David Foster (producteur) : Quand je vivais à Paris, Ellen Wright, l'agent littéraire de Simone de Beauvoir, m'a donné un livre intitulé McCabe, en me disant : « L'auteur est un certain Edward Norton, qui travaille pour le New York Times à Paris, Roman Polanski s'est montré intéressé, John Huston aussi, mais ils sont pris sur d'autres projets. Vous devriez le lire, ça ferait un film d'enfer ». J'ai lu le livre sur le vol de retour vers Los Angeles, je n'ai pas pu le fermer. Dès la descente de l'avion, j'ai appelé mon avocat, un type nommé Frank Wells, qui dirigeait le service juridique chez Warner Brothers et en 48 heures, nous avons eu un accord.
Robert Altman (réalisateur) : Je n'ai jamais eu le désir de faire un western traditionnel. J'ai abordé McCabe comme si nous n'avions jamais vu de western et nous avons fait beaucoup de recherches sur cette période. Pourtant, le film a tous les éléments d'un western classique, mais traités sous un angle différent. Bien sûr, j'utilise certaines figures de style propres au genre, auxquelles le spectateur est accoutumé, afin de le mettre à l'aise et qu'il accepte le film. Puis je commence à opérer des changements. J'ai voulu revenir à certains éléments de la civilisation, la valeur de l'argent, cette boîte à musique avec des airs si nombreux, le capitalisme, l'Église. Ma documentation, je l'ai trouvée dans des journaux de l'époque, dans de vieilles photographies.
David Foster : Ce n'était pas un western classique, en termes de chevaux, de tirs, et tout le folklore, et ce qui m'intéressait dans ce western, c'était le décor. Cette histoire pourrait très bien se passer de nos jours.
Keith Carradine (comédien) : C'est un western qui explose complètement le genre. D'abord, il n'y a pas de poussière ! Il a été tourné à Vancouver, donc il n'y a que de la boue et de la neige. Mais, comme la plupart des westerns, c'est un conte à la morale classique qu'Altman, à sa manière habituelle, parvient à renverser.
Warren Beatty (comédien) : C'est un film où on prend les personnages de second plan pour les mettre au premier plan, ce qui fonctionne bien. C'est déconcertant et intéressant.
Keith Carradine : Le film évoque vraiment la perte de l'innocence, la cruauté du monde. Je crois que c'est une réflexion humaine sur la sauvagerie de la nature.
Robert Altman : Habituellement, je bâtis les frontières de l'histoire, j'y fais entrer des êtres humains et je leur demande de se comporter comme s'ils étaient les personnages. J'écris un scénario... dont je ne me sers jamais ! C'est uniquement une trame que je remets à mes acteurs. Et puis je les laisse improviser. Je ne veux pas tourner avec des comédiens, mais avec des êtres humains qui se sentent concernés par leurs rôles.
Warren Beatty : J'ai écrit tous mes dialogues. La blague sur la grenouille, elle est de moi. Bob travaille de telle manière qu'il veut un haut niveau d'implication de chacun. J'ai donc écrit la plupart des scènes dans lesquelles j'apparaissais.
Vilmos Zsigmond (directeur de la photo) : Chaque jour était un défi, car parfois vous ne saviez pas ce que vous filmeriez le lendemain. Ils écrivaient tous les soirs : Bob, Warren Beatty et Julie Christie. Ils écrivaient tous les soirs pour améliorer les choses.
Julie Christie (comédienne) : Nous n'avions aucune idée de ce que nous faisions : Altman avait des idées du jour au lendemain, et quand quelqu'un se lançait dans une brillante improvisation sans fin, il l'intégrait au script.
Joan Tewkesbury (scripte) : La moitié du travail de Bob se faisait à table, ou lors de fêtes ou de réunions préparatoires où tout le monde pouvait se parler. C'étaient ces liens particuliers qui nourrissaient l'histoire.
