21 de la Vague

Frédéric Bonnaud - 26 octobre 2022

A Bout De Souffle

La Nouvelle Vague (1959–1965), phénomène né en France, est un cas rare dans l’histoire du cinéma mondial, un court moment où l’on a vraiment cru que la jeunesse et l’audace renversaient la table et prenaient le pouvoir. Il y a bel et bien un avant et un après la Nouvelle Vague. D’autant que ses plus illustres représentants ont tenu le haut de l’affiche jusqu’à leur dernier souffle. Plus de 60 ans après son apparition fracassante, la Nouvelle Vague continue d’exercer une fascination qui n’a guère d’équivalent et suscite toujours la conversation, la contestation ou la polémique. 20 films indispensables de la dernière période légendaire du cinéma français.

La Nouvelle Vague a ses mythes et ses icônes, ses hérauts et ses assaillants, ses héros et ses traîtres, ses disputes et ses malentendus. Elle n’a pas détruit ni remplacé le cinéma qui l’a précédée : premier malentendu. Elle s’est vite essoufflée en tant que collectif ou manifeste (ce qu’elle n’avait d’ailleurs jamais vraiment été) : deuxième malentendu. Ses cinéastes les plus forts (les 5 des Cahiers : Chabrol, Truffaut, Godard, Rivette, Rohmer, et quelques autres, dont Varda, Malle, Demy, Resnais, Rouch et Rozier) ont su se réinventer pendant près d’un demi-siècle alors que des dizaines de jeunes cinéastes trop vite estampillés « Nouvelle Vague » sombraient corps et biens après un ou deux films : troisième malentendu.

Du changement à tous les étages

La Nouvelle Vague a produit une nouvelle génération de cinéastes, certes, mais aussi de nouveaux corps d’acteurs (Belmondo, Brialy, Karina, Léaud, Lafont), une révolution technique et esthétique (caméra légère, pellicule sensible, tournage dans la rue et les cafés…), une toute autre façon de produire des films pour très peu cher. Mais c’est surtout une idée neuve du cinéma, plus proche du roman ou de l’art moderne que du cinéma français mécanique de l’après-guerre, qui s’incarne dans des films très personnels et subjectifs devenus des « classiques » indémodables, que plus personne ne conteste vraiment. Les écrits critiques passent, les déclarations d’intention aussi, mais les films restent ou disparaissent, et ceux de la Nouvelle Vague résistent remarquablement ! C’est donc qu’il s’est bien passé quelque chose d’inédit dans le cinéma français au tournant des années 1960…

En 1959, le cinéma français n’est pas en crise. C’est un petit système industriel plutôt florissant mais routinier, frappé d’engourdissement et d’apathie et qui connaît quelques bides retentissants en cette fin des années 1950. Il lui manque une relève générationnelle qui ne s’est pas faite dans l’immédiate après-guerre (malgré Bresson, Becker, Tati, et malgré deux francs-tireurs, Melville avec Le Silence de la mer dès 1947, bientôt Varda avec La Pointe courte en 1954) ; il lui manque de nouveaux comédiens (malgré Bardot le temps du premier Vadim, et Moreau chez Malle), de nouveaux cinéastes, un nouveau ton, de nouvelles pratiques cinématographiques, un lien renouvelé à la réalité d’une société en pleine mutation.

Dans la place

Exactement contemporaine de la Ve République et du retour aux affaires de Charles de Gaulle, soutenue par André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, qui l’expédie au Festival de Cannes 1959 pour séduire le monde entier (Truffaut avec Les Quatre cents coups et Resnais avec Hiroshima mon amour), la Nouvelle Vague française est un cas unique et exceptionnel dans l’histoire du cinéma mondial : alors que le système de production paraissait complètement bloqué, sous le règne étouffant d’un corporatisme très organisé et sûr de lui, elle revendique la soudaine prise de pouvoir d’une nouvelle génération de cinéastes, avec le petit groupe longtemps soudé des anciens critiques des Cahiers du cinéma comme fer-de-lance.

Alors, « indispensables », ces 20 films estampillés « Nouvelle Vague » le sont vraiment pour quiconque veut voir comment l’écriture cinématographique a été profondément renouvelée en une petite dizaine d’années par des gens très différents, parfois opposés, mais terriblement inspirés et qui partageaient une même et folle croyance en un cinéma aux infinies possibilités.


Frédéric Bonnaud est directeur général de la Cinémathèque française.