John McTiernan : La Rhétorique du jeu
23 janvier 2025
John McTiernan : La Rhétorique du jeu
Plusieurs fois en 1987, John McTiernan s’est vu proposer le tournage de Piège de cristal, et plusieurs fois, il l’a refusé. Il n’était pas intéressé par une histoire qui faisait du terrorisme le moteur de l’action. Avant de commencer à en cerner le potentiel, mais en posant la condition d’y apporter de grands changements. À Los Angeles, où le paraître et les illusions prévalent sur tout le reste, le terrorisme devient alors un masque pour dissimuler le véritable dessein des criminels : réaliser le casse du siècle. À son tour, l’intrigue avance masquée, et derrière le film d’action testostéroné, McTiernan réécrit Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, avec ses deux amoureux séparés le temps d’une nuit au cours de laquelle les valeurs seront renversées, et les rôles intervertis. L’aventure de John McClane peut dès lors être résumée en une comédie où les apparences ne cessent de se faire et de se défaire.
Les masques et les faux-semblants abondent dans le cinéma de McTiernan, du camouflage caméléon de Predator jusqu’à l’intrigue en trompe-l’œil de Basic, en passant par les simulacres et autres jeux de dupes au cœur d’À la poursuite d’Octobre rouge ou de L’Affaire Thomas Crown, sans parler de la traversée du miroir de Last Action Hero… Le cinéaste s’ingénie à porter son regard sur la duplicité de notre modernité. Ses films dégagent une dimension ludique, une rhétorique du jeu qui n’est pas seulement celle de la comédie, mais une façon d’être au monde fondée sur une permanente remise en question des règles. Ainsi, Predator, Piège de cristal, Le 13e Guerrier ou Thomas Crown sont d’immenses parties de cache-cache, Octobre rouge, une bataille navale à échelle mondiale, Die Hard 3 – Une Journée en enfer, une partie de « Jacques a dit » relevée de devinettes mortelles, tandis que Rollerball met en scène un jeu sportif d’une implacable violence.
Un peu à la façon des situationnistes, McTiernan réinvente le cadre de l’action et la géographie du réel pour mieux en déployer les potentialités, faisant de l’évolution dans l’espace le principal enjeu de ses films. Cinéaste du mouvement, il ne cesse de retourner son décor sur lui-même. Les deux dimensions d’un tableau se dotent alors d’une profondeur insoupçonnée, le huis-clos d’un sous-marin redessine ses perspectives en lignes de fuite vers ailleurs, un gratte-ciel se meut en jungle, la jungle se fait espace mental où les êtres sont confrontés aux limites de leur humanité… Mais son terrain de jeu privilégié reste celui de l’écran de cinéma, celui-là même dans lequel sont littéralement projetées les émotions du spectateur avec Last Action Hero, géographie intime qui investit l’image d’un pouvoir magique. Et le building qui a servi de décor à Piège de cristal n’était autre que le nouveau siège des studios de la 20th Century Fox, alors en construction. Le film apparaît alors comme une profession de foi : libérer les potentialités du cinéma hollywoodien, quitte à le faire exploser.
Nicolas Tellop