Avec Eleanor Bergstein (scénariste), Kenny Ortega (chorégraphe), Emile Ardolino (réalisateur), Linda Gottlieb (productrice), Jennifer Grey (actrice), Mitchell Cannold (producteur), Dori Berinstein (productrice), Patrick Swayze (acteur), Miranda Garrison (assistante chorégraphe), Jimmy Ienner (coproducteur de la BO), Franke Previte (compositeur), David Chapman (décorateur), Jane Brucker (actrice), Samuel G. Freedman (journaliste au New York Times).
Dirty Dancing, un titre à un million de dollars
Eleanor Bergstein (scénariste) : On m'a appelée Bébé jusqu'à mes 22 ans. Dirty Dancing s'inspire de ma vie, de ma famille et de mes vacances dans les Catskills avec mes parents : un père juif, médecin, les concours de mambo et de cha cha pendant que les adultes buvaient du champagne... Plus tard, les soirées à danser dans les sous-sols avec les jeunes de mon quartier... J'étais une très bonne danseuse et je pense que c'est l'idée de cette fille dans sa robe à volants en organdi, exécutant des danses sulfureuses avec détermination, qui faisait vibrer la salle tous les soirs.
Kenny Ortega (chorégraphe) : La danse dite dirty est essentiellement une danse de la rue. Collé, cambré, on est très proche l'un de l'autre. C'est comme une sorte de conversation entre les corps. L'expression verticale des désirs horizontaux.
Emile Ardolino (réalisateur) : C'est une danse de couple très sensuelle. Imaginez ça en 1963 avant la révolution sexuelle. Les gens voulaient se serrer les uns contre les autres, alors ils dansaient. D'une certaine manière, ça ressemble à des caresses sexuelles. À la fois romantiques, très physiques et bouleversantes.
Eleanor Bergstein : J'ai mixé et assemblé tous ces souvenirs. Je voulais écrire un film qui soit une célébration de la période de la vie où l'on croit à la possibilité de refaire le monde à son image. L'histoire devait se passer au cours de l'été 1963 – pas plus tôt, pas plus tard -, l'été du mouvement de la paix et du discours de Martin Luther King, avant l'assassinat du Président Kennedy et l'avènement des Beatles.
Linda Gottlieb (productrice) : Je travaillais pour la MGM. Eleanor est venue me voir et m'a parlé de son envie de faire un film sur deux sœurs en vacances dans les Catskills dans les années 60. J'ai d'abord été sceptique, jusqu'à ce qu'elle me raconte ses virées de dirty dance. Là, j'ai littéralement fait tomber ma fourchette. J'ai dit : « Ça, c'est un titre à un million de dollars ! »
Jennifer Grey (actrice) : Personne ne pensait que ce titre allait marcher. Dirty Dancing, ça faisait un peu scandale. Beaucoup ont cru qu'il s'agissait d'un film pornographique.
Linda Gottlieb : La MGM a renoncé au projet, on a alors décidé de faire le film Eleanor et moi. J'ai appelé la Paramount : non merci. Puis d'autres studios en Californie : non merci. Je l'ai ensuite proposé à de plus petits studios, des indépendants... Quarante-deux lettres de refus. Ils avaient peur d'un film de filles. Les studios étaient dirigés par des mecs, qui voulaient des films de gros durs.
Eleanor Bergstein : Pour convaincre les producteurs, j'envoyais le script avec une cassette audio de ma bande-son idéale. Je leur disais : « Quand vous lisez le scénario, écoutez la musique en même temps ». Tous les studios ont refusé. Selon eux, les jeunes n'allaient pas aimer cette musique ou l'histoire n'avait aucun sens. Ils n'aimaient pas.
Mitchell Cannold (producteur) : Je venais d'être embauché comme chef de production chez Vestron, une société de films vidéo spécialisée dans les films de série B.
