La presse cinématographique en France sous l'Occupation

Sophie Hebert - Laurence Lécuyer - 9 avril 2020

La défaite française puis l'Occupation entraînent des changements radicaux pour la presse de tous bords, y compris pour les publications cinématographiques : de nombreux titres disparaissent ou perdent en qualité, tandis que de nouvelles parutions, officielles ou clandestines, voient le jour.

État des lieux

Dès juin 1940, de nombreuses revues cessent de paraître. En 1939, l'annuaire Tout cinéma répertoriait 78 titres (51 à Paris, 27 en province) ; il n'en reste plus que 17 (4 à Paris et 13 en Province) dans l'annuaire de 1942. Ce recul de l'offre se double d'une baisse de qualité. La presse cinéma d'avant-guerre jouissait d'une grande richesse, mais va connaître un déclin manifeste du courant critique : né dans les années 1920, il avait donné au 7e art une légitimité artistique, et s'efface désormais au profit d'une presse plus populaire.

À l'armistice, la France coupée en deux zones se voit imposer par les vainqueurs une organisation administrative très stricte. La Propaganda Abteilung, relevant directement de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande d'Hitler, contrôle désormais tous les secteurs de la vie culturelle : édition, radio, presse, cinéma, théâtre, et applique une censure très efficace. La presse de cinéma en subit elle aussi les conséquences. Otto Abetz, l'ambassadeur d'Allemagne, exerce également une influence importante. Déjà en poste à Paris avant-guerre, il connaît parfaitement le milieu de la presse et du cinéma. Cette division des pouvoirs entre ambassade et Propaganda Abteilung est d'ailleurs une source de rivalités et de conflits.

L'ambassade organise le contrôle de la presse et des moyens de propagande en France. Elle s'entoure pour cela d'un réseau d'hommes de paille pour acquérir, en toute discrétion, des maisons d'édition, principalement celles détenues par des propriétaires juifs, en profitant des lois antijuives allemandes et vichystes. Parmi eux, Gerhard Hibbelen, nazi alsacien de la première heure, qui devient dès juillet 1940 un des collaborateurs d'Otto Abetz, chargé des questions d'édition. Grâce aux fonds de l'ambassade, dont il fait officiellement partie en tant que secrétaire de légation, il met la main sur la Société Parisienne d'Édition, appartenant aux frères Offenstadt, Juifs d'origine allemande qui avaient créé un groupe de plusieurs publications populaires prospères dont Le Film complet. Sous la pression de l'aryanisation, ils sont contraints de vendre leur société à Hibbelen et ses acolytes. Le groupe Hibbelen s'empare ensuite des Éditions Le Pont – qui vont publier par exemple Les Raisons de l'antijudaïsme de Louis Thomas – et devient rapidement l'éditeur le plus important de France, contrôlant la moitié des titres de journaux et hebdomadaires, soit 25 maisons d'édition.

Le Film complet n°2501 du 25 Juin 1941

Jean Luchaire, père de l'actrice Corinne Luchaire, patron de presse et grand ami d'Otto Abetz, est un autre personnage incontournable de cette période. En 1941, grâce à ses bonnes relations avec l'Occupant, il fonde la revue Les Nouveaux temps, et préside l'Association de la presse parisienne, ainsi que la Corporation nationale de la presse française. Cet organisme impose à tous les petits journaux un éditeur du clan Luchaire d'une part, et d'autre part un contrôle par un commissaire du gouvernement, en l'occurrence Jean Luchaire lui-même, qui supervise ainsi toute la presse collaborationniste de la zone Nord.