Robert Altman : Malgré les apparences, mes films sont scénarisés. J'utilise l'improvisation comme un outil pendant les répétitions, mais une fois que nous commençons à tourner, c'est très carré. Ma façon d'improviser consiste à dire aux acteurs : « Ne tenez aucun compte du scénario, proposez-moi des choses ». Pendant deux heures, les idées les plus folles surgissent, puis dès que je sens que cela prend forme, je décide de tourner. Ne se posent plus, alors, que des problèmes mécaniques.
Tommy Thompson (assistant réalisateur) : Pour Altman, c'est toujours angoissant de commencer un film. Il sait que cela implique deux mois de travail sept jours sur sept, 24 heures sur 24.
Julie Christie : Altman travaille de manière vraiment intéressante, il laisse les choses se produire même s'il ne les a pas particulièrement prévues.
William Devane (comédien) : Nous avons tourné à Vancouver, ce qui a lancé la tendance des tournages là-bas. Il y avait un lotissement moderne juste en face de la ville. Le bureau de production était dans l'une des maisons qui n'avait pas encore été vendue.
Julie Christie : Nous étions là, en Colombie-Britannique, et nous avons construit la ville au fur et à mesure du tournage, en bois brut, avec la boue dans les rues. Et les acteurs et l'équipe vivaient dans les bâtiments. C'était assez étrange.
Julie Christie, Warren Betty et Robert Altman
René Auberjonois (comédien) : Au début, seuls les gars qui construisaient la ville y vivaient. Je m'y sentais comme un étranger. C'était leur ville. Puis les acteurs ont commencé à arriver, et nous nous sommes approprié l'endroit, choisi nos maisons.
Robert Altman : Nous avons vécu pendant trois mois sous des trombes d'eau puis dans deux mètres de neige, comme des pionniers du début du siècle. D'abord sous la tente, puis dans des constructions en bois que mon décorateur, Leon Ericksen, a édifiées dans un endroit isolé. Nous avions notre alambic pour distiller le whisky et nous nous sommes nourris avec les volailles et les cochons que nous élevions sur place. Tout cela était tellement vrai que si j'avais voulu m'éloigner de la réalité, l'environnement dans lequel nous vivions m'y aurait ramené immédiatement.
Vilmos Zsigmond : Même après toutes ces années, je n'ai jamais été dans un environnement aussi merveilleux et magnifique que dans ce film.
Leon Ericksen (chef décorateur) : Beaucoup de choses dans la ville ont changé à cause du scénario ; beaucoup de choses dans le script ont changé à cause de la façon dont la ville a été construite. Tout s'est passé très naturellement.
Anne Sidaris (secrétaire de Robert Altman) : Le film a même changé à cause des animaux, parce que des chatons venaient fouiner dans l'église presbytérienne, des chiens y avaient élu domicile, des poussins y naissaient.
Robert Altman : Les trois filles qui jouaient les putains étaient des filles du coin, et beaucoup de gars travaillant comme charpentiers sur le plateau ont enfilé un costume et joué les figurants.
William Devane : Altman et Warren Beatty sont venus me voir dans une pièce intitulée MacBird, dans laquelle j'incarnais Bob Kennedy. Altman voulait en faire un film, mais cela n'a pas marché. C'est alors qu'ils m'ont embauché pour McCabe.
Keith Carradine : Pas besoin de passer une audition pour savoir si vous étiez la bonne personne pour le rôle. Altman n'a pas tant choisi les acteurs pour leur jeu que pour leur « essence ». Ce qui l'intéressait, c'était avant tout leur façon d'être, c'est ça qui faisait son génie. Il adorait et admirait les acteurs. Il ne comprenait pas comment ils arrivent à faire ce qu'ils font, il trouvait cela merveilleux et mystérieux.