Dori Berinstein (productrice) : Vestron recevait tous les scénarios rejetés par les studios. Il y en avait des bennes entières... On a lu, et lu, et lu... Un jour Mitchell est tombé sur Dirty Dancing...
Mitchell Cannold (producteur) : Forcément le titre a attiré mon attention. Et puis, comme mes parents m'emmenaient dans des clubs de vacances dans les Catskills, cette histoire m'était familière.
Jennifer Grey : Dans les années 50 et 60, les centres de villégiature des Catskills accueillaient essentiellement des familles juives new-yorkaises qui fuyaient en été la chaleur de la ville. On les appelait les Alpes juives. Elles ont une connotation particulière pour toutes les familles juives américaines comme la mienne.
Mitchell Cannold : En lisant le script, je riais, je pleurais, j'ai immédiatement appelé son agent. J'ai demandé : « Est-ce que ce film a été fait ? » « Non, personne ne veut le faire ». J'ai dit : « Moi, je veux le faire. »
Linda Gottlieb : J'ai cru à un canular téléphonique. C'était une petite société de production VHS, c'était leur premier film de cinéma, ils n'y connaissaient rien. Mais je me suis dit que c'était une belle opportunité...
Bébé et Johnny
Eleanor Bergstein : La première chose à faire était de trouver le bon réalisateur. Quelqu'un qui savait filmer les chorégraphies et surtout l'émotion qui passe par la danse.
Emile Ardolino : Je n'avais jamais tourné de long métrage, mais un documentaire, He Makes Me Feel Like Dancin', pour lequel j'avais remporté un Oscar en 1984. Je suis fan de danse et de musique, et Dirty Dancing en offrait un parfait ensemble sur fond de drame et de comédie. J'ai donc immédiatement adhéré.
Eleanor Bergstein : Ensuite, ç'a été très difficile de trouver qui allait jouer Bébé, parce que Vestron devait approuver le casting. J'imaginais une fille mince avec de longs cheveux dans le dos, comme moi. Et eux imaginaient Winona Ryder ou Jessica Parker. Mais lorsque Jennifer Grey s'est présentée au casting, j'ai su que c'était elle.
Jennifer Grey : À l'époque, je me sentais comme une sorte de vilain petit canard. J'étais trop « juive » pour Flashdance, pas assez jolie pour Endless Love de Zeffirelli. On ne voulait pas non plus de moi dans Le Clochard de Beverly Hills pour jouer la fille de Bette Midler et de Richard Dreyfuss. Ça m'avait achevée, pourquoi est-ce que je faisais ce métier ? Et puis ils m'ont choisie pour jouer Bébé, avant même de trouver l'interprète de Johnny Castle.
Eleanor Bergstein : Pour le rôle de Johnny, Linda Gottlieb pensait à Billy Zane qu'elle pensait être le nouveau Brando. Mais je trouvais qu'il dansait comme quelqu'un qui avait très bien appris à danser pour sa Bar Mitzvah. Nous avions besoin d'un très bon danseur, et je voulais qu'il ait un regard énigmatique. Parmi les photos du fichier, celle de Patrick Swayze est sortie du lot, mais malheureusement il était inscrit qu'il n'avait pas de compétences en danse.
Patrick Swayze : Je ne voulais plus danser à cause d'une blessure au genou faite au football. Et il était temps de me concentrer sur ma carrière d'acteur...
Emile Ardolino : Ce qu'Eleanor ne savait pas au sujet de Patrick et de ses beaux yeux, c'est qu'il était avant tout danseur, et que sa mère était la plus grande professeure de danse du Texas.
Kenny Ortega : Patrick était un excellent danseur. Il a fait autant pour la danse que n'importe quel chorégraphe de notre génération.
