John Cameron Mitchell : That's Entertainment!

Bernard Payen - 1 juin 2022

Hedwig and the Angry Inch (2001)

John Cameron Mitchell est l'un des artistes queer les plus stimulants de sa génération. En vingt ans, il a signé quatre longs métrages frénétiques (Hedwig and The Angry Inch) ou plus posés (Rabbit Hole) dans lesquels l'humour, la rage, ou la pudeur sont des armes de résistance à la gravité.

« Je suis le nouveau mur de Berlin, essaye de m'abattre ! » chante avec joie et rage Hedwig dans un drag-club, un soir, dans le film Hedwig and the Angry Inch. Avec sa perruque blonde si spectaculaire, son maquillage bleu ciel argent accordé à sa tenue de scène, Hedwig est une rockstar transsexuelle néo glam rock, « la plus internationalement méconnue », comme elle s'est autoproclamée. On l'aime d'autant plus qu'elle exprime dans ses chansons ses fêlures les plus intimes, son enfance pauvre en Europe de l'Est, son opération chirurgicale ratée (cet « angry inch », ce sexe amputé d'où viendront le nom de son groupe et le titre du film) et sa confrontation à Tommy, son ancien amant. Hedwig est devenu avec les années le personnage le plus culte inventé par John Cameron Mitchell, cinéaste élégant dont les figures principales ont toujours su masquer leurs douleurs derrière la comédie. Avec Hedwig, le cinéaste fait corps avec son personnage, qu'il interprète depuis sa création en 1994 au Squeezebox, un bar de drag queens new-yorkais ; il l'a fait évoluer quatre ans plus tard comme protagoniste principal d'une comédie musicale à succès off-Broadway, avant de réaliser avec fougue son adaptation cinématographique en 1998. Inspiré par une babysitter est-allemande de son enfance, dont il a découvert plus tard qu'elle se prostituait, John Cameron Mitchell a mis aussi beaucoup de lui-même dans ce personnage électrique, animé d'idées platoniciennes.

Comment exorciser les traumatismes enfouis et les dépasser par une forme de fantaisie mélancolique, c'est un peu la mission que se donne encore le cinéaste avec son deuxième long métrage, Shortbus, montré en séance de minuit au Festival de Cannes en 2006. Un film qui parle le langage du sexe et le montre de façon crue et sans détours, suivant plusieurs personnages dans un New York encore marqué par les peurs du 11 septembre et de l'épidémie du sida apparue alors déjà plus de vingt ans auparavant. Cameron Mitchell y analyse les frustrations des trentenaires de l'époque, tout en rendant le sexe joyeux et vivant. Aujourd'hui encore, Shortbus est une œuvre unique, audacieuse, sur la peur de grandir et l'insatisfaction durable de nos contemporains.

En 2010, Nicole Kidman lui commande la réalisation de Rabbit Hole, drame ténu sur les conséquences de la perte d'un enfant. Film sur la résilience, la guérison d'une perte tragique, Rabbit Hole n'en est pas moins intime. D'abord parce que le cinéaste avait dû lui-même faire le deuil, adolescent, d'un petit frère de quatre ans, mais aussi parce qu'il émaille la forme de son film de touches personnelles d'humour, de délicatesse et d'étrangeté, fuyant le pathos et le voyeurisme. Artiste prolifique, John Cameron Mitchell est aussi acteur pour d'autres (comme récemment sa composition de Joe Exotic, l'adaptation fiction de la série documentaire Tiger King), explore son passé sur les scènes avec la star internationale du cabaret Ambert Martin ou crée des marathons de podcasts autour des musicals. Son dernier long métrage, How To Talk To Girls At Parties (2018) revisitait l'esprit punk dans l'Angleterre des années 1970, et évoquait une fois de plus la manière dont les individus peuvent se réinventer, dans une mise en scène graphique et un esprit musical qui ne l'ont jamais quitté.


Bernard Payen est responsable de programmation à la Cinémathèque française.