Robert Altman : Utiliser une star comme Warren Beatty m'a fait économiser vingt minutes de récit. En le voyant arriver sur son cheval, on sait que c'est un personnage important et que le film va parler de lui. Si je prends un acteur inconnu, je dois passer vingt minutes à le présenter alors que là le public fait ce travail tout seul, à cause de tout ce qu'il associe à Warren Beatty. Bien sûr, après il comprendra que ce n'est pas un personnage important, mais il devra apprendre à le découvrir. Le public croit que McCabe est un héros puisqu'il est joué par Warren Beatty, les gens de la ville le prennent pour un homme fort.
Warren Beatty : J'adore jouer les connards. Les vrais connards. Des gars qui pensent tout savoir mais qui ne connaissent rien. Ça a été l'histoire de ma vie de penser que je savais de quoi je parlais et de découvrir plus tard que ce n'était pas le cas. C'est quelque chose que j'apprécie, je trouve ça drôle et ridicule à la fois. J'aime profiter de ce que je fais, et McCabe m'a fait rire tout au long du film.
Keith Carradine : Ce fut une expérience extraordinaire pour un jeune acteur comme moi. J'avais fait un film avant ça, également un western, A Gunfight, avec Kirk Douglas et Johnny Cash. Puis Robert Altman m'a proposé ce film.
Mike Murphy (comédien) : La plupart des autres réalisateurs vous traitent comme un enfant. Bob, lui, vous gâte. Il ne vous laisse jamais tomber.
Julie Christie : Robert Altman est un homme merveilleux et a enrichi l'expérience de vie de toutes les personnes impliquées.
Robert Altman : La meilleure chose que Warren ait faite a été d'amener Julie Christie... C'est l'une de ces actrices intuitives, elle est bonne tout de suite.
Julie Christie avec Robert Altman
Joan Tewkesbury : Bien sûr, il y avait des conflits sur le nombre de prises à faire.
Robert Altman : Pendant la première prise, Warren ne jouait tout simplement pas. Il y allait prudemment, parce qu'il savait qu'il allait la refaire 18, 20 fois. Je ne tourne pas beaucoup de prises à moins qu'il y ait un problème technique. Je finis généralement par utiliser l'une des deux ou trois premières.
William Devane : Altman était formidable, du genre « C'est bon, on l'a ! », et Warren était maniaque. Il voulait sans cesse refaire les prises. Bob voulait juste rentrer chez lui : « Les prises 26 et 27 me vont. À demain matin. » Warren restait là tout seul et continuait à tourner.
Robert Altman : Je ne pense pas que Warren serait satisfait de la méthode de quiconque. Il est comme ça. Il n'était pas heureux sur McCabe. Pourtant, c'est lui qui m'a sollicité pour le film. Il est génial dans McCcabe – le film ne serait pas ce qu'il est sans lui. Simplement ce n'est pas très amusant de travailler avec lui. C'est une sorte de control freak et il ne parvient pas à lâcher prise, parce qu'il est aussi réalisateur, producteur, et une star.
Warren Beatty : Souvent, Bob se demandait pourquoi je travaillais si dur. Je pense juste que, quand on se donne tant de mal pour monter un film, construire un décor, enfiler un costume, il n'y a aucun mal à faire un certain nombre de prises.
Julie Christie : Il y avait deux types d'ego très différents, travaillant à proximité l'un de l'autre. Je n'en dirai pas plus. Pour moi, c'est le meilleur film de Bob. Il fallait la rigueur de Warren et l'exubérance de Robert. Je pense que c'est un grand réalisateur, unique, aventureux, avide d'expérience et provocateur.
Robert Altman : Warren m'a rendu dingue, mais il l'a fait pour le film. Son attitude m'a permis de garder les pieds sur terre.
Warren Beatty : Souvent, si je sens que je peux avoir un impact sur le film, je regarde les rushes. Je les ai regardés sur McCabe, parce que Robert voulait que je participe très fortement à l'écriture et à la construction du film.
Joan Tewkesbury : Je pense que Warren a vu à peu près toutes les images qui ont été tournées, parce que c'est un maniaque du détail.