Jennifer Grey : Kenny Ortega, qui avait travaillé sur plusieurs films de John Hughes, dont La Folle Journée de Ferris Bueller, venait d'arriver de Los Angeles. Il avait apporté sa collection de vieux 45 Tours pour nous faire danser et il montrait des bases latines aux interprètes potentiels de Johnny, tandis que le reste de l'équipe, assise sur des chaises pliantes, vérifiait leur niveau de danse. La question clé était : une fois réunis, le gars et moi aurions-nous l'air sexy ensemble ? Ils recherchaient une créature insaisissable, qui n'existait peut-être même pas : un homme au magnétisme animal, un jeune Brando qui savait vraiment danser.
Mitchell Cannold : On a auditionné Benicio del Toro, Billy Zane... Mais dès que Patrick est entré, on a su que c'était Johnny. Lors des auditions, l'alchimie avec Jennifer était indéniable. Il y avait des étincelles entre eux. Le genre d'étincelles qui pouvaient très bien se traduire à l'écran.
Jennifer Grey : Quand ils m'ont parlé de Patrick, j'ai pensé qu'il était dans l'intérêt de tous qu'ils connaissent mon histoire avec lui. On avait déjà travaillé ensemble sur L'Aube rouge de John Milius. J'avais passé deux mois avec lui. Je leur ai dit : « Croyez-moi, ça ne va pas le faire. »
Eleanor Bergstein : Il y avait eu des antécédents entre eux sur le tournage de L'Aube rouge. Patrick était très macho, faisait de mauvaises blagues. Jennifer ne pouvait pas le supporter. Mais ils se sont mis à danser et c'était une évidence. Ils étaient extraordinaires ensemble. Avec eux, j'avais toute mon histoire qui défilait devant mes yeux.
Patrick Swayze : Au départ on m'a conseillé de ne pas faire Dirty Dancing (oh, je déteste ce titre), qui passait pour une simple histoire de danseur sexy. Mais je ressentais quelque chose pour le personnage de Johnny Castle, ce type issu de la rue, qui se bat d'abord pour s'aimer lui-même et pour croire qu'il existe autre chose que ce que la société lui promet.
Jennifer Grey : Patrick était une combinaison rare et magnifique de masculinité brute et de grâce étonnante. Superbe et fort, c'était en fait un vrai cow-boy au cœur tendre, mais tellement macho. Il n'avait peur de rien et était prêt à tout pour réussir. Il m'a emmenée à part et m'a dit : « Je t'adore et je suis vraiment désolé de t'avoir fait souffrir sur L'Aube rouge. Je sais que tu ne me veux pas avec toi sur ce film. » Il avait les larmes aux yeux. « Je te jure que je me rattraperai. Tu ne le regretteras pas. » Il a souri et a tenté de me faire sourire à mon tour. « Allez, tu sais bien que si on fait ça ensemble, on va tout déchirer ». Il m'a prise dans ses bras et je me suis dit : « Ok, c'est mort pour moi. »
Patrick Swayze : Jennifer avait très peur car elle n'était pas danseuse au départ. Mais son père l'était et elle possède un talent naturel phénoménal. On a travaillé ensemble pendant six semaines avant le tournage. Après j'ai laissé la responsabilité des chorégraphies à Kenny Ortega.
Jennifer Grey : Les semaines de répétitions de danse avant le début des prises de vue ont été, pour moi, le point culminant de tout le tournage. Kenny, très généreux, m'a enseigné avec amour les bases du mambo. Dans la danse en couple, il y a un courant presque électrique qui transmet tout ce qui existe entre le meneur et le suiveur. À l'intérieur de ce système fermé, il y a une conversation intime, improvisée, sans paroles. De l'extérieur, la danse semble d'une simplicité déconcertante, mais à l'intérieur, il se passe beaucoup plus de choses. Kenny et Emile formaient un duo de choc. Ils ont réussi à faire de la danse un langage capable de superposer différents niveaux de narration émotionnelle (intimité, érotisme, identité). Ils ont su parfaitement intégrer la danse dans l'intrigue d'Eleanor qui, pour moi, relève du génie. À travers la danse, elle parle de justice et de classes sociales.
