Son nom est à la fois la promesse d'un spectacle monumental et celle de prouesses visuelles inédites. En moins de dix longs métrages, James Cameron s'est imposé comme l'un des réalisateurs phares d'Hollywood, décrochant de nouveaux records à chaque film, imposant de nouvelles normes artistiques et technologiques. Mais, au-delà du bruit et de la fureur de ses monumentaux blockbusters, se cache un cinéaste d'une sensibilité rare, d'une tendresse insoupçonnée.
On résume souvent James Cameron à la démesure de ses projets. Et, après tout, comment pourrait-il en être autrement ? Depuis Terminator 2, le jugement dernier, tous ses films ont pulvérisé des records en atteignant, quasi systématiquement, les plus hautes cimes du box-office. Et quand il n'érige pas les décors cyclopéens d'Abyss ou de Titanic, il mobilise des armées de techniciens pour concevoir des visions qu'on pensait réservées aux comic books ou à la littérature d'anticipation. Mais Cameron est bien plus qu'un maestro du grand spectacle : ses projets dantesques atteignent toujours leur pinacle émotionnel au cours de scènes intimistes d'une rare délicatesse. Tandis qu'il (re)fait couler le Titanic, il se concentre sur le visage apeuré de deux amants qui savent leur amour condamné. S'il enflamme la forêt luxuriante de Pandora, c'est pour mieux se focaliser sur l'échange de regards bouleversant entre la chasseuse na'vi Neytiri et le soldat humain Jake Sully. Il submerge une colonie terrienne perdue aux confins de l'univers sous une nuée de xénomorphes, mais prend le temps de s'attarder sur une orpheline et une femme solitaire qui soignent leurs traumas dans une bienveillance commune. Et alors qu'une machine venue du futur s'extirpe du brasier d'une humanité au bord de l'apocalypse, il place au premier plan un couple enlacé, réuni par un amour qui transcende le temps. Il y a donc quelque chose de l'ordre de l'oxymore chez James Cameron : il est à la fois un humaniste fasciné par l'apocalypse et un moderniste technophobe. Mais il est aussi, d'abord et avant tout, un auteur de blockbusters, autrement dit un cinéaste, une race rare dans le système des grands studios hollywoodiens.
Exploration artistique
Artiste jusqu'au-boutiste, Cameron tient aussi du romantique, au sens littéraire du terme : c'est la passion qui guide ses pas. Peu prolifique, il n'a réalisé que huit films (documentaires et films d'attraction exceptés) en une quarantaine d'années. Mais chaque nouveau projet est un événement, lors duquel il rejoue inlassablement tous ses acquis. Non seulement il semble risquer sa santé mentale et physique sur la plupart de ses tournages, mais surtout, chacun de ses films aurait très bien pu signer la fin de sa carrière. Il n'y a pas d'œuvre facile chez Cameron, juste des paris intrépides qui lui ont valu, bien trop souvent, la suspicion d'une partie de la presse professionnelle. C'est pourtant dans la folie, très contrôlée, de ses entreprises, qu'il tire l'énergie de son œuvre. Car l'homme est un explorateur. Érigeant la curiosité en valeur cardinale de son travail, James Cameron applique à son cinéma les principes qui sont le moteur de sa vie. De la même façon qu'il est le premier homme à plonger en solitaire dans la fosse des Mariannes à bord d'un sous-marin qu'il contribue à concevoir, il met au défi les meilleurs techniciens d'Hollywood pour défricher le cinéma numérique dès la fin des années 80 avec Abyss, puis Terminator 2. Son audace a beau être savamment calculée, il n'en est pas moins porté par une rage dévorante d'expérimenter et d'investir de nouveaux territoires.
Art technologique
L'audace du cinéaste est également la marque de son parcours iconoclaste. Cameron s'est construit en marge des circuits classiques. Débarqué de son Canada natal, il enchaîne les petits boulots ingrats à Los Angeles en apprenant, sur son temps libre, la théorie des techniques et du langage cinématographiques dans les livres qu'il emprunte aux bibliothèques. Au début des années 80, il met ce savoir en pratique sur les séries B de Roger Corman, mais aussi en travaillant aux maquettes et aux peintures sur verre de New York 1997 de John Carpenter. De ces années d'apprentissage, il tirera une connaissance totale de l'art du cinéma. Peintre, écrivain et technicien virtuose, il est un idéal de l'artiste de la Renaissance. Quand bien même il sait s'entourer des plus grands techniciens d'Hollywood, Cameron sait, littéralement, tout faire sur un plateau : il impose des modes opératoires inédits à ses cascadeurs, conçoit les plans pour les marionnettes mécaniques de ses personnages, retouche la mise en place des lumières, supervise la construction de nouvelles caméras et finira même par devenir le cadreur principal des deux opus d'Avatar. Mais, finalement, Cameron n'a pas d'autre choix que de s'imposer comme un cinéaste démiurge : comme l'un de ses maîtres à penser, Stanley Kubrick, la technologie et le projet artistique de ses films interagissent, dialoguent et se nourrissent mutuellement.
Œuvre romantique
Pour saisir toutes les nuances de l'œuvre de Cameron, il faut donc toujours se replonger dans la conception de chacune d'entre elles. Il est ainsi fondamental de rappeler qu'il est à l'origine de tous ses scénarios, mais aussi le premier artiste conceptuel de films qui, à plusieurs reprises, sont nés lors de rêves fiévreux. Et c'est bien souvent là, sur ces fragiles morceaux de papier où le cinéaste a posé en quelques coups de crayons l'élan initial de ses futures œuvres, que repose l'âme de ces entreprises monumentales. Car s'il a bravé toutes les frontières et bâti des mondes, c'est pour mieux nous permettre de renouer avec nos sentiments les plus intimes, pour nous frapper en plein cœur.
Julien Dupuy et Stéphane Moïssakis