Sadao Yamanaka – Réinvention des formes et inscription de la mort

14 février 2024

Le Pot D Un Million De Ryo Sadao Yamanaka

Né à Kyōto en 1909, Sadao Yamanaka y débute sa carrière de cinéaste en tant qu'assistant-scénariste à l'âge de 17 ans. Jusqu'en 1937, il écrit 54 scénarios et réalise 26 jidaigeki (films à thématique historique), un genre dont il contribue à réinventer les formes, se profilant comme un des auteurs majeurs de la nouvelle vague qui marque le premier âge d'or du cinéma japonais des années 30.

L'irrévérence et la parodie sont manifestes dès les premières réalisations de Yamanaka, solidaires d'un courant de films satiriques qui redessinent sabreurs de génie, réparateurs de torts et autres justiciers virevoltants sous des traits burlesques. Reconnu par la critique comme par le public, le cinéaste prend part dès 1934 aux activités du « groupe de Narutaki », à Kyōto, composé d'amis réalisateurs et scénaristes qui partagent tous jeunesse, cinéphilie boulimique et fièvre créatrice. Le travail collectif d'écriture de cette amicale contribuera ainsi à la reconfiguration, accélérée par le passage irréversible au cinéma parlant, des personnages comme des intrigues propres aux jidaigeki. La comédie Le Pot d'un million de ryō (1935), l'un des trois films de Yamanaka entièrement conservés, illustre à sa façon cette réinvention des formes. Auparavant héros grimaçant aux poses outrancières, le sabreur borgne et manchot Tange Sazen devient ici un personnage comique, attachant, un grincheux au grand cœur. La langue parlée y est le japonais moderne et les situations pourraient tout aussi bien être celles d'un gendaigeki (film à thématique contemporaine). Les combats de sabre continuent quant à eux à jouer un certain rôle dans la dynamisation de l'action, mais ils remplissent désormais une fonction avant tout parodique.

En 1935, Yamanaka rencontre la Zenshin-za, une troupe libertaire d'acteurs de kabuki en rupture de ban. Étrangers aux exigences de carrière des stars cinématographiques et favorables à l'expérimentation sur les planches comme devant la caméra, ils participent à trois films du cinéaste, dont deux ont été conservés : Priest of Darkness (1936) et Pauvres humains et ballons de papier (1937). Poussé dans ses retranchements du fait de cette collaboration, et en raison également de moyens de production réduits, Yamanaka y atteint les sommets de son écriture tragi-comique, tout en lyrisme retenu, distance ironique et mariant de façon rare réalisme et expressionnisme. La densité du hors-champ, la finesse poétique du montage, la noirceur intense des anti-héros, le traitement des décors et des accessoires, la maîtrise des clairs-obscurs et la force tranquille du rendu des éléments naturels – vent, pluie, neige, jour, nuit – soulignent la singularité d'un auteur qui est parvenu, en marquant ainsi son cinéma de l'empreinte de la mort, à inscrire de façon inédite le cinéma lui-même dans le continuum de la vie et de la mort, lui refusant toute singularité ontologique.

En 1938, Sadao Yamanaka meurt prématurément, sur le front de guerre chinois, en tant que soldat de l'armée impériale japonaise. Aujourd'hui, son œuvre de cinéaste, bien que partiellement conservée, ne cesse d'éblouir par sa liberté et ne cesse de contribuer à réécrire l(es) histoire(s) du cinéma.

Antoine de Mena