Un grand cru éclectique

Pauline de Raymond - 8 février 2023

Depuis dix ans, cette section du Festival réunit les plus belles restaurations du moment dans une large sélection. Elle met en lumière le travail mené par les ayants droit, les archives, les laboratoires et les historiens pour restaurer les films et les rendre à nouveau visibles en salles dans de bonnes conditions. Beaucoup de prouesses technologiques ont été accomplies grâce au numérique ces dernières années. Ce sont souvent des titres devenus totalement inprojetables en copie 35 mm que nous pouvons ainsi redécouvrir. À n'en pas douter, 2023 est un grand cru : beaucoup de chefs-d'œuvre et de films passionnants ont pu y être réunis.

Mauvais Sang Leos Carax Restauration

À commencer par deux diamants noirs du cinéma français, les deux premiers longs métrages de Leos Carax : Boy Meets Girl et Mauvais Sang. Le cinéaste, alors tout jeune homme, veut raconter mille choses sur l'amour, sa beauté et ses fêlures, et se donne pour ambition de réinventer le cinéma. Il va le faire en romantique, en risquant tout. Denis Lavant est Alex, double désespéré du cinéaste au jeu radicalement physique. Il habite comme personne la musique de David Bowie (When I Live My Dream dans Boy Meets Girl et Modern Love dans Mauvais Sang). Il y a d'emblée une virtuosité folle chez Carax, celle d'un garçon qui déclare sa passion pour le cinéma.

En clôture du Festival, nous montrons un film des années 1920 devenu mythique, L'Inconnu de Tod Browning. Lon Chaney, champion des contorsions en tous genres et du maquillage, y incarne un voleur caché dans un cirque où il se fait passer pour manchot afin d'échapper à la police. L'Inconnu fait partie des grands films de l'auteur de Freaks sur la différence et la fascination qu'elle peut exercer. Aux bons sentiments et à la norme, il préfère l'ambiguïté, le mal et la violence. Browning se délecte à dépeindre une humanité dérangeante.

Nous montrons un autre grand film scandaleux, Folies de femmes d'Erich von Stroheim. Le cinéaste y interprète un prétendu aristocrate russe, qui séduit des femmes riches pour leur soutirer de l'argent dans un Monte-Carlo reconstitué à grands frais par Universal. Avec son uniforme, sa prestance, son fameux monocle, la figure érotique du comte Karamzin affiche cynisme et vanité. Stroheim, au sommet de son art, déploie toute la magie vénéneuse de son imagination. Ce film mutilé aux deux-tiers à sa sortie est aujourd'hui reconstitué dans une ample version par le MoMA et le San Francisco Silent Film Festival.

Il est formidable que la restauration de la filmographie importante du Brésilien Glauber Rocha soit enfin engagée. Son œuvre était en effet devenue totalement invisible faute de copies disponibles. Le Dieu noir et le Diable blond, deuxième long métrage du chef de file du Cinema Novo brésilien, constitue une fable sur la misère des paysans brésiliens, mettant en scène le vacher Manuel et sa femme Rosa, qui les symbolisent dans leurs quêtes et leurs errements. Rocha trouve là un style incantatoire, bouillonnant et explosif.

Il va sans dire, l'élégant western de Jacques Tourneur, Le Passage du Canyon, la courageuse fable politique, Point Limite de Sidney Lumet, la merveilleuse symphonie urbaine, Rien que les heures d'Alberto Cavalcanti ou le film perdu de Dziga Vertov, Histoire de la guerre civile, sont aussi autant de films à voir ou revoir d'urgence parmi bien d'autres.

Pauline de Raymond


Pauline de Raymond est responsable de programmation à la Cinémathèque française. Elle a créé le Festival de la Cinémathèque en 2012.