Elles se construisent en créant

Violet Wang - 3 avril 2025

her story Shao Yihui 2024

Dans le cadre d'Art Shanghai, projet national artistique et humaniste, Hantang Culture a lancé en juin 2024 une exposition inédite consacrée à l'histoire des cinéastes chinoises : « Réponse de femmes ». En tant que commissaire, j'ai choisi de ne pas en traduire littéralement le titre – « Elles en création » –, mais plutôt d'emprunter celui d'un court métrage d'Agnès Varda, Réponse de femmes : Notre corps, notre sexe (1975). D'abord pour combler une lacune : le film de Varda, considéré comme un manifeste, et en raison de son rapport explicite au corps féminin, reste difficilement accessible au public chinois. Mais aussi parce que cette métaphore renvoie aux difficultés persistantes que rencontrent les récits au féminin : qu'il s'agisse d'écriture, de parole ou de leur champ d'action, la liberté des femmes a longtemps été une « présence absente », refoulée jusqu'à l'effacement.

Cette programmation fait suite au premier volet de « Réponse de femmes », qui s'est tenu à Shanghaï en 2024. Elle prend cette fois ses quartiers à la Cinémathèque française, dont le précieux soutien avait permis de mettre en lumière, pour la première fois en Chine, le travail de ces « mères du cinéma » parfois éclipsées depuis plus d'un siècle. C'est dans cet esprit que s'inscrivent les films sélectionnés, dont certains n'ont jamais été projetés sur grand écran en France. Un événement, selon Dai Jinhua, pionnière dans l'historiographie du cinéma chinois au féminin et dans la recherche sur le féminisme en Chine, également présidente académique du projet « Réponse de femmes » : « Trois générations de réalisatrices chinoises viennent à la rencontre du public français. Grâce à elles, dans le sillage de l'histoire de la Chine, se dévoilent les secrets de la vie au féminin. Ensemble, elles tissent plus de quarante ans de mémoire, reliant les jours et les nuits, un siècle à l'autre. À travers le cinéma, ces cinéastes écrivent leur propre histoire, mais aussi celle de la Chine et du monde. »

L'émergence du cinéma chinois au féminin épouse celle de la Nouvelle Vague chinoise, mais de manière sinueuse. Avec pour jalons trois films de notre programme : Boat People en 1982, Woman Demon Human en 1987, et Un matin couleur de sang en 1990. Pour Dai Jinhua, « les films d'Ann Hui représentent à eux seuls un large pan de l'histoire du cinéma hongkongais, mais pas seulement : ils proposent aussi une galerie d'images où défilent les évolutions historiques de la Chine telles que notre génération les a vécues ». C'est le cas de Boat People, classique de la nouvelle vague et troisième volet d'une trilogie consacrée au Vietnam, qui a établi la position d'Ann Hui dans le cinéma de Hong Kong, et qui est aussi l'une des œuvres précoces extrêmement importantes retraçant l'histoire des coproductions entre Hong Kong et le continent. Woman Demon Human de Huang Shuqin (figure majeure de la « quatrième génération » de réalisateurs chinois) est un parfait exemple de narration au féminin, en même temps qu'une œuvre essentielle de cette révolution esthétique. Souvent considéré comme le « premier film féministe chinois », il s'inspire de la vie de l'artiste Pei Yanling, surnommée « la première guerrière », qui interpréta un rôle masculin au caractère martial dans la pièce de l'opéra de Pékin Zhong Kui marie sa sœur. Mi-homme, mi-femme, moitié humain, moitié fantôme, mêlant laideur et beauté, yin et yang, son personnage symbolise le destin des femmes modernes en Chine, aux prises avec les déchirures de l'Histoire. Les airs d'opéra sont chantés par Pei Yanling elle-même, et le film, d'une importance considérable dans l'histoire du cinéma chinois, sera présenté pour la première fois au public français en ouverture de la rétrospective. Tout aussi emblématique, Un matin couleur de sang de Li Shaohong, cinéaste phare de la « cinquième génération », s'inspire notamment du roman de Gabriel García Márquez Chronique d'une mort annoncée, transposé pour l'occasion dans les campagnes chinoises. Son style unique, froid et brutal, a choqué le milieu artistique chinois, et il laisse derrière lui une empreinte particulière. Comme l'écrit la professeure Dai Jinhua, « les paysages de la Chine ancienne se confondent avec le tableau réaliste et contemporain du pays, laissant des années 90 une trace sociale et historique, semblable à la moraine d'un glacier ». Il livre un témoignage, aussi, de la manière dont ces cinéastes ont utilisé leur sensibilité et leur acuité pour éclairer des problématiques sociales collectives.

Au tournant du siècle, et surtout depuis l'émergence des courants féministes chez les jeunes citadines chinoises, la conscience du genre, en résonance avec le monde actuel, s'est démocratisée dans les œuvres de cinéastes chinoises. Send Me to the Clouds de Teng Congcong (née en 1985), et Her Story de Shao Yihui (née en 1991), avec leurs positions et leurs regards engagés, ont provoqué des débats sociétaux incontournables : chacun à leur façon, ils révèlent la forte conscience du genre chez la jeune génération. Née en 1989, Luka Yuanyuan Yang fait ses débuts au cinéma avec Chinatown Cha-Cha, un documentaire sur un groupe de danseuses chinoises âgées de 70 à 90 ans, chronique de leur tournée des États-Unis à Cuba, avant un retour en Chine. Son travail montre comment les nouvelles artistes chinoises, qui ont étudié en Occident et grandi dans un environnement culturel mixte, mettent en scène une vision de la vie très personnelle. Liu Jiayin, célèbre dans le milieu du cinéma indépendant européen, a remporté à 24 ans de nombreux prix pour Oxhide (2005), réalisé avec une caméra DV et 23 plans sans contrechamp. Après quatorze ans d'absence au cinéma, elle revient avec son nouveau film, All Ears, présenté dans cette programmation.

Cette sélection permettra au public français d'appréhender le long cheminement de la culture moderne en Chine, d'entrevoir comment ces trois générations de réalisatrices ont libéré l'expression, et transcendé les stéréotypes de genre. Un constat fait par Huang Shuqin dans Les Femmes dans le monde masculin de l'industrie cinématographique, son écrit sur la philosophie du cinéma : « Si l'on comparait le point de vue masculin et ses valeurs sociales millénaires à une fenêtre donnant sur le sud, le point de vue féminin serait celui de la fenêtre orientée à l'est. De là, le jardin apparaît bien différent : cette fenêtre possède une sensibilité, une beauté, une douceur, une force et une résilience qui lui sont propres. C'est précisément dans cet angle que réside l'avantage des réalisatrices, qui ouvre une autre perspective, et donne à voir un tout autre univers. »

Violet Wang

Commissaire du projet cinéma « Réponse de femmes » – Art Shanghai