Tout commence avec Meg Ryan. Quand Harry rencontre Sally est le film-matrice, qui entérine certains codes du genre : déambulations dans un New York aux couleurs d'automne et au son de standards jazzy (It Had to Be You, véritable hymne de la romcom), Meg Ryan et Billy Cristal lancés dans de longues discussions aux accents woody-alleniens sur leurs amours respectives, ou sur la possibilité d'une amitié homme-femme dénuée d'arrière-pensées. Dialogues virtuoses, mélancolie non feinte, scènes cultes : Meg Ryan est intronisée d'emblée petite fiancée de l'Amérique et princesse de la romcom, et son petit minois régnera sur les années 90, l'âge d'or du genre. Cette romcom séminale aura même droit à son héritière inversée avec Sex Friends et Sexe entre amis (2011 tous les deux, ne pas confondre !) : les amis peuvent-ils coucher ensemble sans tomber amoureux ?
Le tentaculaire « Hugh Grant movie », lui, naît en 1994 avec Quatre mariages et un enterrement. Le regard bleu tombant de l'acteur et sa façon d'aligner les répliques spirituelles avec une élégance désabusée en font l'ambassadeur idéal de la branche anglaise du genre, ultraflorissante. Écrits et/ou réalisés par Richard Curtis, du Journal de Bridget Jones à Love Actually en passant par la rencontre au sommet avec Julia Roberts dans Coup de foudre à Notting Hill, ces films ont montré qu'aucun autre comédien ne personnifie comme lui le genre, au point qu'il lui a été difficile de briller ailleurs. L'Américain Marc Lawrence, qui a offert à la comédie romantique ses dernières pépites, ne s'y est pas trompé, en offrant à Hugh Grant un dernier tour de piste en quatre films, dont deux chefs-d'œuvre : L'Amour sans préavis (2002), où son jemenfoutisme aristo fait des merveilles face à la tornade burlesque Sandra Bullock, et Le Come-back (2007), où il aborde frontalement son statut de has been devant la fraîcheur maladroite de Drew Barrymore.
La subversion
On entend souvent que ce sont des bluettes à deux sous, ultraprévisibles, « toujours la même histoire ». On entend aussi beaucoup que c'est un genre rétrograde, axé sur l'hétéronormativité, avec le mariage en ligne de mire. Postulat qu'il faut accepter en effet, tout comme l'idée que le genre est conventionnel, au sens aussi où il obéit à certaines conventions de récit. Ce qui n'empêche pourtant pas certains films de commencer par une fellation (Pretty Woman), ou d'accueillir un orgasme plus réaliste que nulle part ailleurs dans le cinéma mainstream (Quand Harry...).
Mais la vraie subversion, derrière l'écriture au cordeau, les répliques géniales, les seconds rôles attachants, les situations cocasses, c'est d'affirmer que le coup de foudre n'existe pas, que l'amour est un travail, qu'il faut 12 ans et 3 mois à Harry et Sally pour réaliser qu'ils sont faits l'un pour l'autre, ou une multitude de journées similaires à Bill Murray pour parvenir à séduire Andie MacDowell (Un jour sans fin). Taxée de mièvrerie, la comédie romantique ne cesse pourtant d'asséner que le prince charmant n'existe pas, et que deux êtres « que tout oppose » doivent d'abord apprendre à s'accepter l'un l'autre, au prix de péripéties infinies, avant de pouvoir s'accorder, comme en musique (Le Come-back). À ce titre, Pretty Woman, en plus d'être un documentaire renversant sur la naissance d'une star (Julia Roberts), propose la plus belle dernière réplique possible, qui vient balayer les préjugés : la « princesse » ne se contente pas de se laisser sauver par le prince, elle le sauve à son tour, dans une égalité parfaite.
L'amour du cinéma
« You don't want to be in love, you want to be in love in a movie », dit-on à Meg Ryan dans Nuits Blanches à Seattle, entièrement irrigué par le souvenir d'Elle et Lui de Leo McCarey, jusqu'à son final au sommet de l'Empire State Building. Harry et Sally débattent continuellement de Casablanca, et Vous avez un message est une réinterprétation, à l'ère des mails balbutiants, de l'amour épistolaire entre deux êtres qui se détestent « dans la vie » de The Shop Around the Corner de Lubitsch. Des références que l'on doit souvent à la patte de Nora Ephron, mais pas seulement. Car le plus bel hommage au cinéma hollywoodien se trouve dans The Holiday de Nancy Meyers, où Kate Winslet noue une relation bouleversante avec un vieux scénariste, qui commence ses phrases ainsi : « Cary Grant me disait... » Peu à peu, on comprend qu'il a écrit certaines de ces comédies étincelantes des années 40, et façonné leurs héroïnes d'après le caractère bien trempé de sa propre femme. Kate Winslet se met alors à regarder des films avec Irene Dunne ou Rosalind Russell, et y trouve le ressort pour s'affirmer (« Tu es un premier rôle, arrête de jouer l'éternelle meilleure amie ») et se défaire d'un amour toxique. Il lui parle aussi des règles de la première rencontre en faisant référence à New York-Miami Bref, en lui exposant les règles de la romcom, il lui en apprend un peu plus sur elle-même. Comment être l'héroïne de sa propre vie ? C'est assez subtil, en fait.
La plus grande histoire d'amour de la romcom est donc peut-être celle qu'elle entretient avec l'âge d'or enfui d'Hollywood. You don't want to be in love, you want to be in love with a movie.
Mutations
Érosion du star-system, fin du cinéma mainstream, questionnement du modèle hétérosexuel blanc que la plupart de ces films véhiculaient, le genre s'est largement amenuisé depuis les années 2010. Petit à petit, il a fallu aller le débusquer de plus en plus loin des salles prestigieuses, jusqu'au sous-sol du Forum des Halles, dans un petit cinéma depuis fermé, l'Orient-Express. C'est là que quelques aficionados ont découvert ses derniers chefs-d'œuvre, dont Comment savoir de James L. Brooks, méditation ultrasensible sur une femme qui s'interroge sur la nécessité même de « rentrer dans le moule » de l'amour.
En déclinant, la romcom a dérivé, ou muté, soit dans la comédie potache à la Apatow (40 ans, toujours puceau, En cloque, mode d'emploi), soit dans le cinéma indépendant (Punch-Drunk Love, Happiness Therapy). Nicholas Stoller marie ces deux tendances, explorant le genre à l'aune de l'indécision chronique (Cinq ans de réflexion) ou de la dépression masculine (Sans Sarah, rien ne va !).
Mais les comédies romantiques n'ont pas disparu : les revoir encore et encore, à les connaître par cœur, fait partie du rituel. Certains n'ont pu regarder que « ces films-là » dans l'étouffement du confinement mondial de 2020, d'autres ont usé, à sa sortie, la VHS de Pretty Woman à force de la visionner chaque week-end, d'autres cœurs solitaires enfin s'enferment avec eux chaque année à la période des fêtes, une boîte de Kleenex à portée de main. Des films-doudous, c'est tout ? Plutôt des œuvres au pouvoir cathartique énorme, que ne possède aucun autre genre cinématographique. Et si l'objet de ces bijoux mal considérés n'était pas de nous apprendre à aimer, mais de nous aider à vivre ?
Clélia Cohen