L'oubli et la mémoire sont également inventifs. — Jorge Luis Borges
Nous, les restaurateurs de films et archivistes, vivons dans un autre temps, celui du cinéma muet, du début du sonore, des images noir et blanc ou celles du Technicolor. Le week-end, nous profitons du réel effrayant qui défile sur de commodes écrans tactiles. Mais notre semaine de travail est consacrée à la manipulation méticuleuse de la pellicule, l'ouverture de boîtes anciennes, souvent rouillées. Nous travaillons sur des tables de visionnage, avec le bruit mécanique du moteur et de la pellicule qui se déroule, parlons d'argentique et de photochimie, de teintages, de couleurs passées, de piste son optique et de perforations. Nous utilisons un vocabulaire disparu du monde contemporain. Nous visionnons avec attention des films oubliés et des images insolites, qui interpellent notre mémoire et notre imaginaire. La renaissance de ces films oubliés contribue à la mémoire collective. Nous partageons ces images et nos impressions avec nos confrères et consœurs en France et à l'étranger, puis avec un public plus large. Nos réflexions permettent de concevoir des programmes avec d'autres archives et des historiens.
Cette année, nous proposons des films qui vous plongeront dans un Paris poétique de la fin des années 50, celui de Pierre Prévert (Paris la belle), de Georges Franju (Notre-Dame, cathédrale de Paris) et de Jacques Baratier (Paris la nuit), trois cinéastes qui aiment mêler la fiction au documentaire, et inversement. Cette séance a été conçue à partir des restaurations que nous avons menées avec la société Argos, soutenues par le CNC et par la société Neuflize OBC.
Notre déambulation parisienne se prolongera avec des films tournés en banlieue, des œuvres saisissantes et magnifiques qui, déjà dans les années 20, prenaient le pouls de sa misère et évoquaient la nécessité de sa transformation : La Zone, Aubervilliers et Autopolis. Trois films tournés aux portes de la capitale où les usines automobiles monumentales, aujourd'hui disparues, côtoyaient une réalité sociale des plus rudes, maintenue jusqu'à aujourd'hui hors-champ, de l'autre côté du périphérique. Cette deuxième séance a été imaginée avec la Cinémathèque idéale des banlieues du monde, portée par les Ateliers Médicis et le Centre Pompidou, sur une idée originale de la cinéaste Alice Diop, ainsi qu'avec la société Les Documents cinématographiques, ayant droit de restaurations remarquables.
Dans la continuité des programmations précédentes du festival, nous poursuivons nos restaurations de films muets transalpins inédits, en collaboration avec des chercheurs et des historiens du cinéma italiens, comme Silvio Alovisio et Luca Mazzei, qui travaillent sur le paysage de leur pays à travers le cinéma muet. Ils seront aux côtés de la Cinémathèque française et du CNC pour présenter cette invitation au voyage, l'occasion d'échanger sur les images documentaires Bergamo ou Almafi et des courts métrages de fiction comme Le Lys noir.
Enfin, œuvre plus contemporaine, le documentaire militant D'une brousse à l'autre, qui a été restauré avec le réalisateur Jacques Kebadian : le cinéaste s'était enfermé avec sa caméra vidéo auprès des sans-papiers dans l'église Saint-Bernard en 1995, pour un témoignage de ce triste épisode historique.
Hervé Pichard