Derrière la comédie romantique, un film engagé
Miranda Garrison (assistante chorégraphe) : Les différentes classes seraient divisées en trois types de danse. Les frottements de la danse dirty pour la classe inférieure, le foxtrot pour les riches d'en haut, et entre les deux, vous avez Johnny Castle et Penny, duo de danseurs prêts à tout pour réussir.
Emile Ardolino : La danse était utilisée pour faire avancer l'intrigue, pour révéler des personnages en train de découvrir l'amour et la sexualité.
Jennifer Grey : Derrière le conte de fées romantique et cotonneux, Dirty Dancing apparaît comme un film féministe. Le personnage de Johnny est féministe. Il croise mon personnage, Bébé, et il change sa réalité, il débloque bien plus que sa sexualité, il débloque son pouvoir de séduction en tant que femme, elle qui avait peu d'estime de soi au départ. Je pense que pas mal de femmes se retrouvent dans ce personnage. Bébé était une fille à papa et elle devient une femme qui découvre sa libido en un éclair. Le film comporte en outre une intrigue secondaire qui est malheureusement toujours d'actualité : Penny (Cynthia Rhodes), l'ancienne partenaire de Johnny, lutte pour avoir accès à un avortement sûr.
Eleanor Bergstein : J'avais peu d'espoir que quelqu'un voie le film et encore moins qu'il influence qui que ce soit, mais juste au cas où, j'y ai mis des choses qui étaient importantes pour moi. Je pense que l'on peut faire un brillant documentaire sur l'avortement en noir et blanc, mais tous ceux qui le verront seront probablement déjà acquis à la cause. En revanche, si vous faites un film en couleurs avec des personnes sexy, de la musique, des danses sensuelles et une belle jeune fille blonde au visage de princesse délicate, qui n'a pas le choix et qui crie dans un couloir devant un couteau sale, cela peut faire changer d'avis certains opposants.
Jennifer Grey : Le film aborde les avortements illégaux en 1963, nous l'avons tourné à la fin des années 80, et c'est un thème très inhabituel dans une comédie romantique, non ? C'est un sujet assez lourd mais qui n'empêche pas le spectateur d'être emporté dans cette délicieuse histoire de plaisir sensuel.
Eleanor Bergstein : Afin d'obtenir le sponsoring d'une grande marque de cosmétique, les producteurs m'ont demandé de retirer l'avortement du scénario. J'étais sûre que ça arriverait, j'avais donc tout prévu et je leur ai répondu : « J'aurais été heureuse de le faire mais sans l'avortement illégal, il n'y a plus aucune raison que Penny arrête de danser avec Johnny, que Bébé aide Penny et qu'elle danse avec Johnny, ou qu'il se passe quoi que ce soit. Tout s'effondre. » Sans l'avortement, il n'y avait tout simplement pas de film.
Jennifer Grey : « On laisse pas Bébé dans un coin ». Si Patrick Swayze, à de nombreuses reprises, a tenté de faire supprimer cette réplique qu'il jugeait idiote, elle a eu une résonance incroyable. Cette phrase signifie tellement de choses. Il y a tellement de façons de se mettre au coin ou de penser que les autres nous mettent au coin. Nous devons être capable de reconnaître que notre place n'est pas dans un coin.
« Tout ce qu'on avait dans le budget, on l'a mis dans la musique. »
Mitchell Cannold : Tout le monde s'est donné à fond. Mais Vestron n'avait jamais réalisé de film auparavant et disposait d'un très petit budget de 4,5 millions de dollars. Il était fort probable que le dévouement de chacun ne suffise pas à sauver le film du destin embarrassant d'une série B.
