à l’éclat de son dentifrice ou au vernis de son huile à bronzer ». Choisi « à contre-emploi », en rupture avec l’image convenue du tombeur de femmes, Charles Denner incarne un séducteur fiévreux, tendu, souvent inquiétant. « Il n’est pas Don Juan, ni Valmont, ni Casanova. Ni Barbe-Bleue. L’œil sombre, la voix profonde, l’abord humble, il chasse avec gravité », écrit encore Henry Rabine dans La Croix.
Des actrices remarquables
La presse rend par ailleurs hommage, à l’unanimité, aux actrices qui chacune à leur tour, entourent Charles Denner : Albert Cervoni note dans L’Humanité : « Les personnages féminins sont tous étonnement réussis ». Une mention spéciale est décernée à Nelly Borgeaud, et surtout à la lumineuse Brigitte Fossey, le dernier amour de Bertrand Morane dans le film. Pour Pierre Vert dans La Montagne : « De la distribution et de la figuration féminine, ressortent Brigitte Fossey, toujours juste et émouvante, et Nelly Borgeaud, très drôle dans un rôle de bourgeoise fofolle ».
L’amour des femmes
« Voici, sans doute, l’une des plus belles déclarations d’amour d’un homme à la Femme. L’auteur a voulu célébrer l’amour d’un homme pour toutes les femmes », écrit Robert Chazal dans France Soir. François Gault pointe dans Le Coopérateur de France la complexité de cette entreprise : « Tâche difficile pour Truffaut que de « saisir » et de raconter, en une éblouissante et vivante mosaïque, l’éternel féminin ». « [Bertand Morane] tombe amoureux d’une voix entendue au téléphone, d’un profil entrevu, d’une paire de jolies jambes et d’une démarche » (Le Figaro). C’est en effet de façon essentiellement visuelle que s’opère chez Morane le processus de séduction. Un geste furtif, une épaule entrevue, et le désir s’enflamme. « Ce qui est important pour Truffaut, ce sont les regards, les sourires, le mouvement de l’ourlet d’une robe caressant un genou. Ce n’est pas la robe, ce n’est pas la femme, c’est la magie de la rencontre de la robe et de la femme… » (Charlie Hebdo).
On trouve néanmoins quelques critiques qui s’élèvent pour stigmatiser la « misogynie » supposée du film. Ainsi, Claire Clouzot dans Pariscope : « Truffaut croyait bien faire en prenant le biais ravissant d’aduler une partie du corps de la femme. En fait, il coupe la femme en morceaux, la distribue en tranches. L’Homme qui aimait les femmes est un album offert aux collectionneurs de soutiens-gorge, de petits boutons et de lingerie noire ». La France Catholique renchérit : « Au fond, cette histoire n’est rien d’autre que la peinture presque naïve et admirative d’un obsédé sexuel pas du tout méchant et dangereux et qui se rachète en aimant les livres ». Gérard Fénéon lui emboîte le pas dans Le Républicain lorrain : « Elle n’est pas nouvelle l’histoire de cet homme qui pose le maximum de femmes sur l’épiderme de sa vie comme on pose des cataplasmes pour apaiser traumatismes, solitude et blessures en tout genre ».
Un film autobiographique
La proximité du personnage joué par Charles Denner avec François Truffaut lui-même n’échappe pas aux critiques : « Il y a certainement une part d’autobiographie dans ce film » (La libre Belgique). On peut lire dans les colonnes du Journal du dimanche : « Ce double de François Truffaut, longtemps, a eu le visage de Jean-Pierre Léaud. Il a, cette fois, l’apparence et la voix de Charles Denner ». La quête de l’amour féminin et la recherche de l’affection d’une mère absente hantent le cinéma de François Truffaut depuis son premier long métrage, Les Quatre cents coups, en 1959. « François Truffaut rejoint ici quelques-uns de ses thèmes favoris : le besoin de tendresse, la solitude de l’orphelin ou de l’incompris, l’enfant qui se maintient au fond de tout être, même d’âge mûr », selon Samuel Lachize de L’Humanité Dimanche. Dans L’Homme qui aimait les femmes, François Truffaut nous conte une histoire qui est la sienne. Au final, ce long métrage apparait comme un film très personnel, à la fois intime et grave : « L’accent de ce film est celui d’une confession. C’est pourquoi il est si émouvant. Sous l’effervescence des anecdotes, la drôlerie des dialogues, ce film est l’un des plus vrais, des plus confidentiels de François Truffaut, l’un des plus réussis », écrit Michel Mohrt dans Le Figaro. « L’Homme qui aimait les femmes oscille entre la comédie et le portrait psychologique. On y découvre un Truffaut de plus en plus épuré, de plus en plus rigoureux », précise Luc Honorez dans Le Soir (Bruxelles). « Ces alliages que [Truffaut] forge avec de l’humour et de la fièvre, de la retenue et de la violence, de la sensualité et du sentiment, portent bien ses couleurs propres », écrit Claude-Jean Philippe dans Le Matin, ajoutant : « L’Homme qui aimait les femmes est un film qui lui ressemble, mais c’est surtout le film où il se rassemble ».