Warren Beatty : Je n'aurais probablement pas autant investi sur ce film si Julie n'y avait pas participé. Mais à cause de notre relation, je voulais donner davantage. Cela rend la relation à la maison un peu difficile, mais cela améliore un peu les rapports au travail, nous savons que lorsque nous travaillons ensemble, nous ferons tout notre possible pour aider l'autre. De plus, j'ai un immense respect pour son énergie et son talent. Et je n'ai jamais vu un tel visage. Elle est formidable.
Julie Christie : Warren ? Quand on connaît bien quelqu'un, on se sent libre de dire exactement ce qu'on veut !
Joan Tewkesbury : Une fois que Julie apparaît dans le film, on est pris dans cette relation entre eux deux, on réalise à quel point McCabe devient stupide et à quel point elle est forte. Et les gens se plaignent depuis des années que Bob ne traite pas bien ses femmes ! Je ne suis pas d'accord, je pense que certains de ses personnages féminins sont des femmes vraiment fortes.
René Auberjonois : McCabe est mon meilleur film. C'est celui qui sera inscrit sur ma tombe.
Robert Altman : Pour les costumes, j'ai dit à la Warner d'envoyer un camion de vêtements d'époque, je voulais que ce soit comme si je réalisais un film sur l'immigration. Parmi ceux qui ont fait la conquête de l'ouest, presque personne n'était Américain. Ils avaient donc les mêmes vêtements que ceux qu'ils portaient en Europe. Le seul chapeau de cow-boy que j'ai mis sur la tête de quelqu'un a été celui du personnage de Keith Carradine. Un matin, j'ai fait venir tous les acteurs et je leur ai demandé de choisir leur garde-robe. Puis je leur ai dit : « Là-bas, il y a des aiguilles et du fil, parce que vous vivez ici pendant l'hiver, ce sont les seuls vêtements que vous avez et vous ne tiendriez pas vingt minutes avec un trou dans la manche. Vous gèleriez. Alors recousez-les ! ». Pendant deux jours, tout le monde était assis là, à réparer son costume. Le message était passé, leur costume les ancrait dans la réalité, ce n'était pas juste un emballage. Cela leur a donné un objectif, et une forme d'unité en est ressortie.
Brian McKay (coscénariste) : Tout le monde sur un film de Bob Altman est là parce que Bob a besoin d'eux pour faire ce film. S'il n'a plus besoin de vous, adieu. Donc, organiser toute votre vie en fonction de Bob Altman comme le font certaines personnes est risqué. Quand le charme est rompu, ça fait mal.
Robert Altman : Quand je tourne un film, je suis comme un monarque qui génère de l'énergie autour de lui.
Leon Ericksen : Altman peut être diabolique ou angélique, mais il vous laisse toujours faire tout ce que vous voulez. Travailler avec lui est une très bonne expérience pour toute personne créative.
Vilmos Zsigmond : C'est vraiment un réalisateur de génie, et il est aussi très ouvert. Si je suggérais quelque chose, il acceptait immédiatement sans se poser de question, parce qu'il est assez malin pour comprendre quand c'est opportun. Il écoute tout le monde, les acteurs, l'équipe, il sait que faire un film est un travail communautaire et que tout le monde peut y contribuer, tout le monde.
Keith Carradine : Le film a été tourné dans la continuité, ce qui avait l'avantage de montrer la ville en train de se développer au fur et à mesure. Il y a quelque chose de merveilleux et d'atypique là-dedans.
Joan Tewkesbury : Pour la scène finale, le blizzard a frappé Vancouver le matin du tournage de manière inattendue. Plutôt que d'attendre que le temps se dégage, Altman a saisi l'opportunité de faire quelque chose de mémorable.