Eleanor Bergstein : Le film devait contenir d'anciennes chansons provenant de ma collection personnelle. J'avais divisé les sélections musicales en trois groupes : le latin mambo pour le dancefloor de la résidence, la pop propre aux adolescents pour le bungalow des Houseman, et la soul rock érotique pour les salles du personnel de la station. Je voulais trouver la musique la plus sexuellement évocatrice, la plus choquante pour une jeune femme qui n'en avait jamais entendue auparavant. Parce que j'imaginais que dans la chambre de Bébé, à la maison, on n'écoutait pas autre chose que les premiers Joan Baez, The Weavers ou Harry Belafonte.
Jimmy Ienner (coproducteur de la BO) : Si j'ai réussi à obtenir les licences de certaines chansons, il fallait cependant en créer de nouvelles, et donc trouver des auteurs et des interprètes...
Mitchell Cannold : Trois jours avant le début du tournage, on n'avait aucune musique. J'étais paniqué, car sans musique on ne pouvait rien tourner. Il se trouve que le compositeur qu'on avait au départ avait fini par dire : « C'est un petit film, j'ai autre chose à faire. » Je l'ai donc viré à deux jours du tournage.
Franke Previte (compositeur) : Quand Jimmy Ienner m'a appelé à la rescousse, je n'avais plus que 100 dollars sur mon compte en banque. Il m'annonce : « Il y a un petit film pour lequel je voudrais que tu écrives une musique, ça s'appelle Dirty Dancing. » J'ai pensé : « Oh, le pauvre Jimmy, il fait du porno ! » Je lui dis : « Écoute Jim, je ne sais pas si j'ai le temps pour ce genre de film. » Il répond : « Non, c'est la rencontre d'un garçon et d'une fille. C'est un bon petit film. Il faut que tu trouves du temps, ça va changer ta vie. » J'accepte mais il précise : « La mauvaise nouvelle, c'est que la chanson doit durer sept minutes. » Ok, il n'y avait aucune chance que ça devienne un single. J'ai écrit Time of My Life sur la route qui m'amenait au studio, griffonné sur une enveloppe dans la voiture sur une aire d'autoroute. Pendant ce temps, Patrick a proposé She's Like the Wind qu'il avait écrite quelques années plus tôt et qu'il interprète lui-même.
Jimmy Ienner (coproducteur de la BO) : L'album a reçu 85 disques d'or et de platine, plusieurs Grammys et deux Oscars, dont un pour la bande originale, qui reste l'un des albums les plus vendus de tous les temps. Un tournage électrique
Eleanor Bergstein : On avait très peu d'argent, surtout pour un film d'époque, car tout devait ressembler aux années 60 : les costumes, les décors...
Dori Berinstein : Pour le cadre, nous n'avions absolument pas les moyens de payer une résidence dans les Catskills, qui plus est pendant l'été avec tous les vacanciers. On a donc dû aller plus au sud.
David Chapman (décorateur) : On a trouvé refuge en Virginie, sur une montagne au bord d'un lac, Mountain Lake Lodge. Ce coin des États-Unis est normalement le dernier endroit du pays où les feuilles commencent à jaunir. Mais comme ils ne pouvaient se payer que 14 jours de tournage à cet endroit, ils ont dû trouver un deuxième camp de vacances en Caroline du Nord, avec de petites maisons et un pavillon où l'on pouvait faire les séquences de danse. On a réutilisé les mêmes lampadaires, les mêmes détails, ce qui fait qu'on ne se doute jamais qu'il s'agit de deux endroits différents.
Mitchell Cannold : Le tournage a commencé le 5 septembre 1986 en Virginie. Les résidents saisonniers et les campeurs étaient partis. Malheureusement, il commençait à faire froid et les feuilles tombaient des arbres. Elles étaient rouges orangé et le film est censé se passer en été. On a donc ramassé les feuilles, on les a peintes en vert à la bombe, puis on les a scotchées aux arbres.
Jennifer Grey : Il a beaucoup plu. Vraiment beaucoup. Et quand il a cessé de pleuvoir ? Il y avait des moustiques. Et comme je suis un aimant à moustiques et qu'il ne s'agissait pas d'un film sur une fille atteinte de la variole, la maquilleuse a dû recouvrir les marques rouges entre chaque prise, y compris pendant les scènes d'amour entre Bébé et Johnny, en tamponnant du maquillage sur presque toutes les parties de mon corps nu.
