S comme... Sigourney

Phane Montet - 18 juillet 2025

Sigourney Weaver vient de loin. Dès sa première apparition cinématographique, dans Annie Hall de Woody Allen, elle est une petite amie attendant à l'entrée d'un cinéma, perdue dans un cadre beaucoup trop grand, tache brune mouvante à peine audible. Dans Alien – qui la révèle au grand public en 1979 – elle est d'abord cadrée au second plan, légèrement floutée, riant d'un sujet qui nous reste inconnu, et présentée comme un personnage secondaire. Elle demeure lointaine un certain temps, dans des plans de coupe cadrés larges, avant que son visage ne prenne progressivement tout l'espace de l'écran.

Même par la suite, personnage principal – ou presque – de ses films, elle met du temps à apparaître : elle est une photo en noir et blanc sur laquelle on zoome dans L'Année de tous les dangers, ou une image sur un petit téléviseur, qu'on répète en boucle, dans L'Œil du témoin. À voir rétrospectivement sa longue filmographie, on cherche fébrilement Sigourney dans l'écran, on espère apercevoir sa chevelure rousse et ses grands yeux sombres au milieu des plans. On l'attend – comme s'il fallait préparer son arrivée, ou plus étrangement, comme si on avait du mal à l'atteindre, à arriver jusqu'à elle. Car elle aurait pu, comme Sigourney dans le livre de Fitzgerald Gatsby le Magnifique (auquel elle emprunte son nom de scène dès l'adolescence), n'être qu'une évocation et ne jamais véritablement se dévoiler.

Ainsi, l'attente crée l'apparition, et une fois présente, il est difficile de ne pas « voir » Sigourney Weaver : elle est toujours celle qui se démarque des autres, par sa grande taille, ses tenues impeccables, et surtout par la couleur rouge qu'elle arbore devant toutes les caméras – et notamment celles des médias. Du tailleur dans L'Œil du témoin à la robe de soirée dans Master Gardener, en passant par l'ensemble cramoisi qui hante le tueur en série de Copycat, sans oublier la robe écarlate que l'actrice porte lors de la cérémonie des Golden Globes en 1988 (et où elle remporte le prix de la meilleure interprétation dans un second rôle). Même lorsqu'elle ne porte pas directement du rouge, comme dans Gorilles dans la brume, les autres personnages s'arrangent pour lui coller cette couleur à la peau, la décrivant comme une sorcière aux cheveux de feu.

S comme... sujet

Sigourney Weaver est si visible qu'elle en devient reconnaissable, tout comme celles qu'elle incarne. Longtemps adoubée pour ces rôles de « femmes fortes » qui ont fait sa renommée, elle joue, de film en film, de registre en registre, des archétypes de femmes puissantes et indépendantes. Le regard porté sur elle a façonné des personnages incarnant un nouvel idéal féminin : intelligente, assurée, caustique – et généralement riche. Elle fascine aussi bien les spectatrices et spectateurs que les autres protagonistes (majoritairement masculins) qui voient en elle une certaine représentation de la femme moderne, souvent inatteignable car socialement supérieure à eux. Ainsi, ils ne cherchent plus seulement à l'atteindre mais à la posséder – car quoi de plus désirable qu'un être qui nous échappe ?

Ce nouvel archétype, pris dans des récits aussi vieux que le monde, crée des bifurcations inhabituelles. Ainsi, dans The Ice Storm, elle est un reflet de ces femmes au foyer à l'étroit dans leur rôle et dans leurs maisons de banlieue du Connecticut. Mais elle n'en aura pas le même visage, n'ayant pas les mêmes réactions qu'elles face à l'adultère, la sexualité naissante de ses enfants, ou la mort de l'un d'entre eux. Certains cinéastes, comme Paul Schrader dans Master Gardener, vont pousser ce nouveau modèle jusqu'à le tordre. Ici, l'actrice joue Norma Haverhill, une riche et indépendante propriétaire, profitant de sa position sociale et de son âge pour avoir des relations sexuelles avec son employé, joué par un Joel Edgerton imperturbable. Leur relation est peut-être consentie, mais n'en reste pas moins ancrée dans un rapport de force, et Paul Schrader fait de son personnage de « femme forte » une nouvelle version de la domination de classe.

S comme... solitaire

Les personnages joués par Sigourney Weaver prennent de tels chemins de traverse qu'ils finissent régulièrement par être expulsés purement et simplement du récit, et, métaphoriquement, de la société. Elle n'aura pas droit au « happy end » final dans Working Girl, avec – image effrayante s'il en est – un bureau à elle, perdu au milieu de milliers d'autres dans une tour du New York des années 90 sur la musique grandiloquente de Carly Simon, « Let the River Run ». Elle avait pourtant tout de la successful businesswoman : l'argent, le style, la tenue, le réseau. Mais il lui manquait peut-être cet aspect « self-made man » qui fait tout le personnage de Melanie Griffith, et qui est peut-être plus représentatif d'une Amérique fière de ses mythes ?

Toutefois, il est peut-être mieux, en ces temps de capitalisme effréné, de ne pas avoir fini dans ces tours-prisons pour traders. Peut-être valait-il mieux pour elle partir dans les montagnes rwandaises et se prendre de passions pour les grands singes, abandonnant fiancé, amant, confort, financements, et jusqu'à sa propre raison. Comme le dit à propos d'un grand singe Dian Fossey, qu'elle incarne dans Gorilles dans la brume, au détour d'une séance d'observation avec son pisteur : « Il n'a pas de pairs dans son groupe, il est seul, je comprends ça. » La solitude est, le plus souvent, le lot des femmes qu'elle interprète : elles sont seules par choix, par incompréhension, et même parfois par peur, comme c'est le cas dans Copycat, où elle reste enfermée chez elle, traumatisée par une tentative d'assassinat perpétrée contre elle.

Et c'est peut-être cela qui nous touche le plus dans la myriade de personnages joués par Sigourney Weaver : cette solitude plus ou moins choisie. À l'instar du lieutenant Ripley lançant ses appels dans l'espace à la recherche d'une réponse de la Terre, la communication va le plus souvent dans un seul sens – mais qui sait, une réponse viendra peut-être un jour ?

Phane Montet