Vichy impose au cinéma et à la presse une censure supplémentaire, qui doit aller dans le sens de la « Révolution nationale ». En rupture avec certains principes républicains, cette idéologie officielle stigmatise les responsables supposés de la défaite (le Front populaire, les communistes, les Juifs et les Francs-maçons), rejette le modernisme culturel et les élites intellectuelles et urbaines qui « corrompent ». Est abrogé le décret de 1939 qui avait pour but d'empêcher la propagande antijuive en supprimant dans la presse tout ce qui excite la haine, tout ce qui oppose les Français à d'autres Français. D'après Pétain, « cette loi d'exception n'est plus compatible avec les directives récentes du Nouvel État français et de la Révolution nationale. »

La répartition, par le Comité d'organisation des Industries, du peu de papier disponible, est un moyen de contrôle supplémentaire. Cette pénurie des matières premières entraînera progressivement une baisse de la pagination, une réduction du format, du tirage.

Les revues nationales distribuées dans les deux zones

Le Film – Organe de l'industrie cinématographique française (12 octobre 1940 – 31 juillet 1944)

Bimensuel géré par Paul-Auguste Harlé, ancien directeur de La Cinématographie française, emblématique revue corporative, née en 1918 et interrompue en 1940.
Seule publication corporative de la zone occupée, Le Film rend compte des travaux de réorganisation de la profession menés par le C.O.I.C. (Comité d'Organisation des Industries Cinématographiques). Ancêtre du CNC, créé par le gouvernement de Vichy en décembre 1940, cette entité prend toutes les mesures techniques, économiques et sociales pour assurer le développement et surtout le redémarrage de l'industrie du cinéma. Sont notamment créés un système d'avances à la production financées par le Crédit national, un système d'enregistrement des recettes, le Registre public de la cinématographie, et enfin l'Idhec. La carte d'identité professionnelle, si elle permet de valider les compétences des intervenants du milieu, permet aussi de ficher les Juifs pour mieux les exclure de la profession. Les archives du C.O.I.C. ont « opportunément » disparu à la Libération...

Le Film n° 87 du 22 Avril 1944

Un nombre impressionnant de directives émanant du C.O.I.C. paraissent dans Le Film, qui par ailleurs publie sans état d'âme les ordonnances allemandes à l'encontre des Juifs, ainsi que les décrets antisémites publiés par Vichy. Le discours dominant remporte l'adhésion mais aussi l'enthousiasme de la rédaction. Le Film publie ainsi de longs extraits d'un pamphlet anti-juif très virulent, signé par Lucien Rebatet, et paru sous le titre « Les Tribus du cinéma et du théâtre ». Paul-Auguste Harlé introduit ces passages par un mea culpa, confessant son aveuglement passé, « déformé par vingt ans de cohabitation avec des Juifs, pour la plupart étrangers et récemment sortis du ghetto ».

Ciné-Mondial (8 août 1941 – 11 août 1944)

Financée par l'ambassade d'Allemagne, cette publication hebdomadaire appartient aux Éditions Le Pont. Son directeur, Robert Muzard, est également gérant de la société de production Nova-Films, qui en 1943 produira Forces occultes, réalisé par Paul Riche – également journaliste dans Au pilori, condamné et fusillé en 1949 – et s'attaquant au « complot judéo-maçonnique ». Muzard produira aussi le documentaire antisémite de propagande Les Corrupteurs de Pierre Ramelot, dont la revue Le Film écrira qu'il est un « excellent instrument de vulgarisation sur une question primordiale, mais pas toujours bien comprise [et] se termine par un vibrant appel du maréchal Pétain, mettant en garde le peuple français contre le péril juif ». À la Libération, Robert Muzard sera condamné à trois ans de prison.

Ciné-Mondial vante les productions de la Continental-Films, toute nouvelle société de production cinématographique française à capitaux allemands, créée en novembre 1940 par Goebbels et dirigée par Alfred Greven. Celui-ci, protégé par Göring, est déjà connu des professionnels français. Il a déjà produit Le Domino vert, d'Henri Decoin, réalisé à Berlin en 1935, avec Danielle Darrieux et Charles Vanel. Le producteur français de ce film, Raoul Ploquin, dirigera le C.O.I.C. et sera pour l'Occupant un interlocuteur privilégié. La guerre va permettre à tous ces gens qui se côtoient déjà d'écarter la concurrence des studios américains.
En mars 1942, un voyage de propagande à Berlin est organisé par Alfred Greven pour ses vedettes françaises, Danielle Darrieux, Albert Préjean, Suzy Delair, Junie Astor, Viviane Romance, René Dary, André Legrand. Tous auront à répondre à la Libération d'avoir tourné pour la Continental, et d'avoir participé au voyage, largement commenté dans la presse – dont Ciné-mondial sur plusieurs numéros.

