Ivan Mosjoukine, désordre et génie : nouveaux regards sur l'une des premières stars du cinéma

Myriam Juan et Valérie Pozner - 18 novembre 2024

Ivan Mosjoukine (1889 ?-1939) appartient à la première génération des stars de cinéma, dont il est une figure emblématique. Acclamé en Russie dans les années 1910, il s'exile à la suite de la révolution bolchévique et devient bientôt la « seule vedette mondiale du cinéma français », selon une expression du journaliste Jean Arroy. En France, il tourne d'abord pour Ermolieff-Films, qui devient en 1922 la société des films Albatros. Entouré principalement d'artistes et de techniciens russes, il est à l'affiche de grandes réussites comme La Maison du mystère (1922), un sérial en dix épisodes, ou encore Kean ou Désordre et génie (1923), tous deux réalisés par Alexandre Volkoff, son cinéaste de prédilection. Sa prestation dans ce dernier film impressionne tout particulièrement les contemporains. « On disait autrefois : il faut avoir vu mourir Sarah Bernhardt. On dira demain, à ceux qui veulent connaître les plus hauts sommets du cinéma : il faut avoir vu mourir Ivan Mosjoukine », écrit Jean Tedesco dans Cinéa-Ciné pour tous. Le même Tedesco organise d'ailleurs, quelques mois plus tard, un « Festival Mosjoukine » au théâtre du Vieux-Colombier, honneur auquel seul Chaplin avait eu droit. Ivan Mosjoukine est également, en France, le scénariste de la plupart de ses films et le réalisateur de deux d'entre eux, L'Enfant du carnaval (1921) et Le Brasier ardent (1923), dont Jean Renoir écrira plus tard qu'il le décida à faire du cinéma. Après avoir collaboré avec de grands noms de l'avant-garde française comme Jean Epstein et Marcel L'Herbier, Mosjoukine quitte Albatros et se consacre avec succès à des superproductions à grand spectacle, dont Casanova (1926) pour lequel il retrouve Volkoff et joue avec son image d'irrésistible séducteur. Repéré par Universal, il part fin 1926 à Hollywood avec un contrat de cinq ans. L'expérience se révèle malheureusement décevante. Après avoir tourné dans un seul film, Mosjoukine rentre en Europe où il poursuit sa carrière en Allemagne. L'arrivée du parlant a raison, au début des années 30, d'une gloire qui était déjà sur le déclin.

Mort en France, Mosjoukine y a laissé des documents déposés par sa belle-sœur aux Archives d'État d'Art et de Littérature de Russie. D'autres documents ont resurgi récemment. Conservés par la propriétaire d'un hôtel-pension où l'acteur vécut dans les années 30, au 22 avenue Carnot à Paris, ils ont été confiés à la Cinémathèque française par ses héritiers, Monsieur et Madame Rivière. Ce nouveau fonds, le fonds Mosjoukine, couvre les années 1926-1930, passées par l'acteur entre la France, Hollywood et l'Allemagne. Il est riche notamment d'une volumineuse correspondance, envoyée par des proches et des collaborateurs, mais surtout par des fans écrivant du monde entier. À l'occasion du don de ces archives à la Cinémathèque, une sélection de ces documents est présentée en vitrines à la Bibliothèque du Film. Enrichie de documents provenant des collections de la Cinémathèque française (fonds Albatros, fonds Volkoff, affiches et photographies), cette sélection retrace la carrière exceptionnelle d'Ivan Mosjoukine après son départ de Russie, tout en interrogeant le phénomène socio-économique et culturel que représentaient les stars de cinéma à l'époque du muet.

 


Myriam Juan et Valérie Pozner sont autrices de « Du nouveau sur Ivan Mosjoukine. Des archives refont surface », 1895 revue d'histoire du cinéma, n° 103, automne 2024.