Pop, etc.

Bernard Payen - 13 janvier 2023

Inattendu et parfois jubilatoire, le parcours cinématographique de Richard Lester recèle des films satiriques absurdes et inventifs, des comédies d'aventure au rythme soutenu, et quelques diamants. Née au tout début des années 1960 aux sources de la culture pop, propulsée par deux films avec les Beatles et une Palme d'or loufoque et poétique, son œuvre interroge sans cesse une mythologie que le temps a teintée de mélancolie.

1960, le slapstick n'est pas mort, il est alors pratiqué par un jeune homme de 28 ans auteur d'un fulgurant premier film, The Running, Jumping and Standing Still Film, dans lequel une petite communauté de personnages étranges se livrent à des activités étonnantes dans un champ. En dix minutes, l'absurde a un nouveau roi : Richard Lester, Américain de Philadelphie installé outre-Manche, musicien et grand voyageur. Amoureux du burlesque, il sera même le dernier, quelques années plus tard, à filmer Buster Keaton au cinéma (Le Forum en folie, 1966). À trente ans, alors qu'il est déjà auteur de plusieurs comédies musicales pour la télévision, il réalise un premier long métrage, It's Trad, Dad! (1962) où les numéros de jazz et rock se taillent la part du lion. Helen Shapiro, chanteuse star ado de l'époque, y incarne l'un des premiers rôles, luttant contre un conseil municipal autoritaire, déphasé par la naissance des Swinging Sixties, ces formes de culture populaire nées au sein de la jeunesse anglaise et qui vont rayonner internationalement.

Aux origines de la culture pop

Richard Lester va bientôt accompagner cette origine de la culture pop par une trilogie mémorable où les Beatles auront un rôle déterminant. Ce sera tout d'abord le très enlevé A Hard Day's Night, à l'assaut du train de ces quatre garçons dans le vent que la caméra de Gilbert Taylor, chef opérateur confirmé, tente de garder dans le cadre tant ils bondissent inlassablement. Le film est un vrai « documenteur », témoignage d'une époque, d'un style, d'un phénomène. Plus tard, le retour gagnant de Help! (1965) sera davantage fictionné, plaçant les Fab Four au cœur d'une intrigue farfelue, et intégrant, comme dans le précédent, les clips musicaux des titres liés à l'album du film. Entre les deux, Richard Lester est consacré au Festival de Cannes avec Le Knack... et comment l'avoir, Palme d'or 1965, comédie aussi loufoque que vagabonde, pivot de la mutation du cinéma anglais, incarnant à merveille ce mélange d'innocence burlesque et de liberté de ton, portant un regard incisif sur la société compassée de l'époque.

Perte d'optimisme et mélancolie

« Les films ne font que refléter leur temps et Petulia était un reflet de la perte d'optimisme des années 1960 » : c'est ainsi que Richard Lester parle de son seul film tourné aux États-Unis, à San Francisco, avec Julie Christie et George C. Scott. Petulia, ce joyau arraché au temps, raconte quelques moments d'une jeune « femme sous influence », qui arrive dans la vie d'un chirurgien récemment divorcé, Archie. Ils ne pourront pas véritablement former un couple, ils ne feront que se frôler : « Nous n'avons eu qu'une nuit à nous, même pas le temps de se passer un rhume », dira joliment Petulia à Archie. Le huitième long métrage de Richard Lester est incontestablement un tournant dans sa filmographie, où affleure une soudaine gravité. On y retrouve cependant un style Lester plus traditionnel dans des scènes semi-documentaires, montrant quelques consommateurs de supermarchés pétris de lassitude au petit matin ou donnant à entendre les réflexions des voisin(e)s quand Petulia est retrouvée un jour évanouie (« Ce sera difficile d'enlever le sang dans ses cheveux », dit l'une) : un humour grinçant déjà éprouvé dans Le Knack.... Sélectionné à Cannes, le film ne sera finalement pas présenté en raison de l'annulation de la manifestation en 1968. Cette expérience provoquera chez Lester le désir de réaliser L'Ultime garçonnière (1969), son film le plus noir et le plus expérimental, racontant comment une société doit se réorganiser après une guerre nucléaire express. Cette tendance sombre de l'œuvre de Lester trouve son aboutissement artistique dans La Rose et la Flèche (1976), relecture désenchantée des amours de Robin des bois et de Lady Marian, grand film mélancolique sur le vieillissement des héros, ou comment un mythe a priori immortel se confronte à la réalité. On retrouvera un peu cette idée dans son Superman 2 (1980), dans lequel le héros superpuissant perd son innocence et ses pouvoirs, devenant plus vulnérable, plus humain.

Entre distanciation et empathie

Tout au long de sa vie, Richard Lester n'a cessé de filmer des héros, parfois avec tendresse, humour, ironie et un enthousiasme communicatif, comme dans sa trilogie des Trois Mousquetaires (1973-1989), où l'on retrouve son amour des quatuors bondissants. Des comédies d'aventures plutôt fidèles à l'esprit d'Alexandre Dumas, auxquelles on peut pratiquement accoler le très divertissant Froussard héroïque (1975), où Malcolm McDowell fait le show avec énormément d'aisance. Plus tôt, il avait questionné l'héroïsme soldat dans une distanciation corrosive presque brechtienne (Comment j'ai gagné la guerre, 1967), mais le plus souvent, il choisit l'empathie, plaçant ses personnages mythologiques dans le quotidien le plus trivial : Les Joyeux Débuts de Butch Cassidy et le Kid (1979) en est un bon exemple, avec la rencontre des deux célèbres bandits autour d'un petit déjeuner aux céréales ou prenant le temps de trouver leurs surnoms alors qu'ils cheminent à cheval.

Le pas de côté, le regard oblique sur la réalité, la marque de la distance avec son sujet ou au contraire l'empathie avec ses personnages, ainsi va le cinéma de Richard Lester : « Je ne veux pas filmer une scène d'amour, mais montrer une femme qui porte des draps à la laverie le lendemain matin. C'est beaucoup plus intéressant à mon sens », disait-il. Et de fait, Terreur sur le Britannic (1974), pour ne prendre que cet exemple, sera bel et bien un thriller, mais pas le film catastrophe annoncé. Au fracas sonore de ce type de scénario un peu balisé, il oppose le silence du démineur aux clichés des personnages formatés, il oppose aux archétypes des personnages complexes, des silhouettes poétiques ou au contraire plus enracinées dans la réalité. Tout au long de ses multiples vies cinématographiques, Richard Lester, désormais retraité nonagénaire, n'a cessé de surprendre, terminant sa vie de réalisateur en 1991 en filmant la tournée mondiale de Paul McCartney, histoire de boucler la boucle et de voir ce qu'il restait de la pop de ses jeunes années. Ultime mélancolie passagère.

Bernard Payen


Bernard Payen est responsable de programmation à la Cinémathèque française.