François Forestier dans L’Express nuance cette opinion : « Cet homme qui collectionne les femmes avec une furia toute fétichiste, et dont on nous explique le comportement par une psychanalyse de salon (l’indifférence de la mère), est inintéressant au possible. Comment Truffaut, le cinéaste attentif des émois du cœur, a-t-il pu tricoter ce conte moral ampoulé ? ».
Une construction habile
La presse dans son ensemble souligne l’habileté de la construction du film : « [Le film est] admirablement construit au rythme de retours-en-arrière qui s’entrelacent avec un art consommé, soutenu par un dialogue plein d’esprit émaillé de mots d’auteur », relève La Nouvelle République. « La ligne [du récit] est brisée par des retours en arrière, mais ceux-ci servent à mieux mettre en lumière l’évolution du personnage », note Robert Chazal dans France Soir. Michel Flacon écrit dans Le Point : « On admire là les relais narratifs et les emboîtements subtils d’un récit très « coulé », qui dévie à la fin dans les turbulences du tragique ». Dans Le Matin, Claude-Jean Philippe parle de « cette envie d’aller et venir entre les différents registres du vécu, de l’écrit et du filmé. Pour la première fois, dans L’Homme qui aimait les femmes, je vois [François Truffaut] circuler avec une aisance plénière entre ces trois ordres ». Le rythme du film, suivant les brisures d’une narration très libre, est particulièrement remarqué. « Il n’y a presque pas de musique dans L’Homme qui aimait les femmes, seulement la voix de Denner et le cliquetis de la machine à écrire », écrit Guy Teisseire dans L’Aurore. « La mise en scène colle au personnage. C’est lui qui impose de l’intérieur ce tempo de comédie-tragédie » (La Croix).
Néanmoins, certains critiques mettent en cause l’intérêt de la mise en scène et du film : « Truffaut reste le petit metteur en scène que l’on connait, gentil, facile, aux sujets tendres traités avec la superficialité coutumière de sa pensée et de son style. Pas de puissance, pas de hauteur de ton, pas de tension dramatique… rien que de la gentillesse », regrette La France Catholique. Bruno Allix, dans Le Journal Rhône Alpes, partage cet avis : « Truffaut est un professionnel. Il utilise toujours les mêmes ficelles. C’est quelquefois charmant, toujours bavard et de plus en plus à classer du côté du cinéma gentil, irréel et bien propre ».
Une atmosphère littéraire
Dans le film, Bertrand Morane écrit un livre sur sa vie, à la naissance duquel, nous sommes, spectateurs, conviés. La presse souligne la force du lien qui, pour François Truffaut, unit la vie et la littérature. Fahrenheit 451 (1966), adapté du livre de Ray Bradbury décrivant une société totalitaire dans laquelle on brûlait les livres, témoignait déjà de l’importance de cette question pour le cinéaste. Jean-Louis Bory déclare dans Le Nouvel Observateur : « L’homme qui aimait les femmes est aussi l’homme qui aimait les livres ». La plupart des critiques remarquent l’atmosphère littéraire qui baigne tout le film. Bernard Hamel note dans La Nouvelle République : « Il s’agit aussi d’un film sur la création littéraire, voire d’un « film littéraire », mais qui sait rejoindre la vie, la recréer au-delà de la convention romanesque ». Philippe Grandjean ajoute dans Le Journal de Genève : « Les films [de François Truffaut] sont essentiellement l’expression imagée d’une littérature sentimentale, romanesque du XXe siècle. Truffaut est le Flaubert du cinéma français, et son nouveau film ne fait que confirmer cette tendance ».
Pour d’autres, l’inspiration de Truffaut viendrait plutôt de Sacha Guitry : « Si l’on veut absolument des sources pour ce film, il vaudra mieux aller les chercher chez Sacha Guitry que le critique François Truffaut admirait à une époque où il n’était pas convenable de le faire, et plus précisément dans Le Roman d’un tricheur où la joie du récit à la première personne gouverne les images. L’Homme qui aimait les femmes et Le Roman d’un tricheur sont des films discrets et tendres avouant un double et dévorant amour pour les femmes et l’art dans lequel on les peint », écrit Le Midi Libre. Cet avis est partagé par Pierre Billard dans Le Journal du Dimanche : « il y a du Sacha Guitry chez Bertrand Morane, et Truffaut s’est amusé parfois à rythmer, à scander ses phrases à la Guitry comme il lui arrive, à la ville, de se faire la silhouette de Sacha ».