Présentation de Suzanne et ses idées (George Cukor, 1940)

Yola Le Caïnec - 26 septembre 2024

Durant la rétrospective des films de George Cukor, la Cinémathèque française a proposé à Yola Le Caïnec, auteure d'une thèse sur Le féminin dans le cinéma de George Cukor à l'Université Paris 3, de présenter 5 films. Nous vous proposons la restitution sous forme d'articles de chacune de ces présentations.

Suzanne et ses idées (Susan and God)

À propos de Crawford

Susanne et ses idées est le troisième film que Cukor réalise avec Joan Crawford, un an après Women en 1939 et un an avant leur quatrième et dernier film ensemble, Il était une fois en 1941. Leur première collaboration avait eu lieu sur La Femme de sa vie en 1935 pour lequel Cukor avait remplacé le réalisateur souffrant (Edward H. Griffith) ; Crawford se souviendra toute sa carrière de ce qui lui avait alors dit Cukor pour la faire évoluer dans son jeu : apprendre un texte est une chose, lui donner du sens en est une autre.

Cukor appréciait néanmoins l'actrice et elle figure sûrement parmi les actrices les plus représentatives de son cinéma, comme Katharine Hepburn ou Judy Holliday. Les personnages de Crawford entrent dans le panthéon cukorien des créatures capables de fissurer le conservatisme de la société américaine, et sûrement la sorcière dans L'Oiseau bleu s'inspirera aussi de celle que Crawford avait suggérée à Walt Disney pour le Blanche-Neige de 1937.

Casting, mon beau souci

L'intérêt que Cukor portait à l'actrice sur le tournage de Suzanne et ses idées a suscité la rancœur du premier rôle masculin, Fredric March, qui connaissait le cinéaste depuis 1930. March a humilié Cukor en le menaçant de demander son remplacement par le vétéran Cyril Gardner (réalisateur de prédilection de Fredric March), une menace qui lui rappelait qu'il avait été congédié d'Autant en emporte le vent l'année d'avant.

Cette hostilité n'est pas forcément perceptible à l'écran. Le film en tous cas n'a pas eu le succès attendu. Peut-être est-ce aussi lié au refus de Norma Shearer pour qui MGM avait initialement acheté les droits de la pièce de Rachel Crothers – une pièce qui avait connu le succès à Broadway en 1937. Norma Shearer ne voulait pas incarner la mère d'une adolescente, pourtant adaptée pour l'écran par Anita Loos dont l'engagement féministe promettait un beau personnage fidèle à celui de la dramaturge également engagée.

Le film n'en présente pas moins un intérêt majeur sur la façon de travailler de Cukor dont on peut retenir qu'elle est peu compatible avec le genre de la satire qu'il a ici particulièrement détournée. Tout d'abord, il fait preuve de son flair pour révéler des actrices, ainsi Rita Hayworth, qu'il a enrôlée contre l'avis de MGM et pour laquelle il a donné des instructions spéciales au département maquillage.

Ensuite, sa pratique du sous-texte y est parfaitement maîtrisée, on le comprend en suivant l'itinéraire d'un jeune personnage masculin, Bob, que le film développe par rapport à la pièce. Bob est incarné par Richard O. Crane que l'on voit aussi dans Her Cardboard Lover (L'Amant en carton). Bob est l'amoureux de la fille de Susan, il devient vite le centre de tous les regards et rappelle aussi que Cukor faisait aussi ses films pour tous ses amis masculins homosexuels, tous ses cronies (copains), qui figurent souvent dans ses films.


Yola Le Caïnec est professeure agrégée de français enseignante en classes préparatoires, lettres, philosophie et cinéma à Rennes. Elle a écrit une thèse sur Le féminin dans le cinéma de George Cukor (1950 à 1981) à l'Université Paris 3.