« Je n'aime pas qu'on m'explique le monde, c'est à moi de le découvrir », lance Marin Karmitz dans Souviens-toi du futur (2024), documentaire de Romain Goupil consacré à l'exposition Corps à corps, montée au Centre Pompidou. Fil rouge de cette déambulation à travers la collection photographique du fondateur de MK2 et celle de l'institution parisienne, ce goût pour les œuvres ouvertes trace la ligne d'un groupe familial engagé depuis 50 ans dans la défense et l'exposition d'un cinéma indépendant, porté par des auteurs refusant de surligner l'intention, pour mieux faire naître le questionnement.
Dès Nuit noire, Calcutta (1964), Marin Karmitz, cinéaste d'origine roumaine forcé à l'exil à 9 ans, expérimente des formes nouvelles et engagées, dans lesquelles évoluent des personnages déracinés.
Polyphonies engagées
Dans Sept jours ailleurs (1968), le rejet d'une société qui étouffe se mue en un voyage introspectif sur fond de musique concrète. Dans Camarades (1969), les chansons révolutionnaires accompagnent les élans politiques d'un jeune prolétaire de Saint-Nazaire monté à Paris. Et dans Coup pour coup (1971), fiction hybride explosive qui fera date, les refrains des ouvrières font taire le bruit aliénant des machines. Marin Karmitz noue des liens étroits avec les plus grands cinéastes : Agnès Varda, Claude Chabrol ou François Truffaut.
Depuis sa création en 1974, MK2 privilégie, à la production, la distribution et dans ses salles, les élans créatifs nouveaux, étrangers au didactisme sans pour autant tomber dans l'hermétisme. La société accompagne en 1979 Sauve qui peut (la vie), retour de Jean-Luc Godard à des films plus accessibles, peuplés eux aussi de personnages en errance.
Moins frontale, la politique ne disparaît pas. Inégalités de genre, violences policières, racisme et mépris de classe traversent les frontières géographiques et sociales de No Man's Land (Alain Tanner, 1984), La vie est un long fleuve tranquille (Étienne Chatiliez, 1987) ou La Cérémonie (Claude Chabrol, 1995).
L'étincelle de l'enfance
Dans La Nuit de San Lorenzo (Paolo et Vittorio Taviani, 1981), récit de l'exode des habitants d'un village toscan fuyant les exactions nazies, la poésie éclot du conte raconté à un enfant. Témoin des malheurs du monde dans Au revoir les enfants (Louis Malle, 1987), la jeunesse sert souvent d'étincelle réflexive. Elle sort de leur torpeur Marcello Mastroianni dans L'Apiculteur (Theo Angelopoulos, 1986), et Behzad Dourani dans Le vent nous emportera (Abbas Kiarostami, 1998).
Les plans de ces films nimbent de ravissement sensible les réflexions sur le hasard, l'art ou la morale. Sur l'art de la représentation dans le Mélo d'Alain Resnais, en 1986, ou sur le bien et le mal – du carmin au grenat – dans Trois couleurs : Rouge de Krzysztof Kieślowski, en 1993. Souvent mis en abyme – La femme est l'avenir de l'homme (Hong Sang-soo, 2004) – le cinéma demeure, quand l'incommunicabilité devient violence comme chez Michael Haneke (Code inconnu, 1989), l'espace d'une émotion collective qui rassemble.
Tristan Brossat