André Bazin disait que c'était le cinéma américain par excellence. Il avait bien raison. Le western est plus qu'un genre cinématographique, c'est une forme qui entremêle la légende et l'Histoire, le mythe et la société. Une forme qui a connu diverses métamorphoses parce qu'elle aura aussi été un miroir déformé et allégorique du présent. Le western, c'est la scène d'un théâtre où se jouent ces combats cruciaux qui opposent la civilisation et la nature, la Loi et le chaos, l'individu et la communauté. C'est, pour les plus grands cinéastes, une manière de penser la nation et de rêver l'Histoire. Il peut paraître bien présomptueux de vouloir concentrer l'histoire du genre en 25 titres tant est grand le nombre de chefs-d'œuvre. Certes, mais ce n'est pas grave. On recommencera.
Le western avait été une grande catégorie du cinéma muet américain, déjà écartelé entre la fantaisie enfantine (les films avec Tom Mix en vedette) et un âpre réalisme (ceux avec William S. Hart). Après un passage à vide dans les années 30, où le genre sera essentiellement cantonné aux productions à petit budget, il redeviendra central après le succès de La Chevauchée fantastique en 1940. Le film de John Ford invente une imagerie qui aura la vie dure (ah ! ces panoramiques dévoilant, à la fin du mouvement de la caméra, un groupe d'Indiens menaçants au sommet d'une colline !), et engendre la star indiscutable du genre, John Wayne. Le catholique Ford s'en prend déjà au puritanisme wasp (le personnage de Claire Trevor) et tente de panser les plaies laissées par la guerre de Sécession. En pleine Seconde Guerre mondiale, L'Étrange Incident de William Wellman reprend lui les motifs d'un certain cinéma, en s'en prenant au lynchage et en témoignant de la persistance de réflexes primitifs et pulsionnels au sein même de l'ordre civilisé.
L'après-guerre va redonner une nouvelle dynamique au genre, désormais nourri de la mémoire et de l'expérience d'une catastrophe qui a cassé le siècle en deux, et que l'Amérique tentera de refouler. Les personnages de névrosés, souvent masochistes, aveuglés par une autorité que leur donne, croient-ils, leur capacité à survivre (La Rivière rouge de Howard Hawks, 1946), déchirés entre diverses prescriptions contradictoires, la liberté ou l'adhésion à un dessein collectif dépassant l'individu (L'Appât d'Anthony Mann, 1953, L'Homme des vallées perdues de George Stevens, 1953, L'Homme qui n'a pas d'étoile de King Vidor, 1955). Les pistoleros suivent (ou non) un parcours moral qui est aussi une forme d'injonction politique (Vera Cruz de Robert Aldrich, 1954). Alors que certains cinéastes exaltent encore un individualisme splendide, métaphysique, dans une veine d'un lyrisme encore inégalé (La Fille du désert de Raoul Walsh, 1949). Le western se transforme aussi en allégorie politique comme Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952), désignant la lâcheté comme l'allié principal d'une chasse aux sorcières qui commet alors des ravages à Hollywood. Quarante tueurs de Samuel Fuller (1957) fera exploser le cadre du western au point que Godard évoquera à son sujet Gance, Stroheim et Murnau. En réponse au film de Zinnemann, Howard Hawks signera, avec Rio Bravo (1959), la fin du classicisme. Comme le fera aussi Budd Bœtticher en choisissant le contraire de l'enjolivure maniériste et baroque pour atteindre une forme de minimalisme épuré et abstrait (La Chevauchée de la vengeance, 1959).
Après les flamboyantes et complexes années 50, le western devient la victime d'une crise qui frappe par ailleurs l'ensemble de la production hollywoodienne. Trop évident, trop classique, trop simpliste pour un public hâtif et aveugle, le genre entre dans une crise pourtant féconde, celle du crépuscule d'une forme expressive, qui va se nourrir d'une actualité en plein bouleversement. La société américaine se détraque. Certains s'imagineront pouvoir casser les conventions westerniennes. D'autres constateront, mélancoliquement, la lente disparition de héros devenus vieux et désabusés (La Horde sauvage de Sam Peckinpah, 1969), victimes désormais davantage d'une contingence absurde que d'un destin historique, tels les deux cowboys du très beau et trop méconnu film de Blake Edwards Deux Hommes dans l'Ouest (1971). Fureur apache de Robert Aldrich (1972) dépasse l'opposition entre racisme et antiracisme, en décrivant la conquête de l'Ouest comme une brutale et insoluble guerre de civilisation.
Le western, devenue partie intégrante d'une culture partagée par le monde entier, sera transformé en opéra, rétrospectif et mélancolique, par Sergio Leone, qui s'approprie, avec Il était une fois dans l'Ouest (1968), un genre dont on avait peut-être perdu de vue la beauté à Hollywood. Justement, Clint Eastwood, figure engendrée par le western italien et devenu le cinéaste prenant en charge toute l'histoire du classicisme hollywoodien, dédie en 1992 Impitoyable à Sergio Leone et Don Siegel. Avec Django Unchained, Quentin Tarantino réalise, en 2012, sa version pop, brechtienne et sadique du western.
Lorsque John Ford entreprend, en 1962, de réaliser L'Homme qui tua Liberty Valance, il s'oppose à un air du temps qui ne tolère désormais le genre qu'à la condition qu'il s'inscrive dans un mouvement monumental privilégiant les grands espaces et la couleur. Ford choisit la forme télévisuelle (tournage en studio, choix du noir et blanc) pour livrer une réflexion sur la loi et la civilisation fondée sur la question que pose par essence le western : « Faut-il désirer le XXe siècle ? »
Jean-François Rauger