À l'épreuve du temps

Bernard Benoliel - 16 juillet 2025

À l'heure du 95e anniversaire de Clint Eastwood (depuis le 31 mai de cette année) et de l'annonce d'un nouveau projet (« Il n'y a aucune raison qu'un homme ne s'améliore pas avec l'âge »), comment ne pas avoir envie de marquer le coup et de revenir sur un trajet sans équivalent dans le cinéma dit moderne ? Par exemple, en choisissant sept titres parmi les 41 longs métrages qu'il a officiellement signés à ce jour. Sept projections pour essayer d'évoquer en vérité presque six décennies de cinéma. Et quatre films sur ces sept où il tient la vedette ou choisit de la partager (avec Sondra Locke dans Sudden Impact) ; quatre sur sept où il joue et dirige, tant l'acteur et le cinéaste ont longtemps cheminé ensemble – et plus encore que ne le dit sa filmographie, tellement il s'est pensé metteur en scène dès ses premières apparitions et, en même temps, s'est projeté dans des rôles par-delà sa seule incarnation à l'écran. Ainsi dans Breezy, sa troisième réalisation, c'est William Holden qui joue à sa place parce qu'il n'a pas encore l'âge du rôle (cela viendra, vingt ans après, sur la route du comté de Madison).

Le temps qui passe et celui qui reste (Breezy), le temps d'une vie violente au diapason de l'histoire des États-Unis (Impitoyable), le jeu d'un film à l'autre entre le sentiment qu'il est « encore temps » (Sully) et la réalité d'un « trop tard » (Un monde parfait), voilà bien un des motifs de réflexion qui l'aura occupé, voire hanté, tout du long, et nous avec lui. Et pour l'exprimer, il aura fait œuvre du lent vieillissement naturel de son corps et de son visage en une époque d'avant l'avènement du numérique, cette terrible révolution anti-âge. Mais a contrario, le même se sera servi du cinéma pour réapparaître à volonté, retarder l'échéance, se jouer du temps ou en renverser le cours (on aurait pu aussi programmer Space Cowboys). Ou même pour jouer à temps suspendu comme dans cette ville de Savannah, Géorgie, épargnée au temps de la guerre de Sécession et comme restée dans son jus depuis lors, terre d'accueil de tous les plaisirs et autres excentricités, communauté rêvée (Minuit dans le jardin du Bien et du Mal). Et en effet, que faire d'autre dans le temps imparti à chacun, et même s'il est toujours déjà trop tard, sinon vivre sa vie à sa guise : « Je la vivrai à mes conditions ou pas du tout », disait un honkytonk man tuberculeux et bon vivant. Que faire sinon exister dans l'entretemps : faute d'avoir la vie devant soi, c'était bien ce que Butch Haynes, le fugitif d'Un monde parfait, proposait à un jeune garçon à l'aube de la sienne, ravi pour le coup d'avoir été enlevé. S'offrant au cours de sa cavale une pause en pleine campagne, Butch ralentit, puis met au point mort la Ford volée, rebaptisée machine à explorer le temps, allume une cigarette et regarde alentour : « Ici, c'est le présent, Phillip. Profite-en tant que ça dure. » Un programme auquel Eastwood n'aura jamais cessé de souscrire.

Bernard Benoliel

Bernard Benoliel est directeur de l'action culturelle et éducative à la Cinémathèque française.