Warren Beatty : J'ai dit à Bob : « Nous n'allons pas tourner aujourd'hui. Il neige. » Il m'a répondu : « Nous n'avons rien d'autre à nous mettre sous la dent, alors allons-y ! »
Joan Tewkesbury : Et ce qui aurait été juste une fusillade de plus dans la ville de Presbyterian Church est devenu cet épisode dans la neige. Ils avaient l'air d'être des animaux qui se traquaient les uns les autres, et le résultat est fascinant.
Vilmos Zsigmond : Nous avons commencé à tourner cette séquence, puis après l'heure du déjeuner, la neige a commencé à tomber. Un miracle. C'était une neige lourde, qui est tombée durant un jour et demi. Nous tournions comme des fous avec deux caméras. Mais la neige s'est arrêtée avant la fin du tournage, on a dû ajouter de la fausse neige. C'est le seul problème quand je regarde ce film. Si nous avions fait cette scène aujourd'hui numériquement, l'ajout de la neige aurait l'air beaucoup, beaucoup mieux et beaucoup plus réel. La neige artificielle de l'époque a l'air presque jaune.
René Auberjonois : Bob disait souvent : « La plupart de ce que je fais, c'est raté, c'est ce qui en fait de l'art ».
Vilmos Zsigmond : Nous ne voulions pas que ça ait l'air beau. L'idée était d'avoir de vieilles images fanées. La première fois que j'en ai parlé avec Robert, nous nous sommes dit que cela devait ressembler à la fin des années 1800.
Robert Altman : Nous étions arrivés à la conclusion que ces couleurs en camaïeu nous donnaient l'aspect le plus authentique que pouvait avoir un décor ancien. Nous ne voulions pas que le film ressemble à un journal ou un magazine.
Vilmos Zsigmond : Bob voulait faire ce film comme un vieux western, et le temps est toujours couvert à Vancouver, ce qui crée une impression différente. Dans les westerns traditionnels, le soleil brille toujours et tout est beau – là, c'était presque le contraire. Un matin, il faisait si sombre que mon posemètre ne montrait même pas que la lumière venait du ciel. J'attendais, j'attendais, mais Robert, pourtant si patient, a décidé de tourner. Quand nous avons vu le résultat le lendemain, il a été surpris par la qualité incroyable, dûe à la sous-exposition. Il y avait du grain, comme sur de vieilles photographies. Nous avons adoré et nous avons pensé que nous devrions peut-être continuer à tourner comme ça. S'ils avaient fait des films à cette époque, ils auraient eu l'air à la fois fanés, avec du grain, très doux et sans contraste. C'est pourquoi nous avons utilisé la technique du flashing pour sous-exposer le film.
Robert Altman : C'était un gros risque, peut-être stupide. Mais c'était la seule façon d'obtenir cet effet, car il n'y avait pas encore le post-traitement du film qu'on a maintenant. Et en le faisant directement sur le négatif, le studio n'avait pas d'autre choix que de l'accepter.
Vilmos Zsigmond : Cela consiste à exposer le négatif à la lumière avant même de tourner, afin de donner aux images un teint laiteux qui rappelle ce qu'on peut voir sur certaines photos d'époque. Le flashing enlève un peu les couleurs, les désature, et si on va un peu plus vers le sombre, ce que nous avons fait, on obtient cet effet merveilleux qui fait que les séquences n'ont pas l'air aussi colorées que dans les films en Technicolor. Les couleurs semblent toujours trop saturées, trop irréelles. Le studio a détesté.
Warren Beatty : Les effets photographiques que nous avons utilisés sur le film lui donnent un aspect intéressant. Parfois je pense que c'est allé un peu trop loin, il y a un peu trop de brouillard dans le film.
Vilmos Zsigmond : Il était risqué de pré-exposer le film, c'était du jamais vu, et aucun laboratoire n'était prêt à le faire. Altman voulait utiliser le laboratoire de Vancouver. Il n'y en avait qu'un à l'époque, mais c'était un labo 16 mm, et on tournait en 35 mm anamorphosé. Il a donc persuadé le laboratoire d'acheter l'équipement 35 mm en payant la facture d'avance. Ensuite, nous avons pu faire ce que nous voulions. Je ne crois pas qu'on aurait pu avoir un meilleur résultat à Hollywood.