Patrick Swayze : Jennifer était particulièrement émotive, éclatant parfois en sanglots si quelqu'un la critiquait. D'autres fois, elle se laissait aller à des humeurs ridicules, nous forçant à refaire des scènes encore et encore.
Linda Gottlieb : Patrick et Jennifer ne s'aimaient pas. La scène où Johnny apprend à Bébé à se tenir en équilibre sur le tronc d'arbre au-dessus du ruisseau est la quintessence de leur différence. Jennifer disait : « Mais je pourrais tomber, même pas en rêve ». Et Patrick n'aimait pas ça.
Jennifer Grey : C'est une des seules scènes pour lesquelles j'ai utilisé une doublure. Patrick, lui, n'avait peur de rien. Son audace et ma trouille, son absence de judéité et ma super judéité... Tout nous opposait. Il aurait fait n'importe quoi et j'avais peur de faire quoique ce soit. Je suis convaincue qu'il me trouvait pénible. Moi aussi, je le trouvais pénible. Ce n'était pas fluide entre nous mais on n'en parlait pas. On ne cherchait pas à crever l'abcès.
Jane Brucker (actrice) : Patrick voulait tout faire tout seul et c'était un vrai macho. On lui disait : « Oh mais on sait que tu es l'homme le plus parfait, le plus sexy, tu n'as pas besoin de faire des cascades de macho, tu es parfait ! »
David Chapman : La scène du tronc d'arbre était vraiment dangereuse. Il y avait un ravin en dessous. J'ai dit à Patrick : « Si tu te trompes, tu as 100 personnes au chômage. »
Jennifer Grey : Patrick avait une ancienne blessure au genou, mais il a insisté pour faire les cascades sur le tronc d'arbre. Il est tombé et s'est blessé à nouveau. Son genou était gonflé comme un pamplemousse et il devait s'absenter pour se faire drainer. Le calendrier de tournage a été modifié, sans parler des jours de récupération, les maladies, la météo...
Miranda Garrison (assistante chorégraphe) : Patrick prenait le film vraiment sérieusement, beaucoup plus que Jennifer. Vous voyez, cette séquence du cours de danse, oùil fait glisser son bras sur le sien et elle commence à rigoler ? En fait, il était très tard, on tournait depuis longtemps, et cette chatouille et cette exaspération n'étaient absolument pas prévues. Et le réalisateur a dit : « Laissez la caméra tourner, c'est super ! »
Dori Berinstein : C'était un vrai moment de vérité entre eux deux. Les tensions étaient finalement bénéfiques au film. Ça renforçait l'alchimie du couple au cinéma. Ils avaient du mal à s'entendre, à être ensemble sur le plateau. Exactement comme ce que nous voulions raconter dans le film. Tout ça a finalement apporté une vraie authenticité à leur jeu.
Kenny Ortega : Ils amenaient avec eux tellement de choses chaque jour. Parfois, c'était un conflit, parfois c'était de l'amour. Il y avait quelque chose d'inexplicable entre eux, une énergie électrique.
Emile Ardolino : La scène où ils rampent sur le sol l'un vers l'autre n'était qu'un échauffement. J'ai trouvé la performance tellement géniale que j'ai décidé de la garder au montage.
Dori Berinstein (productrice) : Il suffisait de les regarder... La dynamique entre eux était de l'ordre du professeur-élève. Patrick était vraiment frustré quand Jennifer n'y arrivait pas, c'était très authentique. Ce que Jennifer apportait, c'était sa vulnérabilité et une maladresse qui était nécessaire au film.
Jennifer Grey : J'avais dans la vie les mêmes problèmes que Bébé. Par exemple, l'idée de pratiquer le « porté », ce vol audacieux dans les bras levés de Johnny qui constitue le point culminant du film, me terrorisait.