Ciné-Mondial Voyage à Berlin (1942)

Les films français produits par la Continental, mais aussi tous ceux produits et distribués par les firmes allemandes UFA, TOBIS et ACE, qui étaient déjà très actives en France dans les années 1930, occupent une place prépondérante.
Pour asseoir sa domination sur l'industrie du cinéma en Europe, l'Allemagne investit des moyens importants dans la promotion de ses films et tout particulièrement dans la presse de cinéma. Mais à de rares exceptions, comme Le Juif Süss et La Ville dorée, de Veit Harlan, les films allemands ne remportent pas le succès escompté en France. Le premier, emblématique du cinéma nazi, est conçu et produit à la demande de Goebbels. Déclaré « d'intérêt politique », il sort en février 1941 en France et remporte un triomphe avec 1 million de spectateurs. La Ville dorée est le premier film en couleurs sorti en France. Avec leur procédé Agfacolor, les Allemands souhaitent supplanter le Technicolor américain. Les trente films produits par la Continental seront quant à eux invariablement des succès.

Comme il s'agit de distraire, Ciné-Mondial n'évoque jamais frontalement l'actualité politique, sauf pour soutenir les quelques films de propagande montrés lors des grandes expositions qui se tiennent à Paris en 1941 et 1942, afin de mobiliser l'opinion sur les thèmes de prédilection de l'Occupant et du gouvernement de Vichy. Le Péril juif, réalisé par Pierre Ramelot à partir d'images allemandes, accompagne l'exposition « Le Juif et la France ». L'exposition « La vie nouvelle », qui exalte le retour à la terre, la glorification de la mère de famille, la valeur du travail, fait l'objet d'un compte-rendu très favorable de la jeune journaliste France Roche. De nombreux articles traitent des préoccupations quotidiennes du public. Les vedettes ont des soucis identiques à ceux des lecteurs, subissant tout autant les restrictions.

Vedettes (16 novembre 1940 – août 1944)

Fondé par Robert Regamey et Jean Lacroix, propriétaire du célèbre studio Harcourt (qui signe la majorité des couvertures), Vedettes est un magazine hebdomadaire grand public dont la ligne éditoriale est donnée par le nom même de la revue. Le cinéma, mais aussi le théâtre et le music-hall sont abordés sous l'angle du vedettariat. L'édito du premier numéro présente ainsi ses ambitions : « Nous ne vous parlerons pas de politique, quelle qu'elle soit, d'aucune doctrine, si pure soit-elle. Nous vous apporterons seulement la nécessaire bouffée d'air frais, léger... ».

On y consulte les programmes des deux radios autorisées : Radio-Paris et Radio nationale. Les films de la Continental et les productions allemandes y occupent aussi une large place.
Racheté en mai 1942 par Gerhard Hibbelen, le journal sera alors directement financé par l'Occupant.

Vedettes n°53 du 15 Novembre 1941

Le Film complet (1922 – 1958)

