Issu d'un milieu modeste, Pascal Thomas amorce son parcours professionnel en tant que pigiste, avant de devenir journaliste dans les années 60. Il écrit sur tout mais pas « sur n'importe quoi ». Ce qui l'anime avant toute chose, ce sont les arts et les lettres, plus précisément encore le cinéma ou la création littéraire. Il met alors sa plume au service de rédactions diverses (Elle, Lui, Réalités), signe plusieurs reportages et conçoit même en parallèle une bande dessinée, Pravda la Survireuse, aux côtés de Guy Peellaert. Son métier le conduit un jour à croiser la route de Claude Berri qui, amusé par ses facilités d'écriture, le pousse à imaginer un scénario. Ainsi naît Le Poème de l'élève Mikovsky (1971), court métrage initiatique durant le tournage duquel Pascal Thomas, désormais auteur et réalisateur, trouve aisément ses marques. Il s'édicte des règles simples, comme placer la caméra de façon stratégique et évidente, pour permettre au spectateur de voir le mieux possible ce qui se passe : « Si le comédien se déplace, on le suit, s'il s'arrête, on s'arrête. Au cinéma, plus on est classique, plus on a de chances d'être moderne. »
La vague du nouveau naturel
L'année qui suit, Pascal Thomas passe au stade supérieur et livre un premier long métrage intime au succès prodigieux, Les Zozos. Cette œuvre marque au passage le début d'un courant cinématographique baptisé « nouveau naturel » par Télérama : tournage modeste, en province, avec des comédiens amateurs. Une obsession du réel accompagnée, dans le cas de Pascal Thomas, d'une humeur qui lui est propre et qui singularise encore davantage ses films : « Je défends des valeurs, mais toujours sur le ton de la plaisanterie. Mes films ne sont pas des sujets, ce sont des anecdotes, des relations, des personnages. Et je ne peux pas m'empêcher de désirer divertir, faire rire. Sans doute un vieux souvenir de classe où je faisais le couillon pour amuser mes coreligionnaires. »
Fidèle à l'adage « Ne pas s'ennuyer, ne pas ennuyer », Pascal Thomas rempile aussitôt avec Pleure pas la bouche pleine (1973), développe son style (affection particulière pour la spontanéité) et attire des acteurs en vogue (Jean Carmet, Daniel Ceccaldi) tout en conservant une place de choix aux plus novices. Il fait notamment d'Annie Colé – découverte dans Les Zozos – l'héroïne de ce deuxième projet, et lance dans le même temps la carrière de Bernard Menez, révélé quelques mois auparavant par Jacques Rozier dans le film Du côté d'Orouët. Vingt ans plus tard, il impose de la même manière, envers et contre tout, le nom de Catherine Frot en haut de l'affiche (La Dilettante, 1999) et participe dès lors amplement à sa future starification. Véritable chef d'orchestre, Pascal Thomas se constitue ainsi une troupe, libre, brassant selon ses envies différentes générations et familles de cinéma, de Maurice Risch à Julien Doré, en passant par Danielle Darrieux, Michel Galabru, Jacques Villeret, Pierre Richard, André Dussollier, Vincent Lindon, Laetitia Casta, Mathieu Amalric, Chiara Mastroianni, Barbara Schulz ou Vincent Rottiers.
Le cinéma de la réconciliation
Si on a souvent tendance à opposer film d'auteur et comédie populaire, Pascal Thomas, pour sa part, a su prouver, en brisant toute frontière, que l'un et l'autre ne sont pas irrémédiablement incompatibles. La plupart de ses films ont en effet reçu les faveurs de la presse, mais également de spectateurs plus ordinaires... sans oublier celles d'illustres personnalités : « Rien n'est plus difficile au cinéma que de faire avancer bras dessus, bras dessous, le rire et les larmes, la comédie et le drame. Avec Confidences pour confidences, vous avez non seulement réussi cela, mais vous avez aussi réalisé votre meilleur film », témoignait François Truffaut. L'artiste subit aussi quelques échecs (La Surprise du chef, Un oursin dans la poche), qu'il assume néanmoins pleinement : « Quand mes films ne sont pas réussis, ils ne marchent pas, ils n'arrivent pas à faire illusion. Il y a des cinéastes qui ont des carrières uniquement avec des films ratés : moi, ça se voit. Il faut que je réussisse mes films pour avoir le public et la critique. » Ce sens du discernement le pousse à se renouveler en permanence. C'est ainsi qu'il alterne chroniques provinciales (Le Chaud Lapin) ou plus urbaines (Les Maris, les femmes, les amants, Mercredi, folle journée !), films à sketches (Celles qu'on n'a pas eues, À cause des filles..?) et récits purement autobiographiques (Le Grand Appartement). Auxquels s'ajoutent une poignée d'adaptations littéraires placées sous le signe de la fantaisie policière, d'après Ruth Rendell (Valentin Valentin), ou, à plusieurs reprises, de la papesse du genre, Agatha Christie (Mon petit doigt m'a dit..., L'Heure zéro, Le crime est notre affaire...).
Un éclectisme rare au sein d'une même carrière, mais qui, à aucun moment, ne lui fait perdre de vue le fil de ses intentions originelles : « L'ensemble de mes films est tourné vers le passé. Pas vers un passé nostalgique, mais vers un style de relations qui est en train de disparaître, du fait de l'individualisation, de la disparition de la vie des quartiers ; autrefois il y avait une entraide, une familiarité, une connaissance de l'autre. Maintenant, les gens ne se connaissent plus, ne se mélangent plus. Ils vivent virtuellement. Mon cinéma raconte un état antérieur. » Son dernier en date, Le Voyage en pyjama, en est une nouvelle et brillante démonstration.
Gilles Botineau