La légèreté, elle est partout, dans l'insolente fraîcheur des pluies d'été, sur les ailes d'un livre abandonné au bas d'un lit, dans la rumeur des cloches de monastère à l'heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d'une lumière au détour d'un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans la fine couche de bleu, bleu pâle, bleu-violet, sur les paupières d'un nouveau-né, dans la douceur d'ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l'instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant le sol et dans la maladresse d'un chien glissant sur un étang gelé, j'arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.
Christian Bobin, La Folle Allure, 1995
Programmer des raretés d'une collection film d'une cinémathèque, de notre cinémathèque, c'est donner à voir une création effrénée, fiévreuse, diversifiée, des œuvres aussi qui respectent peu les cadres ou l'habituel. Par exemple, le bégaiement poétique des premières actualités, quand Pathé envoie Jean Epstein filmer l'Etna qui s'est réveillé en 1922. Les images de La Montagne infidèle (actualités devenues l'un des premiers films du maître du paysage et de la nature en mouvement) étaient considérées comme perdues et par une copie nitrate teintée en provenance de la Filmoteca de Catalogne, c'est comme si le vieux volcan se réveillait de nouveau. Le feu nitrate brûle toujours dans la villa labyrinthe de Thaïs (1917), brûlot capiteux du futurisme et de l'avant-garde italienne, entre decorum délirant prétexte à accueillir les contorsions et l'agonie d'une comtesse danseuse fleur vénéneuse. La mise en scène est une mise en page, l'écran une feuille blanche, un secret du vide et du plein, comme dans l'étrange et unique Comment s'en sortir sans sortir, lecture frénétique performance de Ghérasim Luca subliment capturée par la caméra Louma de Raoul Sangla, œuvre rare, inversible tombé du ciel des grandes heures de la télévision de création.
L'enchantement, devenu désenchantement et angoisse, transmue en ironie panique. Recevoir la présence fragile, frémissante, en rupture des films intimes 8 mm de l'artiste Frédéric Pardo et s'incruster dans les heures errantes post-68 d'une galaxie perdue, surtout se noyer dans les yeux ogres de Tina Aumont, attendre le changement de lueur du jour, quasi la fin du monde, avec Philippe Garrel, Nico et les autres. Mettre « sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur », c'est la formule du célèbre photographe Henri Cartier-Bresson. L'un des plus grands maîtres de l'instant s'est aussi passionné pour le cinéma, dès les années 1930, appris auprès de Paul Strand et Jean Renoir. Stop Laughing, This is England, œuvre rare de cinéma photographié, diaporama commenté de trois villes industrielles du Nord de l'Angleterre, images du quotidien, entre labeur et détente, sur les pas des pionniers Mutoscope-Biograph.
Certains films seront également programmés de concert sur notre plateforme HENRI afin de permettre au plus grand monde de découvrir toujours et encore les collections de la Cinémathèque française.