La plus célèbre des revues de « films racontés » propose la novellisation d'un film par numéro. Sa périodicité est hebdomadaire. La spoliation du titre, déjà évoquée, s'opère en toute discrétion. La revue s'interrompt en juin 1940, puis reprend quatre mois plus tard, avec une nouvelle direction (mentionnée en très petits caractères sur la page de titre) et un nouveau rédacteur en chef, Raymond Chalmandier. Son apparence change peu, même si l'on remarque la place importante faite aux films allemands et aux productions de la Continental. Les films américains, anglais, de même que les vedettes françaises ayant choisi de s'exiler sont bien sûr bannis, comme Jean Gabin. Les restrictions de papier entraînent une réduction de la pagination, du format, et la publication de deux films par numéro à partir de 1943. Les derniers mois, la périodicité devient mensuelle pour les mêmes raisons. Les propriétaires du titre avant sa spoliation (les frères Offenstadt, dont l'un mourra en déportation) devront attendre l'annulation par le tribunal civil des cessions opérées sous l'Occupation (juillet 1945), pour récupérer leur bien. Les éditions Nathan, Calmann-Lévy et Ferenczi subiront le même sort.

Les revues régionales

La presse régionale, qu'elle soit en zone libre ou en zone occupée, observe et relaie les nouvelles règles administratives et juridiques. La majorité des titres est éditée à Marseille. Beaucoup de journalistes, dont Charles Ford, Maurice Bessy ou René Jeanne, au chômage suite à l'arrêt de nombreuses publications, s'installent dans le Midi et vont participer à ces publications.

La Revue de l'écran – L'effort cinématographique (1928 – 1944)

Dirigée par André de Masini à Marseille, La Revue de l'écran, titre corporatif et régional, contient des notules critiques, l'actualité de l'industrie cinématographique, des articles sur la technique.
Dès octobre 1940, la revue élargit son audience vers le grand public, comblant ainsi le vide laissé par la disparition de nombreux magazines, comme Pour Vous ou Cinémonde. Elle fait paraître une double édition hebdomadaire, l'une pour les professionnels, l'autre pour tous les publics. L'édition A, sous-titrée « organe d'information et d'opinion corporatives » est toujours destinée aux professionnels, tandis que l'édition B, sous-titrée « idées – information – critiques cinématographiques », s'adresse au grand public. Le rédacteur en chef est Charles Ford, et le secrétaire de rédaction, R.M. Arlaud, qui après guerre écrira pour la revue Combat. Quelques articles sont signés par Maurice Bessy (Cinémonde) ou René Jeanne.

Les Cahiers du film (1941 – 1944)

Créée en 1933 par Marcel Pagnol, une première série est publiée dans les années 1930. Après interruption, la revue bimensuelle reprend sous une forme nouvelle à partir de 1941.
Excepté quelques articles que l'on pourrait qualifier d'opportunistes, comme celui qui s'interroge sur le film Regain, sorti en 1937, pour savoir s'il ne pourrait pas devenir un film national (thème du retour à la terre), on ne sent pas la revue à l'aise, le ton est un peu décalé, parfois maladroit : la firme Continental est rebaptisée Intercontinental, on ne lit rien sur les vedettes allemandes. Par contre, Jean Mercanton (futur membre du Comité de Libération du Cinéma Français) et Robert Lynen (résistant dès 1940), supposés tous deux être dans un camp de jeunesse, figurent sur les couvertures du début.

Le Film à Lyon (1935 – 1955)

Cette revue corporative bimensuelle publie docilement les communiqués officiels, la liste des films interdits, etc. Parmi les plumes, il faut mentionner Hubert Revol, également rédacteur dans d'autres corporatifs de la zone libre, et anciennement lié à une presse critique de grande qualité dès la fin des années 1920 (comme la revue Schémas de Germaine Dulac).

Cinéma-spectacles (1919 – 197?)