Joan Tewkesbury : Il s'agissait que tout ait l'air aussi réel que possible, que les choses ne soient pas complètement parfaites.
Vilmos Zsigmond : Tous les plans du film, y compris les plans flous, étaient censés l'être. Et j'en suis fier.
Warren Beatty, Vilmos Zsigmond et Robert Altman
Robert Altman : J'ai eu de longues discussions avec Warren Beatty qui voulait que la bande sonore soit très distincte et je sais qu'elle a irrité beaucoup de gens. Mais si j'avais mis un son clair comme le cristal, comme ils l'ont fait dans la version française, alors allez voir le film et dites-moi s'il a conservé la moindre magie.
Keith Carradine : Bob développait un style bien à lui, une sorte de cinéma-vérité, dans la façon de montrer comment les gens se parlent vraiment. Les gens ne s'écoutent pas, tout le monde parle en même temps. Bob est parvenu à maîtriser cette technique, et ça donne un aspect très réaliste à ses films.
Vilmos Zsigmond : Quand on a filmé les scènes de bar, je lui ai dit « Robert, je ne comprends pas ce que disent les gens en arrière-plan.». « Vous avez déjà été dans des bars bruyants, a répondu Altman, entendez-vous ce dont les gens parlent ? Je veux une bande son qui soit réaliste ».
Robert Altman : Vous n'avez pas besoin d'entendre tout ce que les gens disent pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.
Warren Beatty : J'ai aussi l'impression que la bande son est un peu trop brouillée. C'est énervant, parce que dans beaucoup de salles, on ne l'entend pas. Le son des deux premières bobines, dans lequel on s'attendrait normalement à ce que tout soit audible, n'était pas clair. C'est le genre de choses qui m'a énervé.
David Foster : Warren et Bob ne se sont tout simplement jamais vraiment entendus. Après le film, Warren a raconté qu'il avait écrit le scénario, avait produit, réalisé... Bob était en colère, il était prêt à engager des poursuites, pour lui signifier à quel point il était offensé. ils ne se sont pas parlé pendant longtemps. Des années plus tard, nous nous sommes revus dans un restaurant, et nous sommes tombés dans les bras tous les trois, ils ne s'étaient probablement pas revus depuis la fin du tournage, et c'était comme si rien ne s'était passé. C'est malheureux parce que Julie a été nommée meilleure actrice pour McCabe, et pas Warren, il s'est fait voler la vedette, et je suis sûr que ça l'a énervé.
Joan Tewkesbury : J'ai vu ce qu'il s'est passé entre eux, et je trouve que c'était bien pour l'un comme pour l'autre. Warren imposait à Bob une sorte de discipline, et Bob lui apportait une forme de relâchement, d'ouverture, un sens de l'humour que Warren n'avait pas auparavant. C'était beau à voir.
Robert Altman : Pendant le montage, j'ai entendu du Cohen pour la première fois depuis un moment et je me suis dit : « Merde, mais c'est mon film ! » On a posé les chansons sur les images et elles allaient comme un gant. Je pense que ça a aussi bien fonctionné parce que ces paroles étaient gravées dans mon subconscient, alors quand j'ai tourné les scènes, je les ai adaptées aux chansons, comme si elles avaient été écrites exprès. J'ai appelé Louie Lombardo, mon monteur, pour lui dire que j'avais trouvé la musique. C'était étrange de voir à quel point les paroles de Leonard correspondaient au film. Je suis allé au studio Warner en leur disant que j'avais trouvé la musique pour mon film, mais ils m'ont répondu que Cohen était chez Columbia, que ce ne serait pas possible, qu'on allait « prendre quelqu'un pour faire à peu près la même chose ». Mais c'était exactement ça que je voulais, alors j'ai appelé Leonard Cohen.