Eleanor Bergstein : Pour la scène du porté dans le lac, l'eau était si glaciale qu'ils étaient bleus en sortant. Jennifer m'a épatée, c'était un vrai soldat. Il faisait si froid qu'il a fallu cacher la fumée de leur souffle à l'image.
Patrick Swayze : On était en hypothermie ! On a joué et rejoué la scène avec nos vêtements mouillés. On a même dû être filmés de loin, car nos lèvres devenaient bleues.
Eleanor Bergstein : Parmi les nombreux aspects du film évoqués dans la culture populaire, c'est le porté qui revient le plus souvent. Au moment du tournage, nous n'avions pas conscience de l'impact que ce mouvement de danse aurait pendant tant d'années.
Jennifer Grey : Dès le premier jour de répétition et tout au long du tournage, Patrick voulait qu'on répète la scène de danse finale avec le porté. Je ne voulais pas la faire, j'avais trop peur de me faire mal. Il me disait : « Allez ! Tu peux y arriver. Je fais ça depuis toujours. Je n'ai encore jamais fait tomber personne et tu es toute légère ». Je savais qu'il me disait la vérité. Il soulevait des danseuses dans les airs depuis qu'il était enfant. Mais ça ne me rassurait pas. Et le jour de la prise, nous ne l'avions jamais répétée. Trois caméras étaient pointées sur nous, nous n'avons fait qu'une seule prise et c'était la bonne. C'était tellement émouvant que ça se voit sur mon visage : « Oh mon Dieu, je l'ai fait ! »
Patrick Swayze : J'étais fier d'elle. Tout au long du film, on la voit progresser, son personnage évoluer de gamine à jeune adulte. Elle a vraiment fait du bon boulot.
Jennifer Grey : Ce que vous voyez entre nous dans cette scène était réel. Il y avait un vrai respect. Une vraie attention. Si ça, ce n'est pas de l'amour, qu'est-ce que c'est ? Avec lui, j'ai réussi des choses que je ne savais pas faire, parce que je l'ai laissé prendre soin de moi. Je ne sais pas comment tous ces gens qui rejouent cette scène ont le courage de se jeter dans les bras de qui que ce soit d'autre que Patrick Swayze. C'est fou !
« Brûlez les pellicules et touchez les assurances ! »
Mitchell Cannold : La première version était terminée. On ne savait pas à quel point, mais on pensait que le film était réussi. On était plutôt fiers. Fiers comme des gens qui n'avaient jamais fait de film.
Jane Brucker : On a fait une première projection avec les pontes du studio. Pour eux, le film était insortable. C'était le pire film qu'ils aient jamais vu.
Mitchell Cannold : On a alors fait appel à Aaron Russo, le producteur d'Un fauteuil pour deux, pour avoir un autre avis. On s'est tous assis au fond de la salle, on a projeté le film. Les lumières se sont rallumées et il nous a dit : « Brûlez les pellicules et touchez les assurances ! Récupérez l'argent car vous n'allez jamais faire un centime avec ça. » On était anéantis.
Eleanor Bergstein : Tout le monde nous disait que c'était nul...Tout le monde a détesté : les patrons, les distributeurs et même le studio. On pensait qu'on allait être humiliés, que ça allait être horrible, que le film allait être mis direct dans les bacs vidéo. Et que ce serait difficile pour nous de retravailler un jour.
Mitchell Cannold : Et puis un journaliste du New York Times a écrit un article juste avant la sortie du film...
Samuel G. Freedman (journaliste au New York Times) : Dirty Dancing m'a tout de suite séduit par son aspect hybride. D'un côté ça me rappelait Flashdance ou Footloose, un divertissement sur le plaisir de la danse. Mais il y avait aussi une partie moins évidente du scénario qui donnait au film une profondeur inattendue. Le petit copain imprésentable, l'histoire d'amour transgressive, le milieu populaire et le milieu aisé. Bébé juive, pas Johnny. Et tout ça était transcendé par la nuit, où les barrières de classes et de religion étaient dépassées pour laisser place à une alchimie sexuelle.
