Se voir et être vus

4 février 2025

« Père du cinéma guadeloupéen », selon ses propres mots, scénariste, cadreur et producteur, Christian Lara a composé une œuvre riche de plus de vingt-cinq films, ce qui lui donne une place tout à fait à part dans les cinémas des territoires dits d'outre-mer, comme des cinémas caribéens. Ce dernier statut lui a valu l'obtention du Pioneering Filmmaker Award au Festival panafricain du film de Los Angeles en 2013 pour l'ensemble de sa carrière, comme la remise d'un Sotigui d'honneur en 2022 au Burkina Faso.

Dans un premier temps journaliste pour Le Figaro, Christian Lara décide de se tourner vers cette arme qu'est le cinéma, afin de permettre à ses compatriotes de « se voir et d'être vus », tant physiquement que linguistiquement et culturellement. En 1979, il réalise Coco la Fleur, candidat, avec le truculent Robert Liensol et le charismatique Greg Germain. C'est la naissance du cinéma antillais, le premier jalon d'une filmographie riche et variée, où le cinéaste alterne les genres : la comédie, avec Une sacrée chabine (1993), qui offre au cinéma antillais (commercialisé) l'un de ses deux premiers personnages féminins, le film social (Mamito, 1980) ou encore la fresque historique, avec son triptyque sur la « guerre de Guadeloupe » : Vivre libre ou mourir (1980), Sucre amer (1998) et 1802, l'épopée guadeloupéenne (2002). Les deux derniers opus initient la longue collaboration entre le metteur en scène et son comédien fétiche Luc Saint-Éloy, notamment protagoniste du délicat AL (2021) sur la maladie d'Alzheimer.

En digne petit-fils du premier historien noir de la Guadeloupe, Oruno Lara, le cinéaste ne se départ jamais du sens de l'Histoire. Pour rappel, la « guerre de Guadeloupe » désigne le combat mené par le commandant Ignace, la mulâtresse Solitude, le colonel Delgrès et tous leurs compagnons de lutte contre le rétablissement de l'esclavage par les troupes napoléoniennes en 1802, après la première abolition du 4 février 1794. Lara entretient une conscience historique et politique avec Joséphine (2011), sur l'impératrice des Français, originaire de la Martinique, Esclave et courtisane (2016), sur l'exploitation sexuelle liée au processus colonial, ou encore des films tels que Black (1987) ou Héritage perdu (2010). Tournés en terres d'Afrique, ces derniers font de lui le premier réalisateur antillais à renouer des liens avec le continent africain, après la pionnière Sarah Maldoror et son drame Sambizanga (1972).

Fortement ancré dans sa réalité caribéenne, le cinéaste n'en était pas moins ouvert sur le monde : The Legend (2012) mit ainsi à l'honneur sa fidèle comédienne, Mi Kwan Lock, en Polynésie française, et l'intimiste Un amour de sable (1977), tourné à Belle-Île-en-Mer, en hommage à son mentor Ingmar Bergman, offrit l'un de ses premiers rôles principaux à Jacques Weber. Christian Lara, un cinéaste éclectique et souvent surprenant.

Guillaume Robillard