Leonard Cohen (auteur des chansons) : Altman a construit le film autour de ma musique. La musique était déjà écrite, et quand il l'a entendue, il a voulu s'en servir. J'étais à Nashville à l'époque. Ce soir-là, j'étais en studio et j'ai reçu un appel d'Hollywood. C'était Bob Altman. Très honnêtement, j'ai dit : « Je ne connais pas votre travail, pourriez-vous me citer quelques-uns de vos films ? » Il a évoqué M.A.S.H., mais je ne connaissais pas. Puis il a parlé d'un film que « je n'avais certainement pas vu », qui s'appelait Brewster McCloud. Je lui ai dit : « Je viens juste de le voir cet après-midi, c'est un film extraordinaire. Vous pouvez utiliser n'importe laquelle de mes musiques ! »
Robert Altman : J'ai proposé à Leonard Cohen de lui montrer le film, car j'avais besoin qu'il joue des transitions de guitare. Nous avons fait une projection, dans une ambiance peu enthousiaste. Il est allé en studio et m'a téléphoné le soir-même : « Je viens de terminer les morceaux de guitare et de vous les envoyer, mais je dois vous avouer que je n'aime pas beaucoup le film, même si j'ai accepté que ma musique soit utilisée ». Et ça m'a brisé le cœur, ça m'a mis par terre.
Leonard Cohen : Plus tard, je suis allé revoir le film en salle, et là c'était formidable. Je l'ai appelé immédiatement, il fallait que je trouve un téléphone pour l'appeler tout de suite.
David Foster : Il y a eu une projection à New York, au Criterion, une grande salle sur Broadway, une énorme projection de presse. Avec tous les critiques new-yorkais, tous les amis, 1000 places... et le système de son a déraillé. Alors que le son justement était délicat. Tout était fichu. Bob s'est rué dans la cabine, finalement tout a été réglé, mais ça l'a hanté par la suite.
Vilmos Zsigmond : Warner détestait John McCabe, ils trouvaient le film très mauvais et ont tout fait pour saboter sa sortie.
David Foster : Chaque fois que je vois le film, je découvre des choses que je n'avais pas vues les fois précédentes.
Warren Beatty : Je crois que c'est un très bon film. Un jour, John Huston m'a dit que pour lui, c'était le meilleur western qu'il et jamais vu.
Vilmos Zsigmond : C'est un film incroyable. Si vous le regardez aujourd'hui, il est aussi bon, voire meilleur qu'il ne l'était. Si vous le considérez d'un point de vue vraiment politique, le message est toujours aussi pertinent.
Robert Altman : McCabe n'a pas eu de succès à sa sortie – les gens ont dit qu'ils ne comprenaient pas les dialogues. Mais dix ans plus tard, il a soudain refait surface et c'est devenu un petit classique, ou ce qu'on appelle un film culte.
Sources :
Amis américains : entretiens avec les grands auteurs d'Hollywood (Bertrand Tavernier), Institut Lumière ; Actes Sud, 2008 / Télérama, janvier 1972 / L'Humanité, 22 décembre 1971 / France Soir, 21 décembre 1971 / Les Lettres françaises, 29 décembre 1971 / Altman on Altman (dirigé par David Thompson), Faber and Faber, 2006 / The Velvet Light Trap, vol. 7, hiver 1972 / Closely Observed Frames / The Hollywood Interview / Knots Landing / Filmmaker Magazine / Avant-Scène cinéma / Wall Street Journal / Rolling Stone / The Leonard Cohen Files / PopMatters / Classiq Journal / Mark My Words / Cinephilia & Beyond / On Warren Beatty & Julie Christie on McCabe and Mrs Miller / Vilmos Zsigmond on McCabe and Mrs Miller / Independant Focus with Robert Altman