Revue de presse de « Marathon Man » (John Schelsinger, 1975)

Véronique Doduik - 9 novembre 2022

Sorti en France le 22 décembre 1976, Marathon Man, du réalisateur britannico-américain John Schlesinger, est une adaptation du roman éponyme de William Goldman paru un an plus tôt. L'écrivain en est aussi le scénariste. John Schlesinger est alors un cinéaste reconnu, depuis le succès de Macadam Cowboy en 1968, dans lequel jouait déjà Dustin Hoffman. Marathon Man reçoit un accueil enthousiaste du public, mais plus mitigé de la part des critiques.

Marathon Man

Un authentique thriller

La revue Cinéma s'enthousiasme : « John Schlesinger joue avec une belle virtuosité sur toutes les gammes de la frayeur, et nous offre un thriller en son sens le plus exact ». Avis partagé par Les Nouvelles littéraires : « admirablement soutenu par le duo Dustin Hoffman-Laurence Olivier, le cinéaste crée un climat qui n'est pas seulement d'angoisse sourde, mais peuplé de fulgurants éclairs de violence, d'étrangeté, avec une utilisation remarquable des décors naturels ». Cinématographe écrit : « Sur les traces très fidèlement suivies d'un William Goldman à l'imagination fertile, John Schlesinger, habile metteur en scène, brillamment servi par le talentueux chef-opérateur Conrad Hall, a créé une atmosphère réalistico-fantastique », dans laquelle « les éclairages cauchemardesques d'un échangeur de rue new-yorkaise prennent les dimensions fantastiques d'un labyrinthe », précise Le Nouvel Observateur.

La peur

La Marseillaise observe : « Le ressort principal de Marathon Man, c'est la peur. Le mystère qui entoure les personnages et l'ambiguïté de leurs comportements créent un climat d'attente inquiète. On est de bout en bout accroché au destin de Babe, cet étudiant juif de New York se battant contre des fantômes du passé qui ont repris corps dans la réalité quotidienne. Pas de discours, mais une progression constante de la violence, voilà la grande force de Marathon Man. « Schlesinger installe une ambiance de paranoïa, où votre propre frère n'est pas celui qu'il prétend être, où l'ami d'aujourd'hui vous trahira demain, où le double, sinon le triple jeu des espions rend le moindre geste suspect et terrifiant l'objet le plus insignifiant », constate Cinématographe. « Ce n'est pas seulement un film qui fait peur, mais un film sur la peur, car tous les personnages, d'une façon ou d'une autre, ont peur de quelque chose », conclut Le Monde.

Une intrigue embrouillée

La Croix note que « Schlesinger s'est chargé d'embrouiller les pistes à un point que le film tourne vite au rébus. C'est un thriller brillant, mais le plus souvent fumeux, et dont la moralité reste conséquemment inaccessible ». Charlie hebdo partage ce point de vue : « Nous sommes plongés jusqu'au cou dans la confusion dès les premières minutes par la volonté de l'auteur, qui nous fait sauter sans crier gare de New York à Paris pour atterrir en Uruguay, et qui se refuse à nous fournir les informations nécessaires à la compréhension claire et nette du rôle joué par la plupart des personnages de son histoire ». Le Point contre-attaque : « Rien dans ce film de logique ni vraisemblable, et pourtant tout fonctionne inexorablement : le récit d'abord, pulvérisé dans trois continents séparés, en trois actions, de l'Amazonie au marché aux puces de Paris, converge vite dans le marathon désespéré du petit Juif symbolique qui l'emporte dans une lutte au finish avec un croquemitaine ».

Les fantômes du passé

Pour Télérama, « le suspense dans Marathon Man n'est pas ce stimulant titillement du cerveau que provoque l'intrigue bien menée d'un policier classique, c'est un frisson glacé. Le film désigne un mal absolu face auquel aucune connivence n'est possible. Il parle de la violence d'une société mêlée où se rencontrent toutes les histoires. Ici celle de la Seconde Guerre mondiale, des Juifs qui n'oublient pas, et des nazis dont l'impunité se prolonge. Dans cette Amérique de 1976, on devine aussi les séquelles du maccarthysme, un avatar du nazisme, et l'empire de services secrets au-dessus de toute légalité. C'est un film de suspense où s'affrontent des ombres dont les mobiles profonds remontent à trente ou quarante ans, avec le sentiment d'assister à un duel de fantômes ».

Abus de violence

De nombreux critiques saluent l'efficacité redoutable des scènes de torture et de poursuite. D'autres regrettent que le spectateur soit parfois manipulé par cette violence. Cinématographe se désole : « Marathon Man, malgré sa brillante mise en scène, reste discutable dans l'utilisation de la violence à des fins assez spectaculaires et sensationnelles, même intelligemment traitées. Si en effet nous sommes "pris" par cet excellent thriller, c'est que nous sommes tout au long du film bombardés par des effets de suspense et de violence qui, malgré leur crédibilité cinématographique et le sérieux de leur exécution, visent avant tout à la sensation ». « John Schlesinger en vient à abuser de la violence, tantôt utilisant le réalisme, tantôt l'ellipse, pour en tirer à coup sûr un effet », renchérit Positif. Le Nouvel Observateur acquiesce : « Schlesinger ne recule devant aucun des effets auxquels Hitchcock où Pollack rougiraient de s'abandonner : trop de mouvements de caméra sont dictés par le seul souci de vous asséner un direct à l'estomac ».

Une légèreté coupable ?

Quelques critiques estiment par ailleurs qu'un sujet aussi grave aurait dû être traité avec moins de légèreté. Ainsi, Charlie hebdo se déclare « agacé par l'irresponsabilité politique dont fait preuve Marathon Man. En un temps où les organisations néonazies montrent plus d'arrogance que jamais, il est regrettable qu'un film présente avec une désinvolture de roman-feuilleton les criminels de guerre réfugiés sur le continent américain et leurs activités. John Schlesinger a fait un film terriblement démobilisateur ». D'autres regrettent une adaptation appauvrie et dénaturée de William Goldman, « une rude déperdition du roman », se désole La Croix.

Un film nécessaire et salutaire

Ouest-France résume l'avis de la majorité des critiques : « Marathon Man est d'abord un fantastique film de suspense qui n'hésite pas à travailler le spectateur à l'estomac. Mais c'est surtout une implacable condamnation des résurgences du nazisme ». « Ce que montre Marathon Man, c'est que n'importe où, il y a toujours quelque part une faille par laquelle les vieux démons peuvent s'introduire », conclut Télérama.


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.