Revue de presse de « Chien enragé » (Akira Kurosawa, 1949)

Hélène Lacolomberie - 4 août 2021

Chien enragé (A. Kurosawa)


Premier policier japonais présenté en France, Chien enragé occupe une place à part dans la filmographie de Kurosawa, et déconcerte une critique mi-séduite mi-sceptique quant à sa forme, son sujet, son rythme. Là où Pierre Macabru de Combat a vu « une intrigue policière assez conventionnelle », Jeander de Libération salue « une étude de mœurs et de caractères qui dépasse de très loin son sujet ». De fait, analyse Robert Chazal dans France Soir, « ce film est d'abord un documentaire sur l'organisation de la police et sur la vie des bas-quartiers de Tokyo. Il constitue aussi un document sur la vie japonaise en général ».

La construction du film remporte tous les suffrages : « l'aspect reportage est séduisant, mais on admire surtout la progression dramatique d'une intensité rare dans ses crescendos, ses raccourcis psychologiques », apprécie Véra Volmane dans Aux Écoutes. Kurosawa sait « composer des images saisissantes et boucler des scènes au rythme haletant », renchérit La Croix. Chien enragé est aussi l'occasion pour Kurosawa de « s'évader du folklore nippon et d'imprégner de sensibilité orientale un sujet familier aux Occidentaux », analyse L'Express. Ainsi, il tient la comparaison avec « les films de Pabst, Sternberg, Poudovkine », selon France Soir. « On songe à la manière Hitchcock, étirée à l'orientale », pour France Observateur. Quant à Pierre Macabru, il estime que « si ce film n'était pas japonais, il trouverait son équilibre entre Quai des Orfèvres de Clouzot et un quelconque Simenon tourné par Duvivier ».

Reste que certains critiques n'ont pas adhéré notamment au rythme du film, tel Gilles Rabine qui dans La Croix fustige une œuvre « ennuyeuse, ennuyeuse parce que lente, sinueuse, sans suspense véritable ». Même réserve dans Télérama pour Jean Collet qui se fait plus sévère encore : « l'ensemble du film m'a prodigieusement ennuyé et ne résiste pas à l'oubli. Kurosawa veut donner une épaisseur psychologique et morale à une anecdote qui ne nous prend jamais. Et à chaque tournant du film, nous sentons le coup de pouce de l'auteur ». Mais la trame policière n'est que prétexte, pour Kurosawa, à donner libre cours à son talent habituel, à l'acculturation artistique entre Orient et Occident. En cela, c'est une œuvre « d'une remarquable habileté et d'une densité étonnante », admire Libération. Une œuvre qui montre une belle émotion et une vraie qualité d'images. « Je brûlerais cent Rashōmon pour voir un seul Chien enragé », s'enthousiasme Georges Sadoul dans Les Lettres Françaises. Pour apprécier, simplement, les images « d'un Japon moderne et d'une misère universelle ; l'œuvre d'un cinéma adulte où la réflexion du spectateur est constamment sollicitée » (L'Express).


Hélène Lacolomberie est rédactrice web à la Cinémathèque française.