En 1941, ce corporatif hebdomadaire influent dans la région Sud est déjà dans sa 23ème année. Édité à Marseille et destiné aux exploitants en premier chef, il est plus rigoureux que Le Film à Lyon : on y trouve moins de publicités, mais plus de communiqués officiels, plus de chiffres, avec notamment les recettes à Marseille, Nice, Toulon. Toutes les décisions du C.O.I.C. sont rapportées, commentées, et même rassemblées dans une brochure que la revue met en vente. On ne lit pas de termes racistes dans ce corporatif (contrairement au confrère de Lyon), juste une certaine fébrilité par rapport à l'application des lois : le gérant relance souvent ses lecteurs pour qu'ils n'oublient pas de renouveler leur abonnement car « l'ignorance des décisions du C.O.I.C. pourrait causer de graves ennuis ». Cependant dans la rubrique « Peut-on le dire ? », souvent animée par Hubert Revol, encore lui, on feint une certaine parole « libre » mais on ne dit rien qui fâche : on se rebelle un peu contre l'abondance de paperasserie générée par tous ces décrets... Et les articles de fond portent parfois sur des questionnements obsolètes : « le cinéma est-il un art ? ». La revue de presse est régulière et fournie.

Miroir de l'écran : revue artistique des spectacles de Nancy et de la région (1941 – 1944)

À Nancy, ville située en zone « interdite » (ensemble de régions coupées du reste de la France et destinées à devenir des zones de peuplement allemand) paraît Miroir de l'écran, mensuel complètement acquis à la cause de l'Occupant, avec la totalité de ses 35 couvertures consacrées aux films allemands ou Continental.
Dans l'éditorial du premier numéro, son directeur M-J Keller souhaite « remettre en équilibre la moralité boiteuse du cinéma français ». Il faut pour y parvenir « désintoxiquer le public des histoires fangeuses ».

Filmafric, Norafric ciné, Le cinéma Nord-africain

D'autres titres, basés à Alger, se libèrent de la censure de Vichy à partir du débarquement allié en Afrique du Nord fin 1942. Il s'agit de Filmafric, Norafric ciné, Le cinéma Nord-africain. La France libre s'y exprime alors sans ambivalence. Dans le n°68 de Filmafric, en septembre 1942, la rédaction souhaite la bienvenue à Alger au colonel Darryl Zanuck et au commandant John Ford, tous deux dans les forces américaines. Dans le même numéro, le représentant du C.O.I.C. autorise à nouveau les films anglo-saxons et interdit les films allemands et italiens.

La presse clandestine

Dès 1943, des journaux issus de la Résistance, principalement Opéra et L'Écran français, paraissent clandestinement.

L'Écran français (Décembre 1943 – 12 mars 1952)

Cette publication hebdomadaire deviendra une revue majeure de l'après-guerre. Sa naissance est due au regroupement, au sein du mouvement communiste de Résistance, des professionnels du cinéma hostiles à la collaboration, notamment Pierre Blanchar, André Luguet, Louis Daquin, et Jacques Becker.

L'Ecran français n°1 de décembre 1943

Le premier numéro, « organe clandestin des comités du cinéma du Front National de lutte pour la Libération », paraît en décembre 1943 : c'est un numéro d'appel à la lutte, au rassemblement, à une épuration du cinéma, « débarrassé de ses traîtres, et de ses parasites ». Il s'attaque aux films de la Continental et en particulier à ceux qui sont considérés comme anti-français, comme Le Corbeau de Clouzot, ou Les Inconnus dans la maison d'Henri Decoin. Pierre Blanchar et Georges Adam signent « Le corbeau est déplumé », diatribe contre le film restée célèbre, qui l'accuse de montrer une France minable. Ce film de 1943, produit par la Continental, a été détesté à la fois par Vichy, qui a tenté d'interdire le tournage (pour des raisons morales, le film abordant le thème de l'avortement), et par la Résistance. On reproche au Corbeau, qui fut interdit de 1944 à 1947, d'avoir alimenté une propagande anti-française.
On lit aussi des articles contre les films de propagande des réalisateurs et producteurs Muzard, Mazeline, Mamy (alias Paul Riche), premiers visés dans les listes qui préparent l'épuration.
À partir de mars 1944, L'Écran français va s'insérer dans Les Lettres Françaises, autre revue clandestine du Front National communiste. En avril 1944, Georges Sadoul s'exprime contre la superproduction allemande Les Aventures du baron de Münchhausen. Il critique le procédé couleur allemand, appliqué ici à un « pittoresque music-hall berlinois dont il souligne le manque d'esprit et aggrave les fautes de goût ». Il s'élève contre François Vinneuil (alias Lucien Rebatet) qui a défendu le film, et qu'il traite de « salarié de la Propaganda Staffel ». Dans le même numéro, l'article de Jean-Paul Sartre « Un film pour l'après-guerre » défend l'idée d'un retour à un cinéma en tant qu'« art des foules », qui doit être capable d'évoquer les réalités que la France vient de traverser (guerre, exode).
On lit aussi plusieurs textes de Louis Daquin, qui entendent préparer l'avenir du cinéma français, une fois débarrassé du C.O.I.C. : « C'est à ceux de la Résistance que reviendra l'honneur de réorganiser leur profession ».