Mitchell Cannold : Cet article donnait tout à coup au film une importance et une légitimité. Nous étions vraiment reconnaissants au New York Times, car il a eu un impact énorme. Les studios étaient tellement impressionnés qu'ils ont envoyé l'article à des milliers de journaux à travers le pays. Et alors qu'on s'attendait à être marketé comme un film pour ados, on a eu de vraies critiques d'adultes. Ç'a été le succès surprise de l'été 1987. Dirty Dancing avait coûté 5 millions de dollars, et allait en rapporter plus de 250 à travers le monde.
Samuel G. Freedman : Imaginez en 1987 la portée du New York Times qui mettait en lumière un tel film. Cela devenait un signal pour tous les autres médias du pays qui se disaient : « Ouh là, attention à ce qu'on va écrire, si on n'est pas sur la même ligne que le Times. » Ou : « Peut-être qu'on devrait finalement écrire un article sur ce film. »
Dori Berinstein : Ce film parlait à tout le monde. On trouvait que Bébé, c'était la girl next door. Elle était jolie mais pas magnifique, elle était un peu gauche. Tout le monde pouvait s'identifier à elle et à l'histoire. Et puis elle arrive à avoir le beau gosse, donc c'était une histoire positive, pleine d'espoir.
Samuel G. Freedman : Bien que le film se déroule en 1963, la prise de position féministe participe au charme du film. Mais sa force est aussi d'avoir une résonance actuelle, car Bébé fait partie de ces personnages auxquels toutes les jeunes filles d'hier et d'aujourd'hui peuvent s'identifier.
Eleanor Bergstein : C'est aussi grâce au merveilleux public que le film est resté à l'affiche aussi longtemps, et qu'il est toujours en vie après toutes ces années. Et cela fait maintenant plusieurs générations...
Propos extraits de :
Out of the Corner : A Memoir, Jennifer Grey, Ballantine Books, 2022
The Movie That Made Us (Ép. 1) : Dirty Dancing, 2020 (Netflix)
Patrick Swayze, acteur et danseur par passion, Derrik Murray, 2019 (Arte)
Dirty Dancing's Jennifer Grey on the enduring relatability of 'I carried a watermelon', Kristen Baldwin, August 19, 1922 (ew.com)
Patrick Swayze: Friends and colleagues pay tribute, September 14, 2009 (ew.com)
7 Secrets From Behind the Scenes of Dirty Dancing, Anya Jaremko-Greenwold, June 1, 2022 (firstforwomen.com)
Interview Jennifer Grey on her turbulent life – and the film that made her a star, John Crace, September 15, 2022 (theguardian.com)
20 Secrets About Dirty Dancing Revealed, January 25, 2024 (eonline.com)
Interview Kenny Ortega, October 20, 2017 (thesun.co.uk)
15 secrets sur le film Dirty Dancing (magazine.lecranpop.com)
How we made Dirty Dancing's (I’ve Had) The Time of My Life. Itw Franke Previte by Henry Yates, April 9, 2019 (theguardian.com)
Behind the Scenes of Dirty Dancing. An Interview with Eleanor Bergstein, Lauren Stannard (greenwichfilm.org)
Risky Business: Rock in Film, William D. Romanowski, Transaction Publishers 1991
Emile Ardolino, Director, Is Dead. Specialist in Dance Films Was 50, Jennifer Dunning, November 22, 1993 (nytimes.com)
Making of Dirty Dancing, Entrevistas de Cine (youtube.com)
The ‘Dirty Dancing’ Soundtrack: 10 Things You Didn’t Know, David Browne, August 21, 2017 (rollingstone.com)
Dirty Dancing, Emile Ardolino, 1987, Podcast (rts.ch)