Susan Seidelman, la réinvention de soi
Un remède à l’anxiété, une chanson pour se remettre d’aplomb. C’est ainsi, de manière inattendue, qu’on pense spontanément à Susan Seidelman, réalisatrice d’un des films emblématiques de la culture pop eighties, Recherche Susan désespérément (1985). La présence au générique de Madonna, alors en plein avènement international, et de son tube Into the Groove, qu’on entend deux fois dans le film, avait contribué à le rendre populaire autant qu’à créer une forme de malentendu. On a malencontreusement oublié combien cette histoire de changement de vie, au centre du récit écrit par la scénariste Leora Barish, ressemblait à celle de la cinéaste.
Née dans la banlieue de Philadelphie, Susan Seidelman s’installe à New York à la fin des années 70, pour faire des études de cinéma et commencer une nouvelle étape de son parcours. Elle réalise alors en 1980 Smithereens, le portrait de Wren, une jeune femme téméraire, sensible et impertinente, fascinée par la scène musicale punk rock de l’époque, qui tente de trouver sa place à New York. Inspiré par Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette, le film symbolise bien le cinéma indie américain des années 80 (en cousinage avec celui de Jim Jarmusch), rythmé par les riffs de guitare de Loveless Love du groupe punk rock The Feelies. Âpre et grinçant, Smithereens fait l’éloge d’une liberté féminine qui ne s’encombre d’aucune attache, et qui déconcerte les garçons fuyants ou amoureux. En réalisant ce film, qui sera sélectionné au Festival de Cannes en 1982, Seidelman documente un New York en pleine déliquescence, dont s’emparaient toutefois les artistes comme d’une immense toile créative.
La Big Apple de nouveau, direction East Village : le territoire de jeu de Recherche Susan désespérément, avec cette fois-ci comme inspiration Alice au pays des merveilles, chassé-croisé coloré (Ed Lachman à la photo !) de deux femmes, incarnées par Madonna et Rosanna Arquette, avec autour d’elles deux univers opposés finissant presque par se superposer. Plus tard, avec She-Devil, comédie de vengeance, Susan Seidelman poursuit encore cette réinvention de soi qui consisterait pour les personnages féminins à imaginer leurs propres versions fantasmées, en contradiction avec la réalité de leur existence. La cinéaste pratique souvent dans ses films l’échange d’individus à la poursuite de leurs désirs et de leurs insatisfactions personnelles.
Entretemps, Susan Seidelman aura réalisé Et la femme créa l’homme parfait, comédie sociale (et faux film de SF !) sur une trentenaire intransigeante n’aimant pas les compromis. Et aussi Cookie (1989), une comédie de gangsters, captant avec beaucoup d’acuité le pouls d’un New York peuplé de personnages pittoresques, où, dans le rôle-titre, Emily Lloyd apporte son énergie et finit par prendre les affaires en main. En 1992, Susan Seidelman revient au cinéma avec Confessions of a Suburban Girl, qui anticipera la réalisation du film pilote de Sex and the City (1998), série culte s’il en est, à laquelle elle aura apporté sa patte fantaisiste et mélancolique.
Bernard Payen