Dans les films de George Cukor, l'image du chemin multiple revient plusieurs fois. Pour Vacances, le film que vous allez voir, c'est une image absolument politique.
Je ne vais pas déflorer le film, et je préfère citer d'autres chemins qui montrent l'importance de ce thème pour Cukor, dont le cinéma serait, éclairé ainsi, un cinéma de l'ailleurs.
Il y a les différents chemins entre lesquels les deux enfants de L'Oiseau bleu (1976) doivent choisir pour vivre l'aventure merveilleuse de L'Oiseau bleu, ou Dorothy dans Le Magicien d'Oz (1939), film auquel Cukor a apporté sa contribution en retirant à Judy Garland sa perruque et son maquillage. Cela a été un geste décisif pour le film, même s'il n'a pas tourné de scène.
Cela rappelle l'invisibilisation du cinéaste dans l'histoire d'Autant en emporte le vent, un film duquel il est renvoyé après avoir tout préparé et en avoir tourné un tiers.
Cette période de la fin des années 1930 semble peu gratifiante pour Cukor, alors qu'il multiplie les films. Pour comprendre l'accélération de sa carrière à la fin de cette décennie, il faut mesurer que pendant la préparation d'Autant en emporte le vent avec son producteur et ami David O'Selznick, il tourne trois films en un an et demi avec trois studios différents : Columbia, Paramount et MGM. Le premier est Vacances que vous allez voir ce soir, ensuite vient Zaza avec Claudette Colbert, enfin Women. Ces trois studios sont les trois chemins de Cukor, et il choisira finalement celui de MGM avec qui il signe un contrat en 1939. On retrouvera une accélération similaire au début des années 1950.
Liberté inclassable
Vacances est peut-être le plus libre des films de Cukor, dans le sens où il est inclassable, il créé son propre genre, il est son propre moteur esthétique. C'est-à-dire que, dans un moment critique de sa carrière, Cukor s'affirme comme un réalisateur libre au-dessus du système. Pour Cukor, ce qui prime dans le film est la « clarté », liée à l'écriture du dramaturge Philip Barry. Cette clarté permet d'explorer profondément, tragiquement, la comédie humaine. Au nom de cette clarté, on peut facilement jouer à voir dans quel personnage le cinéaste se projette dans Vacances.
Il est plus âgé que ses personnages, ceci dit. Il a 39 ans, est déjà expérimenté. Cela fait neuf ans qu'il a été recruté par Paramount comme dialoguiste. Et c'est comme dialoguiste qu'il travaille dès 1930 avec Lew Ayres pour À l'ouest rien de nouveau de Lewis Milestone, Lew Ayres que vous allez retrouver dans Vacances en la personne du frère Ned.
Je reviens au début des années 30. Après avoir co-réalisé deux films, Cukor est promu réalisateur, signe chez RKO où le succès arrive vite avec, par exemple, What Price Hollywood ? en 1932, où il connaît aussi l'échec (Sylvia Scarlett, 1935), suivi du Roman de Marguerite salué comme le meilleur film de Greta Garbo.
Rebond
Cukor ne pense sa carrière qu'en termes de rebond : « On to the next film » était sa devise, il n'hésite pas alors, en 1938, à se relancer dans l'aventure avec le couple d'acteur et d'actrice Cary Grant/Katharine Hepburn, le trio maudit de Sylvia Scarlett. La liberté qu'il construit est collaborative. Avec Lew Ayres, mais aussi Hepburn bien sûr qui connaissait très bien la pièce de Barry pour l'avoir choisie lors de ses auditions pour Heritage – le film de Cukor qui l'a révélée au public en 1932.
Dès le rachat des droits de la pièce à Pathé qui avait sorti une première adaptation de la pièce en 1930, elle a revendiqué le rôle auprès de Columbia s'appuyant sur le succès de son film juste sorti en mars, L'Impossible monsieur bébé (Howard Hawks), avec le même Cary Grant. L'image d'Hepburn comme box office poison nourrira la promotion du film, cette image problématise jusqu'à son personnage dans le film.
Mais, plus encore, il faut parler de la collaboration de Cukor avec le scénariste Donald Ogden Stewart, qui vient aussi de Broadway (il a été acteur et a joué le rôle de Ned à la sortie de la pièce en 1928) et qui fait sept films avec Cukor dont le premier, Tarnished Lady. Ogden Stewart adaptera également Indiscrétions, une autre pièce de Philip Barry. Il n'est pas anodin qu'entre Vacances et Indiscrétions, Stewart soit entré au Parti communiste. En 1950, Stewart sera blacklisté, entre autres, pour un film anti-fasciste de Cukor, La Flamme sacrée (1942).
En discutant récemment avec deux spectateurs américains, j'ai appris que Vacances était le film de Cukor le plus identifié aujourd'hui aux États-Unis, avec Indiscrétions. Vacances en serait d'une certaine façon le prologue, ce qui différencie fondamentalement le film de Cukor de la première adaptation de la pièce réalisée en 1930 par Edward H. Griffith, et éloignera l'idée d'un remake. Vacances, un film inclassable décidément, parce qu'éminemment politique.