La peur et le dégoût

Jean-François Rauger - 25 octobre 2023

Peut-on assimiler ce que l'on appelle le cinéma d'horreur à un genre cinématographique au sens où cette notion est habituellement entendue ? Comment définir ce concept d'horreur lorsqu'il est accolé au cinéma ? Si tous les genres cinématographiques postulent une certaine mise en condition du spectateur suscitée par les conventions qui les caractérisent (l'excitation provoquée par les chevauchées dans les westerns, l'euphorie engendrée par les numéros dansés dans les musicals, la mélancolie déclenchée par les amours impossibles dans les mélodrames, etc.), constatons que ce que l'on désigne par cinéma d'horreur échappe partiellement à ce qui définit les catégories habituelles du cinéma. Car un certain type d'émotions constitue ici exclusivement l'identité d'un cinéma qui a traversé les âges, prospéré sous toutes les géographies, et inspiré quelques-uns des plus grands artistes. Horrifier le spectateur est une entreprise qui repose sur des ressorts complexes, parfois insaisissables, souvent aléatoires. À divers moments de son histoire, le cinéma a produit des films qui, au gré d'une alchimie puisant dans la psychologie des profondeurs et divers réflexes intimes, tout autant que dans un certain état de la société, relevaient de ce que l'on pouvait ranger dans la catégorie « cinéma d'horreur ». Pendant longtemps, cette entreprise consistant à stimuler certaines sensations ne fut pas considérée comme particulièrement noble par les historiens ou par la critique. Souvenons-nous de l'accueil réservé à Psychose d'Alfred Hitchcock, à qui l'on reprocha de s'être aventuré dans les terres marécageuses de la série B, du Grand-Guignol et du cinéma d'exploitation. Le genre, pourtant, a désormais acquis ses titres de noblesse, qui a su, dans ses titres les plus inspirés, inventer un art de la cruauté comparable au théâtre artaudien, un cinéma pouvant être qualifié, tout à la fois, de cérébral et d'épidermique.

L'horreur comme perversion de l'ordre naturel

Le cinéma d'horreur ne s'identifie pas avec le cinéma fantastique. En effet, le surnaturel, l'une des composantes de nombreux titres présentés dans cette rétrospective, ne constitue pas systématiquement le postulat sur lequel doivent reposer ces récits. Même si l'horreur est, la plupart du temps, enclenchée par une certaine altération de l'ordre naturel. C'est sur une combinaison de peur et de dégoût que spécule le genre. La peur face à ce qui semble menaçant, le dégoût face à une forme d'impureté. La défiguration, l'hybridation, la fusion ou la dissociation, le gigantisme, la contamination sont autant de désordres, entrelacés par d'infinis arrangements, propres à enclencher certaines sensations recherchées, tout autant pour des raisons masochistes que ludiques, par le spectateur.

La disparition de frontières a priori intangibles représente une des bases de l'effroi cinématographique. Qu'est-ce que le vampire (Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau, Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher) ou le zombie (Zombie de George Romero, L'Enfer des zombies de Lucio Fulci), sinon le scandale ontologique d'une impossibilité de dissocier la vie et la mort ? La différence entre l'homme et l'animal disparaît également dans certains titres : La Féline de Jacques Tourneur, ou Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock, puisque les volatiles semblent y faire preuve d'une intelligence stratégique fortement humaine, à quoi s'ajouterait l'angoisse liée à leur multiplication. L'assassin masqué de La Nuit des masques ne bascule-t-il pas dans une sorte d'inhumanité lorsqu'il se réduit, progressivement, au-delà de toute psychologie, à une indestructible machine à tuer ? L'enfant possédée de L'Exorciste de William Friedkin n'est-elle pas soudain aspirée dans le monde adulte de l'obscénité et du blasphème ? Norman Bates, le personnage principal du Psychose d'Alfred Hitchcock, est-il homme ou femme (neither woman nor-man), vivant ou mort ? La contamination constitue par ailleurs le principe de base de nombreux récits comme les histoires de vampires et de zombies, bien sûr, mais aussi Frissons de David Cronenberg, avec ses parasites sexuels et subversifs, ou les spectres du Kaïro de Kiyoshi Kurosawa.

L'horreur comme retour du refoulé

Il a parfois été considéré, souvent à tort, que l'imagerie gore (cf. les films de Romero ou de Fulci), s'acharnant à montrer les effets physiques et anatomiques de la brutalité, effets longtemps cachés par les exigences de la censure (membres arrachés, yeux crevés, éviscérations, écoulements sanglants) relevaient d'une horreur intensifiée par le réalisme. Or, c'est moins la correspondance avec la réalité qu'une sorte de manière de mettre le spectateur dans une sorte de transe inédite au cinéma qui caractérise cette nouvelle manière de filmer la violence et ses conséquences.

L'horreur au cinéma a largement été interprétée comme l'expression de ce que l'on appelle, en termes freudiens, le retour du refoulé. Ce qui a été repoussé et dissimulé resurgissant ainsi sous une forme monstrueuse et punitive. De façon allégorique, mais parfois de façon littérale, comme les fantômes japonais de Nobuo Nakagawa (Histoire de fantômes japonais) ou les manifestations spectrales de La Maison du diable de Robert Wise, qui mettent à nu pulsions interdites et névroses prohibées, ici le lesbianisme et la frigidité. Les zombies des films de George Romero quant à eux n'incarnent-ils pas un refoulé politique, la dimension mortifère de la société moderne et ses impératifs consuméristes ? Un monde où les morts encore vivants ne sont que la représentation symbolique de ces vivants déjà morts que produirait la forme prétendument achevée de la civilisation.

Jean-François Rauger

Jean-François Rauger est directeur de la programmation à la Cinémathèque française.