Les mondes parallèles de Peter Weir

Bernard Payen - 1 février 2024

TRUMAN SHOW Peter Weir

C'est une petite histoire que Peter Weir raconte volontiers quand on lui demande comment il a eu l'idée de son premier long métrage au titre singulier, Les Voitures qui ont mangé Paris : en 1971, au volant sur les routes de France avec sa compagne, alors qu'une brume envahissait le paysage, deux hommes à l'allure inquiétante l'arrêtèrent et lui demandèrent de changer de route sans explication. L'anecdote, par ce qu'elle évoque d'indétermination entre la réalité et le fantastique, préfigure les atmosphères fantastiques des débuts du cinéaste. Dans son premier film, Paris n'est pas la Ville Lumière, mais un village paumé de la campagne australienne, où des voitures instrumentalisées et customisées par des habitants patibulaires ont des comportements violents, voire cannibales. La violence et la noirceur du film sont en droite ligne du précédent film du cinéaste, le moyen métrage Homesdale qui le fait connaître alors que le cinéma australien entame sa pleine renaissance avec le mouvement de l'Ozploitation.

Avec le film suivant, Pique-nique à Hanging Rock, très grand succès public et critique, sa carrière décolle. Le fantastique est toujours là, inexplicable mais envoûtant, pour raconter une quadruple disparition dans une colline rocheuse proche d'un pensionnat, en 1900. Cet éloge de l'invisible acquiert avec les années le statut de film culte, inspirant aussi bien Sofia Coppola pour son Virgin Suicides qu'un remake récent en série télévisée. En 1977, La Dernière Vague confirme l'intérêt du réalisateur pour le surnaturel et toute forme de croyance. L'inquiétante étrangeté est toujours présente, davantage encore sur un versant onirique. Et le cinéma de genre lui permet également de nous faire prendre conscience de la problématique aborigène si sensible encore aujourd'hui en Australie.

Peter Weir poursuit aussi un mécanisme narratif qu'il approfondira de film en film, plaçant un personnage étranger au centre d'une communauté dont il ne maîtrise pas les codes. « Nous sommes comme les Amish. Un club avec des règles », dira le policier véreux de Witness, son premier film américain avec Harrison Ford, en 1985. Cet aspect communautaire très fermé qui protège ou qui angoisse, Peter Weir continue de le décliner dans ses aventures américaines, aussi bien dans Le Cercle des poètes disparus (un film totalement générationnel célébrant le carpe diem à la fin de la décennie clinquante des eighties) que dans Truman Show (1998), portrait d'un homme en autarcie, vedette malgré lui d'un spectacle de téléréalité.

En près de 40 ans et 13 longs métrages, Peter Weir a su célébrer le goût du récit et du romanesque (on pense autant à l'épopée maritime Master and Commander qu'à la traversée intime de État second), tout en usant d'une sensibilité permettant à son cinéma d'être éminemment moderne sur des questions très contemporaines (écologie, changement de vie, sororité, interrogations sur l'altérité, peur de la mort).

Bernard Payen


Bernard Payen est responsable de programmation à la Cinémathèque française.