Présentation de Une étoile est née (George Cukor, 1954)
Yola Le Caïnec
- 27 septembre 2024
Durant la rétrospective des films de George Cukor, la Cinémathèque française a proposé à Yola Le Caïnec, auteure d'une thèse sur Le féminin dans le cinéma de George Cukor à l'Université Paris 3, de présenter 5 films. Nous vous proposons la restitution sous forme d'articles de chacune de ces présentations.
Le film projeté n'est pas la version voulue par George Cukor, mais il a pour ambition de s'en approcher au plus près. Il s'agit d'une restauration menée au début des années 1980 par Ronald Haver, du vivant du cinéaste.
Un film amputé
L'histoire commence en 1954. Juste après que Cukor a suivi et validé le montage du film, il s'accorde un voyage à Londres pour voir jouer Marlon Brando et retrouver sa bande, Spencer Tracy, Katharine Hepburn et le couple de scénaristes Ruth Gordon et Garson Kanin. Pendant ce temps, la production Warner Bros. et Sid Lift, qui était le mari de Garland, décident qu'il faut rajouter au film un grand morceau musical, sur le modèle de The Broadway Melody dans Chantons sous la pluie, sorti deux ans plus tôt. C'est le numéro Born in a Trunk, reconnaissable à sa mélodie et à la grande interruption qu'il cause dans le récit.
Déconstruction
À son retour, Cukor sera doublement en colère en découvrant le massacre. Il trouve le numéro inutile car redondant. Et surtout, il constate, sidéré, que pour ajouter ce morceau des scènes ont été supprimées et certaines d'entre elles détruites. Il s'agissait de scènes de vie quotidienne du personnage féminin principalement, les scènes favorites du cinéaste... Pour Cukor, Judy Garland n'a pas eu l'Oscar à cause de ces suppressions. C'est l'absurde peut-être de la situation qui est le plus violent : Une étoile est née a coûté pas moins de six millions de dollars. Le comportement de la production reste inexplicable : était-ce une façon de rappeler la suprématie du studio system à un cinéaste qui commençait à vouloir s'en affranchir ? C'était un film important dans sa carrière, son premier en couleurs, en CinemaScope, et sa première comédie musicale. Une étoile est née sera d'ailleurs déterminant pour que Cukor soit préféré à l'autre MGM-director, Vincente Minnelli, au moment de réaliser My Fair Lady – pour lequel Cukor et son agent négocieront, en free lance avec Warner, le contrat le plus lucratif de sa carrière grâce à la société de production qu'il avait créée en 1962.
Reconstruction
Cukor n'a jamais vu le film que vous allez voir car il meurt le 24 janvier 1983, juste avant l'avant-première. Par contre, il en a suivi le processus, de façon distante cependant, sans trop vraiment y participer. Il était persuadé qu'il restait une copie de sa version initiale, ce qui a entretenu le mythe autour du film. De fait, Ronald Haver a retrouvé une trace du film original, mais simplement sonore : une bande son mono. Il s'appuie sur elle pour reconstituer 22 minutes de la version Cukor, on les repère aisément : des scènes retrouvées, des montages de photographies de plateau et même des retournages faits par Ronald Haver avec le soutien financier de la Warner qui reconnaissait ainsi son erreur, enfin. Il ne resterait plus qu'à oser retirer du film le grand morceau Born in A Trunk, pour rendre hommage au travail de Cukor...
Yola Le Caïnec est professeure agrégée de français enseignante en classes préparatoires, lettres, philosophie et cinéma à Rennes. Elle a écrit une thèse sur Le féminin dans le cinéma de George Cukor (1950 à 1981) à l'Université Paris 3.