De l'animation pour le cinéma

Marie Pruvost-Delaspre - 4 avril 2025

De figures emblématiques aussi diverses que Osamu Tezuka et Satoshi Kon à la relève incarnée par Makoto Shinkai ou Naoko Yamada, le cinéma d'animation japonais incarne une production prolifique au sein de laquelle se croisent des genres cinématographiques, des tonalités et des styles variés. Cette diversité de propositions formelles et narratives est liée, entre autres, à l'existence de nombreux studios qui encouragent différentes visions de la mise en scène et du récit en animation, reflétant la richesse et la plasticité de ce médium.

Dans l'écosystème complexe que constitue la multitude de studios et de pratiques de l'animation au Japon, les films pour le cinéma occupent une place de choix. Le passage du court métrage à un format plus conséquent, avec Momotarō, l'aigle des mers (1943) de Mitsuyo Seo, est ainsi l'occasion d'une série d'expérimentations techniques et formelles, mais aussi de références à la production animée américaine, à la fois horizon et contre-modèle. Il n'en sera pas autrement lors de la mise en œuvre du premier long métrage animé en couleurs : Le Serpent blanc, produit par Tœi Animation en 1956, cherche à proposer une voie esthétique pour l'animation japonaise et à lui ouvrir l'accès aux salles de cinéma locales autant qu'internationales. Mais l'ambitieux rêve d'exportation du studio peine à se réaliser pour ses longs métrages, tandis que les séries animées japonaises trouvent à l'inverse leur place sur le petit écran. Malgré les propositions originales de projets comme la trilogie Animerama (Belladonna, Cleopatra, Les Mille et Une Nuits) réalisée par Eiichi Yamamoto, les longs métrages se font plus rares dans la production au tournant des années 70. Ce creux de la vague prépare un retour sur le devant de la scène, porté par le succès de certains films associés à des franchises, à l'image de Yamato (1977). Émerge alors une nouvelle génération de réalisateurs, souvent issus du manga ou de la production télévisée. Qu'il s'agisse des œuvres de Katsuhiro Ōtomo, de Mamoru Oshii ou de Hayao Miyazaki, ces films étendent plus loin encore les perspectives narratives et stylistiques, dans le même temps qu'ils participent de la reconnaissance critique de ces cinéastes et de leurs contributions à l'histoire de l'animation. Sur ce terrain fertile peuvent ensuite se déployer les propositions originales de la génération suivante, tels Mamoru Hosoda ou Masaaki Yuasa qui continuent à investir l'animation pour le cinéma comme un espace de liberté et d'expérimentation.

Des genres et des couleurs

Si le long métrage animé a contribué de façon évidente à la légitimation artistique de la production japonaise, en particulier à compter du succès international du Voyage de Chihiro (2001) de Hayao Miyazaki, il incarne également l'ambivalence de toute définition unique d'un cinéma national : bien qu'ils puissent tous deux être définis comme du cinéma d'animation japonais, des films comme Jin-Roh, la brigade des loups de Hiroyuki Okiura (1998) et Le Conte de la princesse Kaguya d'Isao Takahata (2013) ont bien peu de traits en commun, si ce n'est leur ambition de jouer avec les codes narratifs et visuels du médium. On pourrait se contenter d'indiquer que l'animation japonaise se caractérise donc, en creux, par la diversité des approches formelles et des styles de mise en scène qu'elle déploie ; mais ce serait probablement passer à côté d'une autre de ses particularités, qui réside dans la précision avec laquelle chacune de ces approches se place dans un réseau intriqué de références, de renvois et de filiations. S'il est malaisé de tracer des lignes droites d'un cinéaste à l'autre, sans même parler d'esquisser des écoles stylistiques précises au sein de cette production pléthorique, il n'en reste pas moins que des sphères d'inspiration partagée et d'affinités se dessinent, rassemblant ici des studios spécialisés dans une approche plutôt réaliste du mouvement, là où d'autres préfèrent explorer un style plus maniéré. Encore faut-il ajouter à cela que, à l'opposé de la recherche d'unité graphique prônée par Walt Disney et encore souvent pratiquée dans la production américaine, l'animation japonaise ne se prive pas de mêler divers styles au sein d'un seul film, donnant à voir l'originalité et la virtuosité de ces approches singulières.

Des thématiques récurrentes

Alors qu'elle peut être décrite par le biais de sa diversité formelle et sa richesse graphique, l'animation japonaise est parfois perçue en miroir comme un cinéma prompt à aborder des thématiques récurrentes, associées en particulier à des sujets environnementaux ou à des récits postapocalyptiques. De fait, à l'instar du cinéma japonais dans son ensemble depuis les années 80, le film catastrophe y occupe une place importante, de même que le traitement souvent transposé dans des espaces lointains ou imaginaires d'enjeux bien réels du Japon contemporain. En ce sens, la réitération de certains sujets pourrait être entendue moins comme une série d'obsessions narratives propres au médium que comme une inscription en filigrane dans l'histoire du cinéma japonais. Si l'on connaît l'intérêt de Hayao Miyazaki pour le jidaigeki (film historique), d'autres connexions apparaissent, que ce soit l'attention à la marginalité et aux fractures de la société partagée par Takeshi Kitano et Satoshi Kon, ou l'approche des émotions des personnages par l'irruption du fantastique que l'on peut observer aussi bien chez Kiyoshi Kurosawa que dans les films de Makoto Shinkai. Au-delà de la répétition de la catastrophe, ce qui habite le cinéma d'animation japonais depuis les années 1980 ne relève donc pas tant de simples thèmes de prédilection que d'une hantise qui l'accompagne encore, des âmes errantes de Ghost in the Shell (1995) à celles de Your Name (2016).

Marie Pruvost-Delaspre