Opéra : l'hebdomadaire du théâtre, du cinéma, des lettres et des arts (1943 – 1952)

Opéra est fondé par Jacques Chabannes, avec ce slogan : « L'art n'a pas de patrie, mais les artistes en ont une ». Il est l'organe de plusieurs comités de Résistance d'obédience catholique, qui sur de nombreux points s'opposent au Front national communiste.
Dans le premier numéro clandestin d'avril-mai 1944, il s'agit de se regrouper, de s'organiser, et...d'épurer. Le mot épuration est lâché, et le ton est plus agressif que celui de L'Écran français : « Nous exigeons une épuration impitoyable de la profession ». La rubrique « Les salauds » liste des collaborateurs notoires : Robert Muzard, Paul-Auguste Harlé : « directeur du Film, journal officiel du cinéma allemand en France », Tino Rossi, vedette « Kontinental »...
Dans le deuxième numéro, Opéra règle quelques comptes avec Les Lettres françaises, en mettant « cordialement » en garde le Front National contre le recrutement intensif de résistants de la dernière heure. Ce qui est plutôt paradoxal, étant donné que Robert Buron, l'un des plus influents et zélés fonctionnaires du C.O.I.C., a rejoint le CRIC (un des comités fondateurs d'Opéra) seulement au printemps 1944.

Après la libération

La Libération de Paris porte un coup d'arrêt aux publications collaborationnistes, telles que Je suis partout, La Gerbe, Les Nouveaux temps, La France au travail, Le Matin, Paris-Soir (édition parisienne...), Le Cri du peuple, Signal, L'Illustration et, pour le cinéma, Le Film, Ciné-Mondial, Vedettes.
Les pénuries de papier étant légion (le contingentement du papier ne sera d'ailleurs supprimé qu'en 1958), les publications reprennent lentement, limitant souvent les quotidiens à une feuille recto-verso.

Pour le cinéma, quand en 1945 reparaît La Cinématographie française, son concurrent Le Film français, qui, lui, est né en 1944, crée une polémique en accusant son ancien directeur Paul-Auguste Harlé de collaboration active avec l'ennemi, pour avoir dirigé Le Film pendant la guerre. Or, ce n'est pas Harlé qui reprend La Cinématographie d'après-guerre, mais l'ancien rédacteur en chef Marcel Colin-Reval, qui avait certes été chef de la publicité de la société allemande ACE de 1940 à 1944, mais faisait également partie des Services spéciaux anglais. Juste après la guerre, Colin-Reval va jouer un rôle important pour la diffusion du cinéma français en Allemagne occupée.

Il faut attendre l'été 1945 pour revoir L'Écran français, puis octobre 1946 pour La Revue du cinéma : deux parutions majeures de l'époque, qui vont influencer aussi beaucoup de nouveaux titres des années 1950, la seconde constituant un modèle pour Les Cahiers du cinéma.


Les revues évoquées dans cet article sont pour la plupart consultables à la Bibliothèque du Film. Les numéros numérisés sont accessibles en salle depuis le répertoire des périodiques.


Sophie Hebert est chargée de la collection des périodiques à la Cinémathèque française.

Laurence Lécuyer est chargée de la collection des périodiques à la Cinémathèque française.